parution octobre 2012
ISBN 978-2-88182-881-1
nb de pages 80
format du livre 140 x 210 mm
prix 16.00 CHF

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Dominique de Rivaz

Rose Envy

résumé

 

Par amour pour son mari défunt, Artémisia choisit de boire ses cendres pour qu’il vive éternellement en elle. Cette histoire d’une reine grecque du IVe siècle avant Jésus-Christ bouleverse Smoothie, l’héroïne au prénom d’amoureuse de ce récit. Smoothie se ronge depuis toujours l’intérieur de la bouche, par ennui, par gourmandise ou par angoisse. À la mort de Pierrot, son grand amour, quitte à faire fi de toute décence, elle envisage à son tour de devenir tombeau en consommant ses cendres.

 

Ce texte, dont l’écriture est comme un seul grand souffle pressé, honteux et effronté, coule comme de la lave.

 

Pour visionner la vidéo faite par le Prix Wepler sur Rose Envyhttp://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=ZVIP4RR9sxE

biographie

 


Née à Zurich en 1953, origines suisses et italiennes. Études de Littérature et d’Histoire contemporaine à l'Université de Fribourg (Suisse) sous la direction du Pr. Jean Roudaut. Elle participe à l'émission des télévisions francophones "La Course autour du Monde" en 1978-1979, ce qui la fait entrer dans le monde de la réalisation.

Elle a réalisé des courts métrages, Aélia (84) et Le Jour du Bain (96), moultes fois primés; plusieurs documentaires, Georges Borgeaud ou les bonheurs de l'écriture, Balade fribourgeoise, Jean Rouch pour mémoire, Chère Jacqueline…; deux longs métrages: Mein Name ist Bach (2004, Grand Prix du Cinéma Suisse), et Luftbusiness (2007, Quartz du meilleur rôle masculin).

 

Elle a publié trois romans, Rose Envy (Zoé, 2012, Sélection Prix Wepler, Fondation de la Poste), La Poussette (Sélection Prix Rive gauche 2011, Éd. Buchet-Chastel 2011), Douchinka (Prix Schiller Découverte 2009, Éd. de L’Aire) ; deux ouvrages photographiques Les Hommes de sable de Choïna (Ed. Noir sur Blanc, 2013) et Sans début ni fin, le Chemin du Mur de Berlin (Éd. Noir sur Blanc, 2009) et un monologue de théâtre, Tache : [ta∫] n. f. (Coll. Théâtre Suisse, Éditions L’Âge d’Homme & Société Suisse des Auteurs, 2002).

Blog de Jean Prod'hom

Je m’embarque, au retour, dans le Rose Envy, que Dominique de Rivaz a fait paraître en 2012, texte fait main, court et tendu, précédé d’une remarque de Jean Roudaut, qui me ramène à mes réflexions de la veille sur le saint Augustin de Carpaccio et sur le devenir-taupe de notre espèce.
« Lire est se nourrir d’un livre. Pour que cette nourriture se fasse consubstantielle, il faut la broyer, se l’assimiler : c’est le rôle de cette forme de manducation qu’est la réflexion rêveuse quand le regard quitte le texte... »
Ni miracle, ni cri ni claque, mais glissement progressif auquel nous convient une écriture et un enfant qui, plutôt que de se ronger les ongles ou de se mordiller les lèvres, grignote l’intérieur de sa joue et de sa vie jusqu’à faire disparaître, à la fin, à la fois son corps et celui des autres. Il ne reste des morts que des cendres et des souvenirs sur lesquels les vivants soufflent pour les garder en vie, la tête levée en direction de cet ailleurs où conduit l’écriture et d’où nous parvient l’appel de ceux qui ont quitté la partie.
Cendres ou terreau qu’importe, ne pas s’offusquer quelle que soit la sépulture ; Styx et obole sont l’affaire des vivants. Saint Augustin l’a établi. « Le devenir du corps n’engage en rien le salut de l’âme », celui-ci ne dépend que de la bienveillance des vivants. 
Un récit en tu que le narrateur précède, le récit d’une gamine soucieuse en diable qui traverse les âges dans un glissando musical, se détourne de l’opprobre qui la menace ; le narrateur dit tout, tout haut et avec grâce, sans s’appesantir, jusqu’à une espèce de vide d’où la vie refait surface, légère, les cendres se mélangent aux fragrances du lilas et le souvenir devient respiration. 

Nils Ahl

Dans sa brièveté comme dans son adresse poétique (la narration est à la deuxième personne), Rose Envy ne cesse de dérouter et de fasciner. Récit d’amours fusionnelles et cannibales (au moins symboliquement), le texte se contient, se retient et pourtant semble s’épanouir sans entrave. Le geste littéraire est précis et dense. Le personnage principal (le tu, l’autre), une jeune femme qui se mord les lèvres (on le fait aussi pour ne pas trop en dire), qui se mange la joue : une femme qui tombe amoureuse, qui enfante, qui porte le deuil. Avec toujours cette répétition de l’appétit et de la dévoration dans son désir, dont on ne sait trop s’il est refoulé, avéré ou transformé, elle porte un surnom paradoxal et parfait : Smoothie. La douce est brûlante et aiguë, hantée par toutes les amoureuses passées et à venir, mise en mouvement par une langue aussi classique que contemporaine. En filigrane, une autre amoureuse : Artémisia, qui mangea les cendres de son époux pour devenir son tombeau. Résumer ce livre est une gageure tant il est concentré et gourmand. Il n’y a pas un mot de trop. Nils C. Ahl, journaliste au Monde des livres

Vigousse

Autophagie, cannibalisme et deuil sont les thèmes lourds et indigestes de ce petit roman de l'auteur et cinéaste Dominique de Rivaz.

