parution janvier 2011
ISBN 978-2-88182-684-9
nb de pages 272
format du livre 140 x 210 mm
prix 27.00 CHF

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Brian Chikwava

Harare Nord

Traduit de l'anglais (Zimbabwe) par Pedro Jimenez Morras

résumé

Il est effronté, arrogant, manipulateur, incorrect, menaçant, tordu. Il est aussi caustique, brillant, un peu sexy et drôle. Il est perdu. Il peut devenir fou. Il, c’est le héros de ce roman, fraîchement arrivé du Zimbabwe à Londres, qu’il surnomme Harare Nord, du nom de la capitale de son pays bien aimé. Après quelques semaines chez un cousin peu accueillant, il s’installe dans un squat habité par quatre compatriotes, tous en quête d’une vie à peu près décente. La plus jeune des quatre loue par exemple son bébé aux femmes qui cherchent un appartement auprès des services sociaux.

Brian Chikwava a inventé pour son personnage une voix hautement singulière et poétique, dérangeante, féroce et caustique. Le lecteur le suit et s’il sourit la première fois qu’il lit « Je suis un homme de principe moi », il finit par le penser lorsque ce refrain revient pour la dernière fois à la fin du livre.

biographie

Brian Chikwava vit à Londres (Harare Nord pour les gens du Zimbabwe). Il a gagné le Caine Prize en 2004 pour un premier recueil de nouvelles. Harare Nord est son premier roman.

France Inter, Le Temps

Emission Cosmopolitaine, France Inter, 30 janvier 2011

Paula Jacques:

« Un livre «bluffant».

Ecriture très vive, très maligne.

Il y a du toupet, un langage drôle, inventif.

Un anti-héros, pas de pathos.

Ce qui est très malin, très original,  c’est que vous présentez quelqu’un qui est fou déjà avant d’arriver à Londres – séquelle de son expérience dans la milice. »

« Précipitez-vous sur Harare nord de Brian Chikwava. »

« Une de ces découvertes qui nous remplisse de joie et de fierté

Singulier, dérangeant, poétique et manipulateur »

« Les éditions Zoé ont vraiment le chic pour vous faire découvrir des livres extraordinaires. »

Marie-Ange Rigopoulos, collaboratrice de l'émission :

« Une vraie découverte.

Un livre bluffant, éblouissant.

Le héros a des bouffées de folie meurtrière et il est vraiment très intelligent

Un humour à toute épreuve

Il est touchant, vif, drôle, torturé.

Ça déclenche un état profondément humain.

Poésie dans les situations les plus incongrues, le rire dans les situations les plus tragiques »

Isabelle Rüf, Le Temps: "Un Premier roman magistral, véritable aventure de la langue."

Harare Nord: extrait

 

1

Personne se soucie de me donner des tuyaux corrects avant que je vienne en Angleterre. Alors au moment d'arriver à l'aéroport de Gatwick je déçois ceux de l'immigration parce que quand je m'avance pour présenter mon passeport à l'homme qui mâche du chewing-gum assis derrière son bureau, je profère le mot magique – asile – et je leur décoche un sourire d'Africain autochtone, plein de dents. On m'arrête.

Quelles que soient leurs raisons pour m'arrêter, ceux de l'immigration me laissent partir après huit jours. Je leur en veux pas vu que ces gens ils font rien que leur combine. Mes proches par contre, ils ont une attitude préoccupante: faut que j'attende deux jours de plus pour que la femme de mon cousin vienne m'embarquer.

L'histoire que je raconte à ceux de l'immigration est plus crispée que l'anus d'un voleur. J'ai été harcelé par ces gars à lunettes noires, je leur dis moi, parce que je suis membre des jeunesses du parti d'opposition. Il s'agit pas de faire honte à notre gouvernement en aucune façon, mais si tu leur ponds pas des chansonnettes bien accrocheuses, alors ceux de l'immigration vont jamais te donner une chance de même flairer tes premiers pas dans le pays de la Reine. C'est ça leur genre, d'après ce qu'on m'a dit.

