parution mars 2009
ISBN 978-2-88182-649-8
nb de pages 144
format du livre 105 x 165 mm
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Adrien Pasquali

Le Pain de silence

résumé

« “Sans doute n’as-tu jamais été un enfant ” dit ma mère sans remuer les lèvres, sans prononcer une syllabe ni un mot, avec ces yeux tristes, en veilleuse que je lui ai toujours vus, comme si elle avait en permanence tiré le rideau sur sa vie, comme si elle avait pu bien sûr être là face à moi, avec son corps et sans pouvoir exprimer ce qui l’habitait, nulle syllabe, aucun mot, depuis tant de temps, un temps qui me dépassait, me submergeait…»

biographie

Né en Valais en 1958 dans une famille d’émigrés italiens originaire de la région de Gênes, Adrien Pasquali a passé par le célèbre collège de Saint-Maurice avant de faire des études à Fribourg et une thèse de doctorat sur Adam et Eve de Ramuz. Brillant universitaire, traducteur et surtout écrivain, il s’en est allé en 1999 quelques jours après la parution de son grand œuvre Le Pain de silence. Eloge du migrant (1984), Les Portes d’Italie (1986), L’Histoire dérobée (1988), ou La Matta (1994) se distinguaient déjà par un équilibre rare entre densité, émotion et maîtrise de la langue. L’émigration et la déchirure, deux motifs récurrents dans son œuvre, l’auront conduit à se constituer grâce à l’écriture. Passionné de littérature romande, il disait à propos de Ramuz : «Je découvrais le pays de cet autre qui me forçait bien obligeamment à découvrir le mien. »

Libfly

"Le Pain de silence se déguste subrepticement, en délicatesse. Ce récit est la mer qui se déchire, une myriade en plein envol. On lit en proie à cette magie nourricière. Ce récit de vie d’Adrien Pasquali est un hymne à la mère, bouleversant, grave et irréversible." Evelyne

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La Matta (2002)

La Matta

Un jour d'été un voyageur arrive dans un village qui surplombe la mer. Endormies au coeur de cette journée reposent d'autres journées semblables, journées d'enfance à travers lesquelles erre comme une ombre la Matta, la folle. Deux enfants la suivent à la trace pour la protéger "d'elle-même et des quelques autres capables de lui dérober ce qui ne lui appartient plus". Le charme de ce récit opère comme la chaleur d'une journée d'été : bruits, odeurs et troubles menaces cernent l'innocence des deux enfants. Le village est hanté par des personnages felliniens, par une obscure intrigue et par l'interrogation que posent la folie et sa souffrance gratuite.

Une Vie de livre (2000, Minizoé)

Une Vie de livre

Mauvais coton (2000, domaine français)

Mauvais coton

Le Pain de silence (1999, domaine français)

Le Pain de silence

« Sans doute n’as-tu jamais été un enfant ». Cette phrase, la mère de celui qui parle ne l’a peut-être jamais prononcée, mais elle l’a dite avec son corps, avec ses yeux tristes. A partir de ces mots se dévide, en deux amples coulées sans point ni paragraphe, ce récit d’une enfance qui n’en a pas été une. Sa mère perpétuellement alitée, son père absent, le petit garçon est condamné à des responsabilités d’adulte, voué à la solitude et au silence. Un silence installé au centre de la table chaque fois que la famille est réunie pour un repas ; un silence aussi dur que les pierres que le père attaque à la dynamite dans les galeries où il travaille. Un silence auquel les voisins, l’injure mordante et la calomnie inventive, forcent cette famille étrangère. Mais un silence qui est aussi la seule chose que tous trois aient eu en commun.

La Matta (1993, domaine français)

La Matta

Le Veilleur de Paris (1990, domaine français)

Le Veilleur de Paris

Le Pain de silence: extrait

 