Et pourtant, ce récit est si savoureux qu'on l'avale d'un trait.

Le Temps

Des mots qui flashent comme des enseignes dans la nuit, des matières, légères comme du talc ou grasses comme du rouge à lèvres; des couleurs, du rose au gris; des émotions, animales. Rose Envy, le troisième roman de Dominique de Rivaz, semble écrit sur la trainée d'une comète. On reste sonné par la brièveté du livre; par son intensité; et par son sujet, le désir d'avaler les cendres des êtres aimés pour devenir leur tombe vivante. On se dit que tout est juste dans cette incursion en zone trouble et inquiétante, taboue. Que cette brièveté même sied à ces passions qui dévorent. Que le peu englobe l'énorme (...) Lisbeth Koutchoumoff

Français

Titre: Rose Envy

Éditeur: éditions du Septentrion
Année: 2015

Jeux (2014)

Jeux

 

De la fillette à la femme mûre, du garçonnet à l’homme adulte, qui s’adonne au jeu le plus mortifiant ?  Qui s’exhibe et pour quel regard ?

 

Jeux relate nos cruautés quotidiennes, subies ou imaginaires. Une étrange petite musique s’installe à force de saynètes qui capturent, sans aucun compromis ni répit, la perversité humaine, en une toile tissée dans tout un quartier. C’est la musique de l’intelligence, sèche, mais bizarrement douce.

 

Le regard de l’auteur et sa puissance d’observation jusque dans les détails infimes peignent notre société avec un réalisme aussi sombre que lumineux.

 

« Jeux est un texte auquel on revient sans qu'il lasse; au contraire, il garde son pouvoir d'enchantement, de questionnement, de fascination. C'est fort. Concentré. Pas de bavardage : le haïku, d'une certaine façon. À chaque page, il y a quelque chose d'essentiel, avec le besoin de lire la page suivante. »

 

Jean-François Haas

Rose Envy: extrait

 

Dans une maison rouge une femme découpe assemble épingle coud une robe de viande trois épingles entre ses lèvres. Elle surfile la viande crue prélevée dans de fines épaisseurs de bavette, steak, onglet, filet, elle découpe le surplus des emmanchures, le surplus de l’enco-lure, elle assemble les côtés du dos endroit contre endroit, et du devant, endroit contre endroit. Puis elle retourne avec précaution l’ensemble de la robe comme elle retournerait sur l’extérieur la peau de tout un corps. La robe de viande, amplitude d’une robe de soirée, donne corps à la chair. Le corps à la fois robe devient parure comesti-ble. Et périssable. À ton image.

 

         La robe n’est pas à vendre. Elle s’expose dans le monde[i], Paris, Berlin… inaltérable, imputrescible, haute couture d’une pensée provocatrice et téméraire.

 

         Ta mère aussi s’est toujours exprimée une épingle entre les dents. Trop parfaitement belle, penchée sur un mannequin de couture, elle drapait non pas des chairs, mais des tissus dont la seule évocation a peuplé ton enfance aux dents de lait de labiales dentales glottales fricatives et affriquées : organza, chintz, taffetas, mousseline, organdi, popeline… (les pieds de poule et le Prince de Galles suscitaient quant à eux des rêveries distinctes.) Si belle, l’espace lui était dû. Zurich, Paris, Berlin… Et l’admiration du père. Et celle de ses amants, réels ou imaginaires. Elle a préféré te mettre chez les sœurs.

 