Que ça prenne autant de temps à mon cousin et à sa femme de faire quoi que ce soit à mon sujet c'est pas bon signe. Mais je suis juste content de sortir quand c'est le moment moi.

Je m'attends à ce que mon cousin Paul vienne me prendre au centre de détention, mais c'est sa femme, Sekai, qui vient à la place.

Je dis au revoir aux officiers à la réception en récupérant ma valise. Sekai se tient à quelques mètres de moi, son dos-là droit comme celui d'un soldat prêt à défiler, et sa taille-là plus fine que celle d'une guêpe. Habillée impeccable, mains dans les poches de son manteau-là, elle garde une certaine distance qui suffit à suggérer à ceux de la détention qu'elle a vraiment rien à faire avec moi, mais qu'elle a pas eu le choix. Elle prend même pas le soin de me serrer la main, me salue de loin et regarde ma valise d'un drôle d'air. C'est une de ces vieilles valises en carton que Mère[1] utilisait avant ma naissance et qui a servi à transporter des poulets dans le passé, mais c'est ma valise. Elle a encore l'odeur de Mère dedans.

Sekai m'est un peu égale moi; je m'attendais pas à être accueilli les bras ouverts. Les townships de Harare sont pleins de ces histoires sur les infortunes que rencontrent les gens; ils portent des sacs remplis de choses et des têtes pleines des merveilles de la nouvelle vie, ils négocient un passage vers Harare Nord, se présentent sans avertir à la porte d'un proche, pour qu'au final on leur jette leurs rêves à la figure. Mais là encore, je pense pas être comme ces gens moi; Paul et Sekai ont été avertis que je vais bientôt poser le pied dans leur maison de l'est de Londres.

Sekai ouvre la voie. On a notre premier moment difficile quand on arrive à la gare et qu'elle s'attend à ce que j'achète mon propre billet. C'est là que je comprends dans ma tête qu'elle est devenue une Africaine renégate, Sekai. Je suis l'invité moi, et elle, elle est là, à attendre que j'achète mon propre billet dès le premier jour? Et c'est pas que je veux pas acheter moi-même le billet moi.

«J'achèterais le billet si j'avais l'argent», je l'implore et j'essaye de lui expliquer. J'ai seulement 1 000 000 Z$ dans mon sac moi, que même si je les changeais feraient quelque chose comme 4 £. Le billet est à 6 £. J'en déduis que Sekai se rappelle plus qui elle est ni d'où elle vient. Je suis le cousin de son mari, j'ai payé mon billet d'avion mais elle voudrait encore que je pioche dans ma poche pour le billet de train.

«J’ai pas d'argent», je dis, après un drôle de moment où elle soutient mon regard et on reste en silence à scruter le visage de chaque chaque.

Sekai fait un grognement moqueur, lève les yeux et me regarde.

Elle finit par acheter le billet.

 

Avant la fin de mon premier jour, je sais déjà que Sekai veut pas que je reste avec eux. Mais je veux vraiment pas rester longtemps à Harare Nord moi; je veux pas avoir l'air contrarié tout le temps à cause de Sekai. Je veux juste me trouver un bon boulot très vite, travailler comme une bête, économiser un tas d'argent et hop, je repars chez moi. Assez de livres sterling pour arriver à hauteur de 5 000 US$ c'est tout ce qu'il faut que j'amasse, et ensuite je suis libre de nouveau. Je sais que les choses vont devenir bizarres si Paul et Sekai se mettent à penser que je suis une grosse charge pour eux. Mais c'est comme ça que tous ces gens de chez nous se comportent quand ils se retrouvent à Harare Nord; parfois tu leur parles au téléphone pour leur demander si ça les dérange pas si tu viens vivre avec eux et ils te disent pas «non» parce qu'ils veulent pas que tu les croies égoïstes. Ils disent toujours «…O.K., prends un visa et viens…» alors qu'ils savent que c'est au niveau du visa que tout le monde se ramasse, parce que la Haute Commission Britannique donne pas un visa comme ça à n'importe quel indigène qui pense qu'il peut héler un avion de ligne, sauter dedans et s'envoler vers Harare Nord, surtout quand ils réalisent que les gens leur demandent des visas de tourisme et que dès qu'ils ont atterri à Londres ils déposent en fait une demande d'asile. Là les gens ils ont droit au bon vieux traitement consulaire: la personne derrière le guichet te fait les gros yeux et te demande d'amener plus de ceci et plus de cela et te balance tes documents, et avant même que t'aies pu les rassembler elle a déjà appelé le suivant. Tout ça te fait peur et tu te sens tellement minable que tu veux pas y retourner. Mais ça arrange tous les Zimbabwéens de Harare Nord. Même Sekai et Paul; ils disent oui je peux venir habiter avec eux, mais là je sais moi, ils disent ça parce qu'ils s'attendent à ce que la Haute Commission fasse le sale boulot à leur place.

