parution septembre 2020
ISBN 978-2-88927-832-9
nb de pages 192
format du livre 105 x 165 mm

où trouver ce livre?

Madeleine Bourdouxhe

À la recherche de Marie

résumé

Marie prend soin de son époux et quand ses amies admirent son bonheur, elle sourit. Pendant des vacances au bord de la mer, elle refuse une idylle avec un étudiant, mais revient transformée à Paris. Marie se fait mobile, curieuse, audacieuse. Et se décide à rappeler le jeune homme rencontré à la mer. Dans une langue épurée et précise, l’histoire d’une femme des années 1930 à la reconquête d’elle-même.

biographie

Née à Liège où elle a passé son enfance, Madeleine Bourdouxhe (1906-1996) étudie la philosophie à Bruxelles, fréquente le monde des lettres et des arts. Publié en 1937 chez Gallimard à Paris, son premier ouvrage, La Femme de Gilles, lui procure succès et reconnaissance. Résistante lors de la Seconde Guerre mondiale, elle refuse de confier ses textes à des éditeurs contrôlés par les Allemands, À la recherche de Marie paraît donc en 1943 chez Libris, à Bruxelles. Après la guerre, elle continue à écrire, nouvelles, et récits. Nommée au poste de secrétaire perpétuelle à la Libre Académie de Belgique en 1964, elle s’impose définitivement comme figure de la littérature belge avec le succès de la réédition de La Femme de Gilles en 1985, adapté au cinéma en 2004 par Frédéric Fonteyne. L’œuvre de Madeleine Bourdouxhe a depuis fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales et est traduite dans une dizaine de langue.

PILEn (blog)

"Si l’on connait bien La Femme de Gilles (notamment grâce à l’adaptation de Frédéric Fonteyne), ce roman de 1943 mérite tout autant qu’on s’y (ré)intéresse.  Marie y est une jeune femme étourdie dans l’amour de son mari, Jean, dévouée à leur bonheur conjugal. Un été en bord de mer, elle va cependant croiser un jeune homme qui va la troubler. Si elle se refuse d’abord à leur attraction mutuelle, elle finira par choisir la curiosité et s’émancipera du cadre strict de sa vie réglée. Sous l’apparente tranquillité de Marie, il y a peut-être un peu de l’audace de la Monika du cinéaste Ingmar Bergman (1953) : l’envie d’enfin regarder le monde droit dans les yeux."

Une chronique d’Anne-Lise Remacle à lire en entier ici

Pleine Vie

"À la recherche de Marie est le récit pointilliste, tout de subtilité, d’une révélation à soi-même." Olivier Barrot

Lausanne Cités

"Dans une langue épurée et précise, l’histoire d’une femme des années 1930 à la reconquête d’elle-même."

l'OBS

"Écrit en 1943 par la Belge Madeleine Bourdouxhe, amie de Beauvoir et aujourd’hui admirée par Jonathan Coe, ce roman d’adultère frémit d’une transgressive sensualité. Cela passe par certains gestes - Marie qui allume elle-même sa cigarette -, par l’évocation d’un avortement, mais surtout par le style, tendu, à l’ardeur suspendue." Élisabeth Philippe

Livre aux trésors

"L'occasion pour découvrir l'écriture splendide et on ne peut plus contemporaine de Madeleine Bourdouxhe. Foncez!"

La Femme de Gilles

« Le désir ça naît comme ça, d’un rien. »
Quand Gilles se met à en aimer une autre, le monde d’Élisa vacille. Elle, « la femme de Gilles » tout entière dévouée à son mari, se résout à se taire, souffrir et espérer.
Un roman intemporel, écrit dans une langue limpide et bouleversante de simplicité.

Grande dame des lettres belges, Madeleine Bourdouxhe (1906-1996) est romancière et nouvelliste, proche de Simone de Beauvoir qui la cite en exemple dans Le Deuxième Sexe. Ses romans La Femme de Gilles (1937) et À la recherche de Marie (1943) figurent parmi les textes féministes pionniers du xxe siècle.

Préface de Geneviève Simon

À la recherche de Marie: extrait

I

 

— Es-tu prête ?

La porte de la chambre venait d’être ouverte par une main nerveuse. Marie brusquement quitta la fenêtre, eut l’air de s’affairer, tira les rideaux.

¾ Mais oui, je suis prête… Il vaut mieux fermer, à cause de la chaleur…

¾ Voilà une demi-heure que je t’attends… Elle ne répondit rien, regarda le visage irrité de Jean, suivit son mari.

Elle ne s’était même pas recoiffée. En entrant dans la chambre, elle avait aperçu par la fenêtre ouverte un bateau sur la mer ; elle s’était avancée pour mieux le voir, et elle était restée ainsi, la tête appuyée au chambranle. Il y avait eu le vacarme du vieil autobus qui desservait le village, il y avait eu le bruit assourdissant d’un canot à moteur qui abordait ici, un groupe d’enfants avait couru vers le port en criant, le bateau qui avait attiré Marie à la fenêtre était depuis longtemps hors de vue, le silence était revenu, il montait du sol une lente odeur de résine.

