parution octobre 2020
ISBN 978-2-88927-754-4
nb de pages 204
format du livre 140 x 210 mm

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Vincenzo Todisco

L'Enfant lézard

Roman traduit de l'allemand par Benjamin Pécoud

résumé

Dans le pays d’accueil, il est d’abord un enfant qui n’a pas le droit d’être. Il vit caché sous le buffet, dans l’armoire ou au fond du cagibi. Les heures passent, les jours, les mois, l’enfant se métamorphose progressivement en lézard et se faufile dans la cage d’escalier. Bientôt il se glisse dans les appartements et le petit immeuble décati se mue en une galerie de portraits : il y a le couple de concierges, leur caniche noir et le Padrone qui d’une voix tonitruante impose sa loi ; mais aussi le vieux professeur, la violoniste qui perd doucement la tête, le gros Carlos. Et Emmy, bien sûr, la jeune voisine complice, qui finit par se sentir à l’étroit dans l’imaginaire de l’enfant lézard.

Par sa langue simple et précise, qui observe sans juger, ce roman saisit aussi l'esprit d'une époque, les années 1960-1970, dans un milieu ouvrier marqué par la dureté des politiques migratoires. "Nous avions appelé des bras, ce sont des hommes qui sont venus", disait Max Frisch.

LAURÉAT DU PRIX PIERRE-FRANÇOIS CAILLÉ DE LA TRADUCTION 2021

biographie

Vincenzo Todisco est né en 1964 dans une famille d’immigrés italiens, à Stans, en Suisse allemande. Après des études de langue et de littérature françaises et italiennes, il vit aujourd’hui près de Coire où il enseigne et se consacre à l’écriture. Si ses premiers livres sont en italien, il a écrit L’Enfant lézard en allemand, sa « langue de tête ». Premier roman traduit en français, il a reçu le prix Pierre-François Cailler de la traduction 2021.

Benjamin Pécoud, traducteur de « L’Enfant lézard », lauréat du Prix Pierre-François Caillé de la traduction 2021

RTS - La 1ère (émission Point de Fuite)

Que signifie être de là ou d’ailleurs ? Les notions d’assimilation ou d’intégration ont-elles un sens en Suisse, en France ou ailleurs ? Retour sur une rencontre originale enregistrée au Salon du livre de Genève le 29 octobre 2020, avec Vicenzo Todisco et Yancouba Diémé. Modétation, Christophe Canut.

A réécouter ici

AVIVO

"Ce livre est un cri du cœur. (…) Cette fresque parfois tragique, souvent cruelle, retrace avec précision et sensibilité le quotidien de ces travailleurs immigrés, une période qu’on ne doit pas oublier." Annette Zimmermann

RTS - Culture

L’Enfant lézard, parmi "les cinq livres marquants de l'année 2020" :
"Grison, issu de l'immigration italienne, Vincenzo Todisco décrit le sort d'un enfant de saisonnier dans la Suisse des années 1970. Évoquant la période des initiatives Schwarzenbach pour contrer la "surpopulation étrangère", l'auteur (qui parle les quatre langues nationales) se rappelle son incompréhension de gamin parfaitement intégré. Pourquoi se faire chasser, si l'on n'a pas commis de faute?"

Un article à lire en entier ici

La Liberté

"Vincenzo Todisco érige un monument littéraire aux « enfants du placard ». Ce livre important aide à comprendre l’histoire migratoire suisse. (…) En faisant le choix d’une perspective narrative extérieure qui décrit ce que fait l’enfant au lieu de ses pensées ou de ses émotions, Vincenzo Todisco évite le sentimentalisme facile et laisse au lecteur le soin de s’imaginer la détresse du protagoniste. Il en résulte un roman authentique et émouvant. Malgré sa thématique, L’Enfant lézard n’est pas un texte sombre. Des voisins se rendent compte de la présence de l’enfant ; ils l’aident, lui apportent réconfort et amitié." Stéphane Maffli

Télérama

"Le roman raconte cette vie d’effacement radical qui s’enroule sur elle- même pendant des années. Rares sont les romans qui prêtent à ce point secours à l’enfance déracinée, qui alertent sur la sournoise entreprise de démolition subie par les plus jeunes exilés, dans une invisibilité organisée.