J'ai apporté à Paul et à Sekai un petit sac de cacahuètes du Zimbabwe; des cacahuètes que ma tante m'a apportées de sa maison rurale. Sekai jette un œil au petit sac et le met à la poubelle devant moi. Elle dit qu'on aurait jamais dû m'autoriser à introduire ces graines dans le pays vu qu'elles peuvent transporter des maladies. Puis elle sort et nous ramène un repas du McDo.

Je suis pas inquiet du comportement de Sekai moi. Mais Paul – il semble avoir oublié comment bien s'entendre avec moi. On a grandi dans le même township à une petite douzaine de rues chaque chaque alors c'est pas comme si on est des étrangers qui avons été forcés chaque chaque par nos familles.

Le jour où j'arrive chez eux, Paul revient du boulot et me dit à peine «salut» avant de remarquer l'œil perçant de Sekai, et de disparaître dans les toilettes. Quand il en sort il va dans la chambre. Sekai suit très peu de temps après. Je les revois plus cette nuit-là alors je regarde la télé seul moi, et vais me coucher à minuit. C'est peut-être la seule fois où je regarde la télé dans de bonnes conditions chez eux. La plupart du temps on s’assoit tous les trois au salon dans un drôle de silence. Paul s'endort tout de suite, ronfle sur le canapé, la bouche grande ouverte.

Sekai part faire son tour de nuit à l'Hôpital Saint Thomas où elle est infirmière et Paul commence à se comporter comme un gros cornichon, raide et bizarre parce qu'il est seul avec moi. Il oublie qu'il a pris un bain et s'en fait couler un autre. C'est quoi ce genre?

Paul s'assied jamais tranquille avec moi au salon. S'il se pointe et me dit clair et net que le fait que je vive chez eux ça rend les choses bizarres, je lui garderai pas rancune moi. Voilà comment il faut gérer les choses.

Les choses auraient été mieux s'il s’était débrouillé au sujet de Sekai, comme par exemple lui donner un petit bébé pour la tenir occupée. Mais c’est pas arrivé depuis qu'ils se sont mariés, et là, Sekai sait comment jouer avec Paul; la plupart du temps elle garde une distance froide entre elle-même et Paul, elle s'assied à l'autre bout du canapé comme ça il peut pas se mettre à lui faire des attouchements sexy. Et quand le téléphone sonne, elle décroche, coupe le son de la télé et reste sur le canapé à caresser le chien et à parler à ses amies pendant des heures. Ils ont un téléphone sans fil; elle pourrait aller dans une autre pièce et nous laisser regarder la télé tranquilles, mais elle fait pas ça Sekai. Elle veut que j'entende ses conversations, surtout quand elle se met à parler des Green Bombers, les gars du mouvement de jeunes au pays; ceux de la meute du chacal. Sekai passe des heures à dire que c’est qu'une bande de malfrats sans instruction qui aiment frapper les gens à coups de bâton. Je dis rien moi, pendant qu'elle raconte ces trucs parce que je sais que Sekai sait pas vraiment ce qui se passe au Zimbabwe vu que ça fait trop longtemps qu'elle est en Angleterre. Elle gobe toute la propagande qu'elle entend dans les journaux et à la télé de ce pays. Peut-être qu'elle pense ça parce que les Green Bombers ont visité le village où habite sa grand-mère, et la vieille peau a failli perdre ses tripes de peur vu qu'elle a été prise en faute à donner à manger aux sympathisants du parti d'opposition.

