parution septembre 2012
ISBN 978-2-88182-874-4
nb de pages 416
format du livre 140 x 210 mm
prix 35.00 CHF

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Minna Canth

Hanna

Traduit du finnois par Anne Cornette

résumé

 

Hanna (Hanna, 1886) découvre en grandissant le sort réservé aux personnes de son sexe. Lopo la brocanteuse (Kauppa-Lopo, 1889), alcoolique, sale et repoussante, sort enfin de prison, mais pour combien de temps ? Alma Karell (L’Écueil, 1887), la jeune épouse raffinée, se trouve prise au piège de la séduction. Quant à Mari Holpainen (Pauvres gens, 1886), jusqu’où la conduiront les malheurs qui l’accablent ?

Quatre récits qui mettent en scène, sur un ton provocateur, voire scandaleux pour l’époque, la condition de la femme. Comparés à Madame Bovary, à Anna Karénine ou à certains récits de Dostoïevski, ils restent des œuvres majeures de la littérature finlandaise.

 

biographie

Minna Canth (1844-1897), dramaturge et nouvelliste, continue d’être lue et admirée autant pour son œuvre inspirée de Ibsen ou de Tolstoï que pour ses prises de position féministes et ses idées à contre-courant. Trois ans après sa mort, une loi donnait aux femmes finlandaises le droit de vote.

Le Monde des Livres

Dominique A a aimé Hanna dans sa chronique "A titre particulier":

 

"La voix de Minna Canth porte encore. Elle mène ses personnages à l'échafaud en ravalant sa colère, qu'on sent affleurer, entretenant la tension nécessaire. (...) Elle traduit la honte qui ronge {les femmes} avec la plus grande pudeur."

Le Nouveliste

Des récits vivants et sensibles, de cette poésie nordique froide et belle qu'on ne retrouve que rarement traduite, pour un grand titre de cette rentrée littéraire, à ne pas manquer.

Hanna: extrait

 

HANNA

(1886)

I

L’obscurité régnait dans la chambre des enfants. Seul un mince filet de lumière filtrait par la porte de la salle à manger laissée entrouverte.

La petite Hanna avait fait un mauvais rêve. Un grand chien noir la poursuivait et était sur le point de l’attraper lorsque, par bonheur, elle s’était réveillée. Elle ne voulait plus se rendormir de crainte que son cauchemar ne reprenne.

Il faisait un peu froid. Hanna tira la couverture jusqu’à son cou et se mit en chien-de-fusil. Puis elle se mit à fixer le rai de lumière qui s’étalait de l’entrebâillement de la porte jusqu’au mur et poursuivait sa course jusqu’au plafond.

Tout était silencieux. Seule s’entendait la respiration profonde et régulière de Jussi dans le lit voisin. Le pauvre petit était-il bien couvert ?

Hanna se leva pour aller voir. Elle avait deviné juste : le garçonnet avait repoussé la couverture à ses pieds et ses jambes étaient nues. Mon Dieu, elles étaient complètement glacées ! Il risquait de tomber malade !

Hanna couvrit son frère du mieux qu’elle le put et coinça le bord de la couverture sous le matelas pour la faire mieux tenir en place. Cette fois, Jussi aurait du mal à la repousser !

Mais le froid commençait à la gagner, elle aussi. Et si une souris sortait de dessous le lit, là-bas, et venait lui mordre le pied? Quelle horreur ! D’un bond, Hanna fut sur son lit et plongea sous la couverture.

Elle se remit à fixer la lueur blanche sur le mur, sans parvenir à en détacher son regard. Elle se rassura en pensant que sa mère veillait dans la pièce voisine. Il ne devait pas encore être très tard à quoi pouvait-elle donc s’occuper ?

Hanna tendit le cou pour regarder par l’entrebâillement de la porte. Elle ne vit rien. Il n’y avait pas le moindre bruit. Et si on avait oublié d’éteindre la lampe ?

Se risquerait-elle à aller voir ? Mais si les souris…? Là, dans le coin, elle en entendait déjà une gratter ! Pourvu qu’elle ne grimpe pas dans son lit ! Hanna renonça à son idée et se cacha la tête sous l’oreiller. Mieux valait garder les yeux fermés et se rendormir. Peut-être ce mauvais rêve ne reviendrait-il pas.

Tout était calme à nouveau. Plus un bruit ne parvenait du coin de la pièce. La souris s’était sans doute enfuie dans son trou. Ou alors ce n’était pas une souris. Elle pouvait s’être trompée. Elle n’était plus sûre de rien… Était-ce vraiment une souris ? Cela pouvait être un autre bruit. Jussi, peut-être… Mais oui, le gamin avait dû remuer la main ou le pied. C’était vraiment rare qu’il dorme silencieusement. À présent, il gémissait un peu dans son sommeil.

