parution janvier 2023
ISBN 978-2-88907-101-2
nb de pages 240
format du livre 140x210 mm

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Chuang Hua

La Femme traversante

Traduit de l'anglais par Serge Chauvin

résumé

Parce qu'elle est la quatrième de la fratrie, on l'appelle Jane Quatre. Son père, Dyadya, a fui la Chine en guerre et fait fortune à New York. Patriarche aimant mais autoritaire, il maintient la cohésion familiale, mise à rude épreuve lorsque son fils aîné tombe amoureux d'une "barbare" – une Blanche; ou que Jane refuse les maris qu'on lui propose et part loin des siens, jusqu'à Paris, où elle rencontre un journaliste français.
Sobre et sensible, Chuang Hua raconte la quête d'une femme pour trouver sa place entre Orient et Occident, concilier traditions familiales et besoin de liberté.

biographie

Stella Yang Copley (1931-2000) est née à Shanghai. Elle est encore enfant quand sa famille quitte la Chine envahie par le Japon et s'installe aux États-Unis. Après ses études, elle mène à New York puis dans le Connecticut une vie retirée. D'inspiration autobiographique, La Femme traversante est son seul roman, publié en 1968 sous son nom chinois, Chuang Hua.

RCF Limousin

"Ce roman est constitué d’une multitude de petits fragments qui permettent d’esquisser le portrait la narratrice. La narration est éclatée et c’est déroutant. Jane évoque ses souvenirs d’enfance, son quotidien, ses fantasmes et ses cauchemars. Elle passe de l’un à l’autre sans transition. Il faut accepter de lâcher prise et se laisser porter par une langue raffinée qui fait appel à tous nos sens. Cette lecture est un magnifique voyage qui nous nous plonge dans l’intimité d’une femme qui oscille entre tradition et modernité. Une très belle découverte."

Écouter la chronique de Laurence Hilaire dans l’émission « Cultur'L » ici (minute 22)

Le Temps

"Les époques, les lieux, les voix se mêlent sans crier gare, jusqu’à l’intérieur d’un paragraphe. Comme le dit l’universitaire Amy Ling dans sa postface de 1986, «la prose est souvent d’un élégant dépouillement, syntaxe et ponctuation y échappent à la norme. Les guillemets sont omis, les phrases volontiers fragmentées ou au contraire enchaînées sans point…». C’est déroutant et fascinant, d’autant plus que les affects sont tenus en bride. Quand les conflits internes, les émotions s’expriment, on en reste tout surpris. (…)

Quand paraît le roman, en 1968, la littérature sino-américaine n’est pas encore étudiée. Le livre passe inaperçu jusqu’à sa réédition en 1986, avec la postface d’Amy Ling. Aujourd’hui, il s’inscrit, au-delà de son cas individuel, dans un large courant qui insiste sur «l’affirmation de la différence et la réappropriation des origines». Et ses audaces stylistiques sont toujours aussi étonnantes."

Un article d’Isabelle Rüf à lire ici

Le Monde

"Au commencement, Jane Quatre tente de se soustraire à sa famille trop envahissante. Elle veut « exister séparément quelque temps ». Elle part pour Paris, se cherche, sa voix disparaît derrière les souvenirs, se perd, le roman se peuplant d'images de beauté et de mort. (…)

Passé d'abord inaperçu, La Femme traversante ne sera redécouvert que plus tard, et son importance constamment réévaluée. Sa virtuosité, son modernisme, le traitement du personnage principal, sa narration éclatée et hypnotisante en font un texte pionnier de la littérature asiatico-américaine. Mais, Jane Quatre flirtant avec le Roquentin de La Nausée, de Sartre il est également un objet d’art insaisissable et déroutant. Car l’identité incertaine du personnage principal est au cœur du texte. (…)

De ce pas grand-chose qui n’aboutit à rien, Chuang Hua dresse une peinture d’une rare sobriété, économe de ses adjectifs, de ses figures. Un texte tout en netteté et en contraste où les dialogues se confondent avec le récit, les personnages se superposent les uns aux autres. Si, comme le prétend son amant français, « la place d’un écrivain est à la cuisine », Chuang Hua fait des restes d’une vie de déplacements un festin." Nils C. Ahl

La Côte

"D’inspiration autobiographique, [le] roman raconte comment Jane Quatre (Quatre parce qu’elle est la quatrième de sa fratrie) refuse les maris chinois qu’on lui présente, rencontre un journaliste français, et tente de résoudre un conflit intérieur entre héritage familial et liberté. (…)

Dans La femme traversante, les personnages chantent et les couleurs font des taches violettes, jaunes ou rouges, sur les fruits ou les habits. Malgré des images crues, les contours de ce dernier sont beaucoup moins nets. (…)

Si les contours sont flous, c’est que la quête est intérieure. Ce qui ordonne les scènes et les images n’est pas une ligne chronologique, mais la conscience de la narratrice. Comme le précise Amy Ling, pionnière des études sino-américaines, dans sa postface de 1986, Jane Quatre a vécu de nombreux déplacements, et plusieurs conflits la traversent, notamment entre la Chine et l’Amérique. Cuisiner des repas de plus en plus élaborés à son amant lui permet de trouver de la plénitude, et devant certaines émotions, seul un plat peut la satisfaire, « ces crabes qu’on fend encore tout crus ». (…)