Les Green Bombers ne recherchent que les ennemis de l'État et Sekai comprend pas ça parce que là elle et Paul ils sont devenus de ces gens qui soutiennent le parti d'opposition du Zimbabwe. Les Green Bombers ils sont là pour aller enfumer les cahutes en tôle ondulée des ennemis de l'État, les chasser de là, et les disperser ensuite à travers la terre. Sekai et Paul ils arrivent pas à piger ça, mais je dis rien moi, et je laisse Sekai yari yari yari au téléphone, à traiter les Green Bombers. Elle sait rien. Elle connaît même pas le Camarade Mugabe. Le président peut se pointer et te fouetter avec la vérité. La vérité c'est comme un serpent parce qu'elle t'échappe des doigts quand elle bouge et qu'elle fait fuir les gens dans tous les sens quand elle se glisse dans la foule, mais Sekai sait pas. Le Camarade Mugabe est un esprit puissant; il peut chasser le serpent des hautes herbes en lui soufflant dessus comme si c'était un bout de papier – le porter haut dans le ciel clair et azur pour que chacun le voie. Puis quand il le relâche, les gens déchirent leur fros et courent se terrer de nouveau dans leur trou.

Sekai raconte parfois beaucoup de propagande au téléphone alors moi je vais dans les toilettes et je pense à mon vieux camarade Shingi. C'est un de ces vieux amis, vous savez comment c'est avec les vieux amis, on se connaît tellement bien que parfois tu sais plus si tes souvenirs lui appartiennent ou si c'est le contraire; les choses se mélangent et le temps devient un amas informe et tu sais plus quelle histoire appartient à qui. Il va être surpris que je sois ici maintenant. Shingi est arrivé à Harare Nord avant moi et a déjà repéré les choses dans cette ville. Il m'a déjà raconté comment les filles anglaises sont ennuyeuses parce qu'elles ont pas su l'apprécier ou le comprendre. Au pays, quand il était à l'école, il courait sur le terrain de foot, envoyait la balle aussi haut qu'il pouvait et toutes les filles criaient comme des folles, «Camarade Shingi, Camarade Shingi, l'Autochtone c'est lui!». Mais en Angleterre c'est différent, se plaint-il. Un matin en traversant à pied un parc de Brixton il rencontre un groupe de filles qui jouent au foot. Quand la balle roule vers lui, il l'attrape et l'envoie dix kilomètres en l'air, mais aucun hourra vient de ces filles. Elles le matent juste légèrement confuses et pas mal effrayées, ce qui est pas mal gênant vu que Shingi l'estime comme son meilleur effort jamais réalisé pour envoyer une balle aussi haut.

Dans les toilettes, des souvenirs se mettent toujours à sauter très haut dans ma tête et me donnent l'impression que ma tête est comme une boîte pleine de grenouilles. Un samedi matin, pendant notre troisième année d'école secondaire, Shingi monte un numéro de force qui est devenu l'attraction de l'année à l'école. Ce samedi matin glacial, alors que l'air est plus froid que le nez de Satan, un camarade de classe le repère en train de vendre des bananes sur Africa Unity Square. Avec des températures prêtes à plonger sous zéro, Shingi est là debout à lécher une glace à l'eau et à résister à tout ce que le climat lui jette dessus. A la minute où la nouvelle parvient à l'école, il devient un héros parce qu'il a tenu bon devant la dictature de l'hiver. «Ouiiii, l'Autochtone c'est lui, le Camarade Shingi.» Pendant tout un semestre ces cris résonnent dans les couloirs de l'école.

 

[1] Nous avons respecté le choix de l'auteur en matière de majuscules et de minuscules dans l'ensemble du roman, malgré que celui-ci prenne certaines libertés avec l'usage: état, Sida, Mère, etc. [NdT]