Qu’est-ce qui le tourmentait donc, le pauvre petit ?

Hanna avait beau s’obstiner à garder les yeux fermés, elle ne parvenait pas à se rendormir. L’envie la reprit d’observer si la lueur blanche était encore sur le mur. Oui, elle était toujours là. On n’entendait pourtant pas le moindre bruit.

Mon Dieu, s’inquiéta-t-elle soudain, si la lampe continue à brûler sans surveillance et si le feu vient à se répandre pendant que tout le monde dort tranquillement, sans que personne ne se doute du danger, nous allons tous périr dans les flammes ! Ne voit-on pas déjà de la fumée, là?

Hanna se rua sur la porte de la salle à manger et l’ouvrit violemment.

«Oh, ma chérie, tu m’as fait peur ! »

Assise sur le canapé, sa mère tricotait tranquillement une chaussette. Elle semblait fatiguée et avait les yeux rougis. Mais ses mains agitaient imperturbablement les aiguilles.

«Tu ne peux pas dormir ? Il y a déjà longtemps que tu es réveillée ?

— Depuis un moment. Pourquoi veilles-tu, maman?

— J’attends papa. »

Son souper était sur la table.

«Et quelle heure est-il ?

— Bientôt deux heures. Retourne vite dans ton lit, ma chérie, ne prends pas froid!

— Est-ce que je peux laisser la porte ouverte ?

— Tu as peur ?

— Un peu, oui…

— Laisse la porte ouverte alors. Tu n’es pas malade, ma petite Hanna ?

— Non, je ne suis pas malade.

— Tu as l’air un peu pâle. Tu en es bien sûre ?

— Maman, j’ai fait un très vilain rêve. Un grand chien noir courait derrière moi et voulait me mordre.

— C’est cela qui t’a effrayée ? Ce n’était qu’un rêve, tu le sais bien. Fais un signe de croix, ma chérie, et rendors-toi !

— Bonne nuit, maman!

 

— Bonne nuit ! »

Laissant la porte grande ouverte, Hanna grimpa à nouveau sur son lit. Elle pouvait à présent voir sa mère, toujours assise sur le sofa, qui continuait à tricoter avec application sous la lumière blanche de la lampe. Cette chère, chère maman! Que son visage était doux et beau! Et que sa robe était propre et nette! Il y avait dans ses habits quelque chose de particulier qui émanait d’elle. Lorsque Hanna se rendait dans la remise où sa mère les rangeait, ils lui semblaient tellement adorables, suspendus à leur clou, qu’elle ne pouvait jamais s’empêcher de s’arrêter pour les caresser. Tout ce qui pouvait appartenir à sa mère était, pour Hanna,

comme sacré. Sa mère ne se distinguait-elle pas de toutes les autres personnes par son apparence? N’était-elle pas plus gracieuse et plus adorable que quiconque? Et plus intelligente, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute! Sa mère savait tout, comprenait tout, agissait toujours bien.  Elle ne devait jamais avoir eu de mauvaises pensées et n’avait sûrement jamais commis de péchés quand elle était petite. C’était absolument impossible! Ah! Si Hanna pouvait devenir un jour aussi bonne que sa mère!… Cela, elle ne pouvait évidemment pas l’espérer, mais si, au moins, elle pouvait lui ressembler un peu… Elle s’en contenterait

déjà! Elle essaierait de toujours suivre l’exemple de sa mère et lui demanderait conseil en tout. Peut-être qu’alors, peu à peu, elle deviendrait meilleure. Ah! Si elle pouvait demeurer

toute sa vie auprès de sa maman, elle n’espérerait pas autre chose! Maman et papa, c’était ce qu’elle avait de plus cher au monde. La pauvre Ines, elle, n’avait pas de maman. Elle devait être horriblement malheureuse. Et elle parvenait à survivre! Mon Dieu, mon Dieu chéri, fais que maman et papa vivent longtemps, longtemps, ne me les enlève pas, ne permets pas qu’ils meurent, cher, très cher Père des Cieux miséricordieux!

Hein! Quoi ? La mère sursauta, déposa son tricot sur la table et se leva pour écouter. Un cheval s’arrêta devant le perron. On entendit parler quelques instants, puis le cheval s’éloigna. Était-ce bien son père ? Un pas lourd montait l’escalier. La cloche de l’entrée retentit et la mère alla ouvrir. C’était une bonne chose que papa rentre à la maison et que la pauvre maman puisse se reposer.