parution avril 2023
ISBN 978-2-88907-233-0
format du livre 140x210 mm
Sucre, journal d'une recherche
Traduit de l'allemand par Marina Skalova Camille Luscher
résumé
Guidée par l’ascension sociale aussi fulgurante qu’éphémère d’un ouvrier devenu millionnaire, Dorothee Elmiger mène une enquête minutieuse et vorace. De la Suisse à Saint-Domingue, de Saint-Nazaire à Montauk et Philadelphie, elle déplie l’histoire coloniale européenne en interrogeant notre relation à l’autre, au désir, au pouvoir, à la faim, à l’argent. En quête d’un chemin lumineux, elle nous confie le journal de sa recherche, qui juxtapose images, citations éclectiques, bribes de rêves, extraits de films et conversations avec des proches. Le lecteur, grisé, ressort de cet essai-fiction avec un regard sur le monde plus intuitif et plus attentif.
Dorothee Elmiger est née en 1985 à Zurich, elle vit aujourd'hui à New York. Elle a reçu de nombreux prix, dont le prix littéraire Aspekte pour le meilleur roman en langue allemande et le Prix suisse de littérature. Sucre, journal d'une recherche a gagné le prix Franz-Hessel 2021 et le prix Nicolas-Born 2022. Dorothee Elmiger est une auteure majeure de la jeune littérature germanophone. Ses textes sont intelligents, sensuels et exigeants.
AOC
"Sucre, journal d'une recherche se lit comme un récit de voyage peu ordinaire, d'un continent à l'autre et d'un siècle à l'autre. Il suit par petites touches éparses, dans une espèce de dilatation du temps du récit, l'histoire d'un ouvrier qui a gagné au loto puis qui a perdu ce qu'il avait gagné. Dorothee Elmiger y a tout d'une magicienne qui tire de son chapeau un lapin, une chèvre, une orange, une calèche, un pain de sucre. (…)
Sucre ne cesse de déployer dans son sillage des brisées éblouissantes. En fait, le mieux est de le lire en se laissant aller, les sens en éveil, en se laissant porter par le courant, en se laissant emporter par la calèche et par la virtuosité, car c'est bien d'un ravissement qu'il s'agit.
Le moteur de tout ça, c'est sans doute le plaisir et la part de désir qui le fonde. Si le plaisir est bien le désir en acte, nous pouvons associer le plaisir de celle qui écrit Sucre et le plaisir de celui qui le lit. C'est aussi la volonté de s'inscrire dans une histoire de la littérature, de s'y inscrire à neuf, sans désemparer, avec les vieux outils à notre disposition. C'est encore le bingo."
Un article de Bernard Chambaz à lire ici
Libération
"La narratrice affiche ses doutes et cette mise à nu la rend très sympathique. Elle parle de son travail en cours comme d’un « grenier hypothétique », un chantier qui accueillerait tout ce qui vient, s’inquiète des « explications maladroites » fournies à ses connaissances sur son projet de livre, reconnaît « l’impossibilité de ne pas se mettre elle-même en jeu ». On la voit ainsi en prise avec l’amour pour un homme qu’elle appelle C. Le roman prend alors une allure de journal intime, fixant les émotions, le quotidien, la vie onirique. On la retrouve en train de rêver pour la énième fois de sa mère corrigeant la nuit des copies à la lumière d’une lampe. Le sucre semble partout. (…)
Sucre, journal d’une recherche est décidément un livre beau et très étrange, qui laisse en tête des dizaines d’images. Une dernière pour le dessert : « Le fou d’amour Jalcob W***r persuadé d’avoir une poitrine en verre et donc un cœur offert aux regards de toutes et de tous. »" Frédérique Fanchette
Le Temps
« Avec une liberté folle, passant de l’enquête économique au roman intime, Dorothee Elmiger raconte l’histoire d’une matière éminemment politique et littéraire. »
"Jamais l’expression « poursuivre une idée » n’a semblé si opportune que pour parler du nouveau livre de Dorothee Elmiger. Car Sucre constitue une quête, tranquille mais sans relâche, d’une attention presque méditative. Cueillir, épingler, observer: à la manière d’une chasseuse de papillons, l’autrice déploie ses filets dans un vaste champ de lectures et de sensations, scrutant les faits historiques comme ses expériences personnelles, questionnant la littérature classique et les enjeux contemporains, maillant un territoire qui brouille délicatement la distinction entre le sensible et l’exhaustif, entre la littérature du réel et les libertés de la fiction, puisque c’est bien sous le genre du roman que cet ensemble de «notes», admirablement traduit par Camille Luscher et Marina Skalova, se présente aux mains du lecteur. (…)
L’originalité galvanisante de Sucre, journal d’une recherche est dans le brassage de ces différents éléments et des visions que Dorothee Elmiger en extrait. (…)
Derrière son montage politique de références, Sucre, journal d’une recherche se lit comme une aventure douce-amère ou une dérive transatlantique - un roman d’atmosphère qui sait s’affranchir de sa rigueur documentaire. Cette part-là vient peut-être de l’état poreux du demi-sommeil, quand l’autrice, qui se lève tous les jours avant l’aube pour écrire, accède à l’endroit où son écriture est la plus «lucide»: «Le rêve m’intéresse beaucoup en littérature. A cause de son immédiateté: il suffit de descendre un escalier et on y est, tout est là. C’est un mode qui permet de jouer avec les motifs du livre. Et puis, souvent, je vois mieux à travers le filtre du rêve que dans des descriptions de scènes réalistes en plein jour. » Après tout, on poursuit un rêve comme on le ferait d’une idée, comme un sucre qui fond sur la langue, poison délicieux qu’on voudrait déguster sans cesse."