Avec son écriture en lame de rasoir, simple, concrète, métallique, Vincenzo Todisco dépèce tout ce qui entoure l’enfant, prisonnier de son espace restreint. Il suit les contours des objets, des murs, des peaux, des sons et même des pensées, pour en recueillir les fines vibrations, en écouter les cris étouffés. La précision de sa langue, méticuleusement descriptive, vient prêter main-forte à l’enfant lézard dont « la solitude et les soliloques décousus ont effacé beaucoup de mots de la tête », au point que « les phrases forment des grumeaux, il ne parle plus que par bribes ». En révélant la sourde féerie que le petit reclus est capable de faire jaillir de ses jours gris silex, l’écrivain l’encourage à puiser dans ce qu’il a de meilleur. Il prouve à son héros qu’il a de la ressource, que de savoir rire aux éclats en silence devant un film à la télé ou de connaître le nombre de pas nécessaires à chaque trajet dans son appartement pourra lui servir à l’avenir. Car il doit y avoir un avenir...

La force du roman vient d’un paradoxe atroce : l’enfant est aimé, sans bruit, profondément, mais c’est un enfant battu d’avance, un enfant tué à petit feu par le destin, sacrifié par l’Histoire qui se répète sans prendre soin des innocents à peine nés. (…) Ce livre trouve aujourd’hui un écho particulier, amplifié par le timbre pénétrant d’une voix littéraire unique, traduite en français pour la première fois." Marine Landrot

L’Événement Syndical

"Œuvre forte, intense, L’Enfant lézard pose un regard sobre sur une réalité sombre au moyen d’une écriture maîtrisée, factuelle, presque clinique. En ce sens, le récit met bien en évidence les réalités d’un assujettissement à une vie dans le placard, carcan que le lecteur pourra aisément ressentir comme glaçant par son oppression. (…) Vincenzo Todisco porte notre regard sur le destin des enfants cachés. Des turpitudes longtemps enfouies mais qui ont été saisies, à présent, avec maestria par la plume d’un grand écrivain."

Un article de Fabrice Bertrand à lire en entier ici

Le Courrier

"L’Enfant lézard se présente comme un roman d’apprentissage inversé – un roman de l’effacement. (…) La métaphore du lézard permet à Vincenzo Todisco de dépeindre avec pudeur cette lente désagrégation, empruntant ses images à l’imaginaire enfantin. Puisque les paroles manquent, la souffrance s’incarne, elle se traduit en gestes, en actes, dans une langue simple et factuelle qui reflète le point de vue d’un garçon empêché d’exister et d’exprimer quoique ce soit. Ce qui frappe, c’est sa solitude radicale, mais aussi ce que celle-ci dit de la peur qui habite ses parents, de leur sentiment d’illégitimité, de l’impossibilité de nombre d’immigrés de quitter l’entre-deux, le provisoire, pour occuper une réelle place au monde. L’enfant lézard apparaît alors comme un symptôme, la transposition aussi poétique que tragique d’une souffrance clandestine, d’un effacement délétère. Étrange et merveilleux, déchirant sans pathos, L’Enfant lézard aborde ainsi avec grâce l’un des tabous de l’histoire suisse tout en questionnant finement la place qu’on accorde toujours – ou pas – au étrangers." Anne Pitteloud   

En lisant, en écrivant

"Derrière ce qui ressemble à un conte noir et cabossé, au-delà de ce personnage d’enfant incroyable de résistance et d’imagination, il y a la réalité de l’immigration ouvrière. L’hostilité envers les Italiens est clairement manifestée par le patron du père par exemple, qui les méprise mais n’hésite pas à lui demander de prendre davantage de responsabilités sans aucune contrepartie financière, ou par les gardiens de l’immeuble qui les suspectent sans cesse, presque par principe, et les dénonceraient sans aucun scrupule ni remords. La peur les accompagne tout le temps : la précarité de leur situation d’immigrés soumis au bon plaisir de leur pays d’accueil et la pauvreté au pays qui les pousse à endurer une vie détestée les rendent aveugles à la souffrance du petit garçon, à la solitude de leur adolescent qui l’exprime parfois par des cauchemars remplis de loups.

Un roman noir écrit sans pathos ni lourdeur, accompagnant au plus près la vitalité de l’imaginaire de l’enfant, souple et rapide, à la fois partout et nulle part."