L’escalier était désert, Marie enlaça de son bras les épaules de Jean.

— Tu es fâché ?

Dans le couloir du rez-de-chaussée, elle s’arrêta un instant devant la glace :

— Suis-je bien coiffée au moins ?

Elle vit le rouleau peu maintenu et la mèche brune qui, comme tout à l’heure, retombait trop bas sur la tempe droite.

— Oui. Tu as mis le temps, mais tu es très bien.

Elle ne broncha pas. Il ne voyait rien… Sans doute regardait-il sans voir, tout à sa hâte de partir. Mais aussi, elle l’avait fait attendre une demi-heure…

Comme ils quittaient la maison :

— Quel soleil ! dit Marie. C’est splendide pour te baigner.

— Et toi, tu ne te baigneras pas ?

— Je ne sais pas, je te répondrai quand j’aurai vu l’eau.

— Tu dis toujours cela, et tu ne te baignes jamais…

La route est blanche, sèche, sans ombre. Ils entrent dans cette chaleur, la traversent sans prononcer une parole. Sous le soleil, la robe de Marie est légèrement transparente et ses longues jambes souples se dessinent sous l’étoffe ; ses cheveux deviennent châtains, roux, blonds, éclairés de tous leurs reflets changeants ; la tête levée, elle cligne les yeux, plisse le front, y porte parfois, en écran, ses mains grandes et belles. Ils arrivent à un chemin plus étroit qui descend vers la mer. Ils marchent tout près l’un de l’autre, à droite du chemin, cherchant l’ombre maigre des jeunes cyprès qui le bordent. Les cheveux de Marie retrouvent une couleur plus unie, son visage se détend et l’on voit mieux ses yeux, au regard éteint, qui semblent se lever vers les choses avec indifférence. Mais brusquement, le chemin cesse, débouche sur la plage, et c’est à nouveau la lumière uniforme et brûlante.

 

Ils s’étaient assis l’un près de l’autre sur le sable. Jean s’apprêtait à enlever ses sandales.

— Attends encore un peu avant de te baigner, dit Marie. Il n’y a pas assez longtemps que tu as fini de déjeuner…

Il se tourna vers sa femme, vit ses yeux inquiets :

— Deux heures, c’est parfait ! dit-il. Mais puisque tu préfères que j’attende… Je ne veux pas que tu t’affoles au moment où j’entrerai dans l’eau.

Marie se rapprocha de lui, appuya la tête contre son épaule, ferma les yeux. « Jean est tout près de moi. Jean, le seul homme que j’aime au monde… » Le cœur de Marie se noya dans une tendresse infinie ; et bientôt, son esprit créait d’étranges images : elle entrait avec Jean dans un endroit plein de pénombres intimes et chaudes, il la poussait doucement vers une table. Sa main glissait sur son bras nu, le serrait longuement avant de le quitter. « Tu veux danser, chérie ? » Il l’entraînait vers une étroite piste surélevée, l’enlaçait, la soulevait presque, l’emportait au rythme d’une musique languissante et populaire. (Marie hésita : une musique médiocre ? oui, languissante et vulgaire ; au plus médiocre elle est, mieux cela vaut…) Comme ils dansaient bien… Et ce geste amoureux de Jean pour effleurer des lèvres la tempe de Marie ! (Et Marie assise sur la plage se serra plus encore contre l’épaule de Jean.) Ils dansaient… Et d’être ainsi l’un près de l’autre la joie de Jean égalait la sienne, il désirait que cet enlacement n’eût pas de fin.

— Il fait très chaud, tu sais, mon petit ! ne te colle pas ainsi contre moi…

Marie se détacha de lui, releva les genoux, y appuya son front, referma les yeux : … il désirait que cet enlacement n’eût pas de fin. Ils dansaient encore. Ils revenaient vers la table et, regardant Marie, il disait d’une voix douce de promesse : « Nous rentrons ? »

 

Marie relève la tête et ses yeux retrouvent, sans les voir, l’eau, les barques, le sable et cet éparpillement de lumière sur la mer. Elle se rappelle certaines conversations entre amies, conversations qui l’énervent, inutiles, toujours les mêmes, mais auxquelles elle prend part malgré tout. Elle entend la voix de Luce disant : « Toi, Marie, tu aimes profondément ton mari… Tu es parvenue à te réaliser complètement dans ton amour… Tu es la seule d’entre nous qui connaisse le bonheur… » Et toujours, en souriant, Marie répond : « Oui, évidemment. » Et maintenant, se rappelant cela, ce sourire singulier marque à nouveau ses lèvres. Elle se retourne et s’allonge, le visage vers le sol ; elle ne sourit plus, elle pense : « Le bonheur, le bonheur, qu’est-ce que c’est, cela, le bonheur ? »