Un article de Salomé Kiner à lire ici
Télérama
"Paysages, personnages, idées, « artefacts et fantasmes » ... : tant de choses miroitent, dans les pages de Sucre, qu'on est face à elles comme devant un tas scintillant d'or et de pierres précieuses ou, pour mieux dire, devant une bonbonnière ouverte sur un trésor de friandises multicolores... , ne sachant vers quoi tendre la main, de quel objet ou quelle image s'emparer en premier lieu pour commencer d'évoquer la substance a priori formidablement disparate et désirable dont est fait ce drôle d'ouvrage. (…) Peut-on vraiment faire un livre de tout cela ? Oui, en l'imaginant tel « un maelström sombre où tout, y compris ce qui est périphérique, tourne infiniment autour d'un centre instable », répond Dorothee Elmiger le prouvant avec cet ouvrage singulier, déroutant, palpitant et immensément libre."
Un article de Nathalie Crom à lire ici
Vocable allemand
"Société de consommation, interprétation des rêves, quête d’identité : au-delà des sujets, les livres de l’autrice naviguent entre les formes, créant des ponts entre essai et roman, questions sociales et politiques."
La Viduité (blog)
"La faim et le désir à travers des itinéraires de vies captés par fragments, intimes résonances, réflexion aussi sur les divisions imposées par le capitalisme. Mêlant notes, rêves, souvenirs et traces d’une recherche sur le roi du loto, pour donner des images de nos dominations transatlantiques, du sucre comme incarnation de notre mondialisation marchandisée. Dans un réseau tendu de métaphore, entre synchronicité et digressions, chèvre embroussaillée, Dorothee Elmiger tisse un récit dont l’apparent désordre donne présence au monde, suite d’instant de conscience, de désir donc. Sucre, journal d’une recherche est un de ces livres, rares, où l’on suit un cheminement, où l’on voit une pensée en train de s’élaborer."
Une chronique à lire ici
Sucre, journal d'une recherche: extrait
— Ça donne à peu près ça : je traverse des broussailles. Il y a quelques oiseaux qui gazouillent aussi.
— Et après ?
— Rien, c’est toujours la même chose.
— Mais elles te plaisent, ces broussailles.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
— Tu dois quand même pouvoir dire si elles te plaisent, ces broussailles ; ce que tu espères y trouver, ce qu’elles représentent pour toi.
— Mais je suis en plein dedans, on voit bien que tu n’as aucune idée de ce que c’est.
— J’imagine quelque chose de très désordonné. Un grand bazar, sans vue d’ensemble. Mais c’est beau aussi parce que tout peut y trouver sa place, et la lumière change au cours de la journée et tombe tantôt ici, tantôt là-bas, et parfois il y a de la neige, et parfois c’est énervant car on n’arrête pas de s’accrocher aux branches des buissons, surtout si elles ont des épines, et comme tu adores porter ce pantalon en velours…
— Bon d’accord.
— Donc dans ces broussailles tu marches, tu erres ou tu fais quoi ?
— Rien, rien du tout. Enfin peut-être que j’avance un peu des fois, et puis je m’arrête et je fume une cigarette.
— Et les oiseaux ?
— Oui, eux ils me plaisent bien.