Une chronique de Flore Delain à lire en entier ici

GHI

"A la manière de Gregor Samsa, le héros de La Métamorphose de Kafka qui se transforme en monstrueux insecte, le personnage de Vincenzo Todisco devient petit à petit un lézard." Fabio Bonavita  

Literaturhaus (Zurich)

Rencontre virtuelle avec Vincenzo Todisco et son traducteur Benjamin Pécoud, organisée par la Literaturhaus de Zürich dans le cadre du cycle "Ces voisins inconnus". À visionner ici

En attendant Nadeau

"Les enfants maltraités ont leurs entrées dans la littérature, mais c’est sans doute la première fois qu’un livre s’empare de cette forme peu connue de maltraitance qui consiste, dans un pays de liberté et de droit, à dénier à l’enfant d’immigrés temporaires le droit d’accompagner ses parents et de partager la vie des autres. L’enfermement que subit ici l’enfant n’est pas celui de Kaspar Hauser, il n’est pas persécuté comme Anne Frank, ni malmené comme Cosette ou Poil de carotte. Il n’a rien d’un enfant martyr, mais la semi-claustration le transforme peu à peu, le réduit à voir le monde par les yeux d’un petit reptile qui explore les murs et leurs fissures.

La traduction française de Benjamin Pécoud épouse bien le rythme d’une prose qui agit par son dépouillement, son vocabulaire précis, et dont les ralentis et les accélérations rappellent les mouvements du lézard. De la tension surgissent des images à l’état brut, comme dans un film ou une bande dessinée. Les phrases courtes de Todisco, aussi sèches qu’un rapport parfois, relatent sur un ton dépourvu d’émotion le calvaire ordinaire d’un être qui parvient au seuil de l’âge adulte alors que ses années d’enfance ont été mises entre parenthèses."

Un article de Jean-Luc Tiesset à lire en entier ici

VSD

"Parce qu’il n’a pas simplement pas le droit d’être là, donc d’exister, ce fils d’immigrés italiens se transforme petit à petit en lézard. C’est futé, drôle et d’une implacable brutalité."

Le Temps

"C’est grâce aux Editions Zoé que nous découvrons ce roman qui fait entrer le lecteur dans la tête d’un enfant clandestin. (…) Pour mettre des mots sur cette expérience et sur ce qu’elle raconte du « pays d’accueil », et du « pays d’origine », sur ce qu’elle dit aussi d’une époque et de son empreinte sur aujourd’hui, Vincenzo Todisco la pousse jusqu’à l’extrême, jusqu’à la fable, jusqu’au drame. (…)

C’est d’avoir su à ce point traduire le regard de l’enfant qui fait de L’Enfant lézard une lecture si marquante. (…) Laissé seul pendant que les parents travaillent, à l’usine le jour, puis la nuit à nettoyer des bureaux vides, le garçon flotte littéralement dans l’appartement, dans un silence sans bornes, un silence si dense que le lecteur l’entend, à la nuance près. (…) Le talent de Vincenzo Todisco est de montrer graduellement comment le rêve vacille, sous le poids de la réalité, de l’usure prématurée des corps, des coups du sort. Plus le projet devient fantasme, plus s’y accrocher paraît impérieux et plus s’opère la métamorphose de l’enfant. D’enfant, il devient reptile, monstre qui rampe sans bruit, comme la seule expression possible d’une violence indicible."

Un article de Lisbeth Koutchoumoff à lire en entier ici

RTS - Culture

"Le traumatisme de l’enfant caché est présent dans chaque mouvement, chaque réflexion et chaque geste. C’est le récit d’une vie dissimulée, raconté par le prisme d’une juste perspective, d’une juste voix. Un travail romanesque incroyable."

Vincenzo Todisco était l’invité de Géneviève Bridel sur RTS Culture. Un entretien à réécouter ici

La livrophage

"Un roman très particulier (…) à l’écriture sans fioritures.
On n’arrive pas à donner un visage [à l’enfant], il n’est qu’un corps qui glisse d’ici à là sans bruit, incolore, inodore, silencieux. Il y aura une sorte d’émancipation peu à peu, l’enfant créera des liens, sortira en cachette et toujours aussi furtivement ; mais caché, il l’est plus que physiquement, il est comme annihilé par ces années d’invisibilité forcée, privé d’une existence au monde. (…) C’est un très bon livre, remarquable par sa capacité à nous faire éprouver ce qu’il diffuse, et c’est en cela que sa lecture n’est pas aisée."

Un article à lire en entier ici

RCF

"Un livre très bien écrit qui soulève beaucoup de questions."