I

sans doute n’as-tu jamais été un enfant,

« sans doute n’as-tu jamais été un enfant »

dit ma mère sans remuer les lèvres, sans prononcer

une syllabe ni un mot, avec ces yeux

tristes, en veilleuse que je lui ai toujours vus,

comme si elle avait en permanence tiré le

rideau sur sa vie, comme si elle avait pu bien

sûr être là face à moi, avec son corps et sans

pouvoir exprimer ce qui l’habitait, nulle syllabe,

aucun mot, depuis tant de temps, un

temps qui me dépassait, me submergeait,

« sans doute n’as-tu jamais été un enfant »,

ce temps à elle dont je ne sais presque rien,

nulle syllabe, aucun mot, aucune photographie

non plus, aucune image me permettant

d’entrevoir, de supposer et de jalouser peutêtre

son enfance et les années qui suivirent

avant « sans doute n’as-tu jamais été un

enfant », ce temps à elle quand elle aurait eu

des syllabes, des mots, des gestes, des yeux

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éloquents, cela a bien dû exister quelque

part, mais rien, nulle syllabe, aucun mot,

nulle photo ne m’avait été tendue, comme

on sourit, tend la main, tend une perche,

aucune mention, aucune allusion, rien, pouvant

susciter mon plaisir, mon étonnement,

ma curiosité, rien qui m’aurait amené à

poursuivre, à déjouer « sans doute n’as-tu

jamais été un enfant », et il y aurait eu là le

brouillon, l’esquisse, l’ébauche non d’une

conversation, ce sont toujours les autres

qui ont des conversations, soi-même, nousmêmes

jamais, non une conversation ni un

dialogue, bon pour les autres, mais d’un bain

de paroles aussi consistantes et nécessaires

que l’air que l’on respire sans que nous

ayons à l’expulser, à n’exprimer que le gaz

carbonique qui est la mauvaise part de l’air,

bonne pour les plantes, mauvaise pour l’individu,

un bain de paroles, une vocalisation,

un babil, une allégresse peut-être imaginaire

qui plus tard, « sans doute n’as-tu jamais été

un enfant », se seraient transformés en courage,

non en éteignoir, courage des yeux

allumés, pétillants, expressifs et parlants qui

auraient prolongé, diffusé une voix derrière

le masque du visage, le rideau du corps, et

ce faisant m’auraient permis, ou mieux: ne

m’auraient pas interdit d’être expressif à

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mon tour, pas plus de photographie de moi

enfant, de ce temps que l’adulte pense

révolu et qui ne cesse de faire son chemin

avec plus ou moins de génie, d’entêtement,

de résignation, révolu ou indisponible, là

aussi nulle syllabe, aucun mot, pas de photographie,

et surtout « sans doute n’as-tu

jamais été un enfant », quand je suis assis

face à elle, la tête posée sans repos sur mes

bras croisés, et ce regard de guingois qui me

vient alors, retournant ce qui est vertical et

horizontal, le plan de la table se transformant

en paroi, un mur contre lequel j’aurais

cloué ma tête, la table de la cuisine où

tant et tant de fois elle avait laissé tomber

par mégarde, mais aussi avec ce sentiment

inéluctable impossible à réfréner qui demandait

déjà pardon, la table était mise depuis

longtemps, trois couverts, jamais plus, souvent

moins, la table dressée, non pas verticale

cette fois, attendant, apparemment

réjouie par les objets disposés avec une méticulosité

maniaque, presque réjouie par ces

objets, assiettes, couverts, serviettes en papier

et tout et tout, qui par-delà leur fonction

utilitaire semblaient véritablement heureux

de se retrouver là, entre eux, en si nombreuse

compagnie, et lavés, frottés, astiqués,

comme pour la venue de quelque hôte de

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marque, et des serviettes en tissu, pourquoi

pas, avait laissé tomber par mégarde, « sans

doute n’as-tu jamais été un enfant », avec

aussi peut-être un éclair de contentement,

parler de plaisir serait exagéré et inconvenant,

et tellement au-dessus de nos forces,

de la manière que nous avions de nous envisager,

de nous représenter au présent de

l’acte accompli, et quant à entrevoir une

durée, l’absence de syllabes, de mots, d’ima -

ges compromettait non seulement le passé,

le passé de chacun et le passé de tous ensemble,

mais aussi l’avenir, le lendemain imprévisible

et incertain, chacun pour soi, tous

pour personne, cet après improbable de

chaque moment, de chaque geste qui était

le jouet de la moindre irritation, du plus

infime caprice, ils ne manquaient pas, il

valait mieux s’en tenir au présent de la table

dressée avec son contentement éphémère,

qui allait peu à peu se désintégrer sous l’effet

de l’attente parasite qui durait toujours

trop, obligeait à des allées et venues incessantes

de la cuisine à la fenêtre de la pièce

du séjour d’où on pouvait, « sans doute n’astu

jamais été un enfant», apercevoir un long

tracé de route, reconnaître les phares jaunes

non pas blancs de la voiture, puis se précipiter

à table, prendre place trop sagement,