Un mouvement qui est tout simplement celui de la vie, comme celui de l’air qui entre et sort des poumons du grand-père de Jane Quatre, pratiquant la gymnastique devant l’ancien pavillon du gardien, image et phrase qui clôt La femme traversante : « L’air sort de sa bouche en bouffées de vapeur qui se dissipent dans l’air du matin. » Laurence de Coulon

Culturehebdo.com

"Les livres sur l’Holocauste et ceux sur la migration ont donné naissance à des ouvrage d’une force inouïe en raison de la somme de matériaux dans lesquels témoins, écrivains, biographes peuvent puiser à l’infini. Un terreau fertile pour puiser des valeurs ou leur absence. En voici un sur la confrontation psychologique entre l’occident et l’orient qui vous habite. (…) Un roman qui marque les esprits. Au premier chef, ceux qui ont connu les atermoiements de la migration."

Un article à lire ici

Le blog de Francis Richard

"Comme le dit Amy Ling dans sa postface, ce livre est un récit éclaté et le lecteur doit se laisser entraîner par le courant. Peu à peu, à grands traits, il se dessine. Car il n'y a pas de chronologie dans cette histoire où se mêlent rêves et réalités, laideurs et beautés, présent et passé, souvenirs et fantasmes."

Une chronique de Francis richard à lire ici

Le Courrier

«La lumière inonda l’écran blanc et vide. Le bout de la bobine tapota la machine bourdonnante. Puis, la lumière s’éteignit.» L’impression d’avoir enfin pu comprendre le cheminement d’une vie, juste avant que tout s’arrête: c’est le premier sentiment qui submerge le lecteur en refermant La Femme traversante de Chuang Hua, un texte qui bouleverse la chronologie, brouille les frontières entre narration et discours, et masque l’identité de certains personnages en utilisant exclusivement des pronoms pour les désigner. (…) Véritable fresque mémorielle, La Femme traversante oscille entre les Etats-Unis et Paris, les anniversaires et les enterrements, et s’impose par la force des sentiments qui lient ses personnages jusque dans l’opposition ou l’adversité. Si le lecteur doit finalement attendre «l'écran blanc et vide» pour saisir l’œuvre dans son ensemble, il lui suffit de prêter attention à une main serrée entre Jane et son père pour être transporté. Léa Pfister

Les Notes (Choisir & Lire)

"Dans ce premier et unique roman, écrit en 1968, nous sommes loin du récit ethnographique (l’intégration de migrants chinois aux Etats-Unis) ou d’une autobiographie classique (le nom de l’autrice est celui d’une des sept enfants, seule piste pour l’identifier). Le cœur du livre est l’enracinement et l’adaptation à un nouveau milieu. La métaphore végétale est souvent convoquée même si, à défaut de terreau, les personnes s’enracinent dans leur famille, leurs traditions. Ce manque d’attaches nationales est très habilement traduit par une topographie indéfinie, une temporalité floue mais aussi une narration déconstruite, ce qui plonge immanquablement le lecteur dans un état de flottement et d’instabilité proche de celui de l’héroïne." P.M. et P.H.

Daily Passions

"On comprend l’intérêt de ce livre aujourd’hui où les guerres, le climat, la politique poussent les personnes à migrer, à sortir de leur ‘inconfort’ pour se mesurer au monde et s’y perdre. Chuang Hua est : ni tout à fait une autre ni tout à fait elle-même, elle veut se trouver. Et elle raconte une quête comme elle est vécue en donnant cette impression d’écrire en pointillé ses seuls moments de conscience du monde."

Une chronique de Noé Gaillard à lire ici

Le Matricule des anges

"Jane Quatre est la quatrième d’une fratrie qui a fui la guerre en Chine pour New York, où leur père fait fortune. Là-bas, il élève ses enfants dans un monde conçu pour eux, qui se passe d’espaces réels mais s’entoure de murs infranchissables d’histoires et de traditions. Lorsque le fils aîné décide d’épouser une blanche, le choc est tel que Jane part à Paris, espérant confusément y stabiliser son identité. À partir de ce milieu géographique jamais nommé, entité abstraite dans un paysage existentiel en recomposition, elle se laisse assaillir par les rives occidentale et orientale de sa vie.

Condamnée à l’entre-deux, Jane Chuang Hua - dont le nom même « procédait à la fois du masculin et du féminin » - traverse sans aucune boussole des seuils, des appartements, des rues et jusqu’au réel, dérapant dans le rêve et les visions." Feya Dervitsiotis

AOC

"Jane Quatre, appelée ainsi comme ses frères et sœurs par son rang dans la fratrie, est partie de New York, loin de sa famille. Dyadya, leur père, avait auparavant fui la Chine en guerre. À l’image de l’histoire de Chuang Hua (1931-2000), l’auteure de ce roman datant de 1968, et longtemps oublié. Pourtant, « il n’en constitue pas moins un jalon majeur de la littérature sino-américaine », comme l’écrit en postface Amy Ling, pionnière des études asio-américaines, à cette première traduction en français par Serge Chauvin."