Une chronique de Caroline Leddet à écouter en entier ici

Livres Hebdo

"Pendant les deux tiers du livre, le lecteur ne quitte pas le périmètre de l’appartement, de l’immeuble, restant dans les limites du territoire de l’enfant. Pourtant la phrase sans emphase de Vincenzo Todisco n’oppresse pas mais épouse au contraire la souplesse des mouvements du garçon. Plus de quinze ans s’écoulent, qui s’écrivent dans un présent éternel. Ce présent perpétuel du récit : le seul temps du roman qui dit si bien le caractère immobilisé de la vie recluse." Véronique Rossignol

Atout livre

"Un récit court, poétique et coloré qui réussit parfaitement à retranscrire l'histoire d'une famille et d'une enfance particulière." Hélène

Cordeliers

"Ce que l’on retient surtout de cette lecture c’est à la fois l’économie de moyens employés par la langue de Vincenzo Todisco qui convient si bien à la modestie du milieu qu’elle dépeint, et la souplesse, la liquidité, l’insaisissabilité dont elle fait preuve lorsqu’il s’agit de parler de ce garçon à peine réel, caché au monde et aux lois." François

Payot Cornavin

"Devenir lézard pour devenir libre... et pour observer les autres!" Christine

L'Oiseau siffleur

"Il faut lire ce roman d'un enfant caché par une famille d'Italiens qui émigrent en Suisse Allemande dans les années 60. Cet enfant hors norme va grandir et se créer un monde à part, une relation à son environnement tel le lézard, vif, silencieux, instinctif. Une sacrée découverte."

L'Enfant lézard: extrait

1

 

L’enfant ouvre d’abord l’œil droit, puis le gauche. Il a la tête à deux endroits. Une fois à Ripa, où rien ne peut lui arriver, et une fois dans l’appartement, où il doit compter ses pas. Quatre pas jusqu’à la table, deux jusque sous le buffet, un grand pas jusqu’à l’évier et dix petits pas de la cuisine jusqu’au milieu du long couloir. Le point le plus éloigné est la stanza in fondo, la chambre du fond. En cas d’extrême urgence, il faut à l’enfant exactement vingt-trois pas pour y atteindre la grande armoire.

Dehors aussi, l’enfant veut compter ses pas. Mais la lumière vive frappe son visage et l’aveugle.

La nuit surgissent les loups. Il faut marcher à pas feutrés. Mais les loups le trouvent quand même. Ils se penchent sur son lit et montrent les crocs. L’enfant appelle doucement Nonna Assunta qui habite loin de là, à Ripa. Il entend la voix de Nonna Assunta : « Parle-moi, chuchote-t-elle, parle-moi et serre les poings, alors les loups ne te feront rien. »

 

On sonne à la porte. C’est sûrement la mère de Carlos qui une fois de plus a besoin de farine et qui est toujours pressée parce qu’elle ne veut pas laisser son fils trop longtemps seul. La mère va ouvrir. Elle revient à la cuisine pour prendre la farine dans le buffet et retourne à la porte. L’enfant entend les deux femmes discuter. « Mon Carlos, il est trop gros, beaucoup trop gros », se lamente la femme. La mère dit qu’elle devrait aller voir un médecin et lui tend la farine. Elle l’a même emmené à l’hôpital, raconte la mère de Carlos. Personne ne pouvait les aider. La conversation continue un moment comme ça, jusqu’à ce que la mère de Carlos déclare qu’elle doit y aller et la mère ajoute qu’elle aussi a beaucoup à faire. L’enfant écoute tout jusqu’au dernier mot. Il connaît la consigne. Sitôt que la mère fait entrer le visiteur, il doit ramper sous le buffet. S’il est dans le couloir, il a tout juste le temps de faire les treize pas pour aller se cacher dans l’armoire de la stanza in fondo.

 

Le dimanche, le père va au baraquement avec ses collègues de travail pour jouer aux cartes ou à la boccia. Mais avant, les hommes s’asseyent un moment à la cuisine et boivent le café. Ils parlent du chantier, de la nourriture, de l’été au pays, où la chaleur donne des frissons et rend le travail pénible. C’est parce que la région est plate là-bas, ou tout au plus vallonnée, affirme l’un des camarades. Dans le pays d’accueil, avec le froid, la vie sur le chantier n’est pas simple non plus, rétorque le père. Les mains gercent et la transpiration qui sèche sous les habits donne froid. Pendant que le père parle, la mère sert la grappa et refait du café.