         Une pensionnaire, treize quatorze ans, est debout, une pause peut-être ou l'attente de la cloche du réfectoire, en uniforme bleu nylon, plantée devant les hautes armoires vitrées qui mènent à la chapelle, sa tignasse blonde frisée perchée sur des jambes d’adoles-cente, dans un rayon de soleil, en elle-même, ni triste ni joyeuse juste en elle-même, derrière elle dans les vitrines, alignés sur sept étages, les animaux empaillés pour les leçons de science, une rainette du lac, un canard bleu-vert, une mouette, un lièvre, poussière entre les animaux sur les animaux, vitrines qui ferment mal mais pas de clefs, la pension-naire qui pense peut-être à ses devoirs, au jour où elle pourra rentrer chez elle, à ce qu'il y aura pour le repas de midi, des épinards sûrement puisque le jardinier vient de tondre les pelouses - un on-dit qui se transmet de volée en volée - et toi, tu passes, ta salle de classe entre le chamois sur son socle et le chat sauvage ou est-ce une belette, les rayons de soleil dans la tignasse de la pensionnaire lui font une auréole comme à la sainte de la chapelle, tu passes dans tes pantoufles obligatoires, le linoléum aime les pantoufles, dans ton tablier obligatoire bleu, pensionnaire aussi, interdiction de s'asseoir sur les radiateurs du couloir même pour se chauffer le dos au soleil des vitres même pour contempler les animaux empaillés, la pensionnaire est toujours là debout, elle rayonne pour elle-même, tout appliquée qu'elle est à se ronger l'intérieur d'une lèvre, un index replié pour atteindre plus profond la chair non entamée là où un peu de muqueuse rose et lisse est restée intacte, tu la regardes faire, fascinée par cet être tout en absence en grand repas avec elle-même, en quête du bout de sa langue d'un reste insoupçonné, d'une couche épidermi-que qui se serait régénérée pendant la nuit et non encore explorée, tu as hâte d'essayer toi-même, juste pour voir, l'effet que ça fait et comment on fait, dans le long couloir, sous les yeux de verre des animaux, dans ton tablier à l’ourlet décousu, tu choisis au hasard un coin de ta bouche. Et tu y mords. Tu as quatorze ans. Depuis ce jour où par curiosité tu as voulu faire comme elle, tu n'as plus jamais cessé de te ronger la bouche.

 

         Muqueuses, du latin mucus : mince couche de tissus constituée de cellules épithéliales et de tissu conjonctif sous-jacent. Tu manges l'intérieur de ta bouche quotidiennement, avec application. Tu te manges. En cachette. À la dérobée. Aux yeux de tous. Honteuse ou effrontée. Debout aux passages cloutés, au moment de prendre une décision, par ennui, par gourmandise. Un besoin indomptable qui te prend quotidiennement vers onze heures, l'heure qu'il devait être alors, l'heure du vampire. Et qui ne t'abandonne que lorsqu'il ne reste plus que des muqueuses irrégulières, acidulées, d'un rose labouré. Pas de quoi faire des réserves de hamster. Attendre que ça repousse. En une nuit si possible. Plus rentable que les ongles. Contrôler au matin, du bout de la langue, s'il y a matière à. Résister quelques heures, donner un délai supplémentaire à la repousse, promesse exquise de chair et vers onze heures, céder. Tu plies ton index pour mieux presser la joue contre tes dents, tu promènes la muqueuse d'une incisive à l'autre, tu reconnais d'anciennes cicatrices, des bourrelets de chair apprivoisés, tu y mords, en connaissance de cause, reconnaissante.

 

         Tu as lu que dans sa vie, une personne peut manger, en se rongeant les ongles, l'équivalent de deux ou trois fois sa propre person-ne… Combien de fois t'es-tu déjà dévorée toi-même ? Combien de fois vas-tu te dévorer encore ? Bien sûr il y a les rémissions, gagnées de haute lutte, le temps que ta bouche redevienne lisse comme au jour de sa naissance, rose transparent, sexuelle. Onze heures, le soleil dans tes cheveux, sans méfiance. Tu ronges à nouveau ta bouche, ta bouche, ta bouche. Et tu te demandes ce qu'elle est devenue, la pensionnaire, si elle aussi s'est mangée plusieurs fois elle-même. Les éducatrices du pensionnat catholique te, vous, font la leçon. Vous êtes de plus en plus nombreuses à succomber au vice, il se propage, vous vous mangez en attendant la distribution du courrier, en faisant la queue à la commu-nion : « Mesdemoiselles, le christianisme réprouve l'anthropophagie car la chair, à l'image de Dieu, est sacrée. » Sûrement que les sœurs ursuli-nes avaient mis à l’index le délicieux ‘Dictionnaire du diable’ d’Ambro-se Gwinnett Bierce et sa définition[ii], malicieusement ironique et d’une extrême dérision, du cannibale :


Cannibale : Gastronome de l'ancienne mode
qui reste attaché aux saveurs simples et qui
milite pour l'alimentation naturelle pré-porcine.

 

         Tu la reconnaîtrais, aujourd’hui encore, cette pensionnaire modèle, comme tu reconnais sur le champ toutes celles qui (jusqu’ici des femmes uniquement), comment se nomme ce tic, ce toc, qui comme toi doivent impérativement céder à ce rituel. Tu les observes à la dérobée dans les transports publics lieu de prédilection pour con-sommer sa viande crue, protéines journalières, elles interrompent leur mastication, remettent leur bouche à l'horizontale, mouvement des lèvres, coquetterie feinte, et dès que, magnanime, pour ne pas les priver trop longtemps de leur besoin tu détournes la tête, elles se remettent avec une  double assiduité à la tâche. Elles reprennent leur manducation d'elles-mêmes (leurs appels au secours pour guérir de cette manie automutilatrice sont restés vains). 

 

 

[i] Tous cannibales, ‘La robe de viande’ de Jana Sterbak, Exposition, La maison rouge, Paris 2011

 

[ii] Ambrose Bierce, Le Dictionnaire du Diable, Rivages poche, 1989