Arbre à lettres Bastille

"Dans la trame de l’histoire de cette famille sino-américaine se sont glissés de petits trésors: des moments précieux comme des perles cachées dans un morceau de savon, le bruit de l’aiguille qui traverse les couches du tissu, le vent humide qui gonfle les rideaux…"

Au vent des mots

"Un roman pudique sur la quête d'émancipation d'une femme profondément attachée à ses racines."

Delamain

"Un chef d'oeuvre de la littérature sino-américaine, en forme de quête de soi. Chuang Hua explore le fossé entre les générations et l'opposition entre modernité et tradition, dans une écriture feutrée, d'une remarquable sobriété, toute en visions tantôt terribles tantôt douces. Quelle découverte !"
 

Le Phénix

"Un récit intime. (...) Les liens familiaux sont très bien décrits, ils sont très beaux et le personnage du père est très touchant. (...) ce style donne l'impression de traverser la vie de cette femme, d'être immergé dans ses pensées." Laura

La Femme traversante: extrait

C'était toujours la dernière semaine d'avril qu'on célébrait l'anniversaire de Ngmah. Quelques jours avant l'événement, Dyadya leur téléphona comme d'habitude de son bureau pour préserver la surprise. Son injonction finale, avant de raccrocher, fut de leur rappeler de penser à envoyer des fleurs.

Mais ils n'avaient pas besoin de ce rappel à l'ordre. Cela faisait tant d'années que chaque mois d'avril il le leur rappelait. Cette fois-là, par ordre de préséance, Nancy Une envoya un forsythia, Katherine Deux des roses bien roses, Christine Trois une corbeille de chrysanthèmes jaunes, Jane Quatre des gueules-de-loup roses de plus d'un mètre de long, Michael Six des lilas blancs, d'où les sortait-il, et Jill Sept des géraniums roses, rouges, corail et bordeaux, en pots séparés par couleur mais réunis dans la même corbeille. James Cinq, se trouvant à l'étranger, n'était pas représenté.

Dyadya s'assit à son bureau pour rédiger une lettre. Cher James, nous partons en Extrême-Orient début septembre, revoir pour la première fois cette partie du monde que nous avons quittée il y a plus de vingt ans. Je t'en prie, rejoins-nous là-bas dès que tu seras démobilisé. Jill Sept, qui n'est jamais allée dans ces régions, nous accompagnera également. Tu trouveras ci-joint un chèque pour couvrir tes frais de voyage.

Ngmah était installée dans son propre bureau, avec vue sur le parc. Elle était la plus belle d'entre toutes, n'est-ce pas ? Elle retouchait les ourlets d'une robe qu'elle comptait porter à son repas d'anniversaire. Cela faisait plus de vingt ans qu'elle la rallongeait et la raccourcissait, un centimètre en plus ici, un en moins là. Quel soulagement d'aller enfin en Extrême-Orient pour se faire faire d'autres vêtements, taillés sur mesure et cousus sur le modèle.

Elle procédait par point serrés et réguliers, soigneusement, au rythme de ses pensées. Ah, toutes ces belles robes qui seraient à elle. Et celle qu'elle porterait au mariage de James, quelle étoffe conviendrait, brocart ou dentelle, et quelle femme choisira-t-il parmi toutes les prétendantes, il faut l'aider à choisir.

Arrivée au bout du fil, elle le noua et coupa l'excédent d'un coup de dents, s'interrompit un instant pour regarder par la fenêtre avant de regarnir son aiguille. Elle aperçut au loin le clocher d'une église. Entre le clocher et la fenêtre, le parc se déployait dans sa luxuriance printanière toute neuve. Écumer les boutiques pour trouver le tissu parfait. Trouver un tailleur expert qui maîtrise les secrets de la coupe parfaite, du façonnage parfait. Avec ou sans liserés, les boutonnières en forme de papillons, les heures et les heures d'essayage. Le tailleur s'agenouille pour mettre et retirer les épingles. Quelle longueur, madame ?

Elle releva l'ourlet d'un centimètre, examina le miroir devant elle, les deux miroirs qui l'encadraient et un autre encore derrière elle. Là, un peu plus bas. Parfait. Elle laissa retomber l'ourlet.

Elle garnit son aiguille et reprit ses points à l'endroit où elle s'était arrêtée. Les jours, les semaines, les mois, les années, les douleurs de l'enfantement, les absences, les traversées, les guerres, les deuils, la solitude, les tempêtes en mer, la soif et la faim, son père mort, des kilomètres de soies fraîchement teintes flottant mornes et lourdes dans les eaux du canal, des soies tordues et enroulées suintant de couleurs pas encore fixées au tissu après avoir trempé toute la nuit dans le canal, des soies déroulées séchant au soleil sur la route bordant le canal.