Les hommes boivent une deuxième puis une troisième tasse. Ils sont fatigués de leur semaine de travail. Ils rient parce que l’un d’eux s’est endormi sur sa chaise en fumant.

La mère s’en va. Elle a rendez-vous avec la mère de Carlos pour faire des conserves d’artichauts. C’est alors seulement que les hommes commencent à parler des femmes. Ils en parlent comme si la vie sans un certain type de femmes était une erreur. Le père a un faible pour les actrices américaines : à ses yeux, Marilyn Monroe est la référence absolue. Il a découpé sa photo dans un magazine. Dans les baraques, chaque travailleur saisonnier punaise une image froissée au mur. Chacun a son amante secrète. Les plus belles s’appellent Sofia Loren, Gina Lollobrigida, Mariangela Melato, Claudia Cardinale, mais le père avec son surnom américain, Al, est le seul à s’être choisi une Américaine, la plus belle parmi les plus belles.

Depuis que le père n’est plus obligé d’habiter au baraquement, il garde la photo de Marilyn dans son portefeuille. L’enfant ne doit rien dire à sa mère. Mais il sait qu’elle a déjà vu plusieurs fois la photo dans le portefeuille. Et il sait que cela ne la gêne pas. Il ne lui a pas non plus échappé que le père va des fois voir les femmes avec ses collègues. Les hommes font des blagues à ce propos. L’enfant se figure plusieurs Marilyn Monroe donnant leur photo aux hommes, pour qu’ils la punaisent sur les parois des baraques.

Quand les hommes boivent le café, l’enfant n’est pas dans la cuisine. Mais il entend ce qui s’y passe.

 

Toutes les semaines se terminent par un dimanche, mais quand les jours raccourcissent, qu’ils raccourcissent et s’assombrissent, il arrive que la mère pleure le dimanche au fourneau. Quand elle veut réprimer les sanglots, elle serre si fort les lèvres que son menton tremble. En présence du père, elle ne laisse même pas monter les larmes.

 

Le tourne-disque est installé à côté du buffet de la cuisine. En semaine, l’enfant a la permission de mettre des disques. Quand l’un a fini de tourner, l’enfant va jusqu’à la platine, soulève délicatement le bras, le ramène jusqu’au bord du vinyle et dépose l’aiguille sur le premier sillon. Sitôt que la musique retentit, l’enfant imagine des choses étranges.

« Quand les loups grattent à la porte avec leurs griffes, chuchote-t-il, je monte dans la barque. » La mère porte l’enfant jusqu’à la stanza in fondo. « Et elle est où cette barque ? » s’inquiète-t-elle. L’enfant montre du doigt la fenêtre. Il veut être soulevé pour pointer les pavés de la cour qui sont recouverts d’une fine couche de mousse. La barque est là.

 

Le dimanche est suivi du jour où le travail sur le chantier reprend. C’est pareil toutes les semaines. Entre les dimanches, le temps s’éternise. Comme les rideaux de l’appartement sont le plus souvent fermés, l’enfant ne voit presque rien du jour.

La nuit, les hurlements des loups le tirent du sommeil. Ses yeux sont si collants qu’il n’arrive pas tout de suite à les ouvrir. Alors il lui semble que sa tête est malade et il parle au silence.

 

Pendant la journée, l’enfant aimerait faire ce qu’il fait à Ripa, des culbutes, des sauts depuis le bord du lit, monter sur le vélo avec son cousin plus âgé et courir après le ballon dans le jardin. Le père essuie la sueur de son front et dit à la mère de veiller à ce que l’enfant reste silencieux. Au moindre bruit, il regarde en direction de la porte.

Les craintes ne sont pas exagérées. Le père a entendu parler d’un couple qui a donné des somnifères à son enfant pour que, le temps du voyage, il reste tranquille dans le coffre de la voiture. L’air grave, la mère demande à l’enfant : « Tu as entendu ? » Elle lui parle d’une jeune femme qu’elle a rencontrée dans le train, presque une gamine encore, avec un nourrisson dans les bras. Ses larmes tombaient sur le visage du nouveau-né. On les avait refoulés à la frontière.

Depuis, l’enfant jette autour de lui des regards effrayés. Il se poste derrière la porte de la cuisine ou dans le cagibi. Il se réfugie aussi dans l’armoire de la stanza in fondo. Une lumière pâle s’immisce par les fentes. Dans l’armoire, quand l’enfant retient son souffle, tout devient deux fois plus silencieux.