parution octobre 2018
ISBN 978-2-88927-585-4
nb de pages 192
format du livre 140x210 mm

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Teju Cole

Chaque jour appartient au voleur

Traduit de l'anglais par Serge Chauvin

résumé

Fin 2005, Teju Cole est retourné à Lagos, la ville de son enfance, pour la première fois après treize ans d’absence. Rentré à New York, il entreprend de relater ce voyage sur son blog en publiant un article quotidien pendant un mois.  Mélange de souvenirs, de reportage et de fiction, Chaque jour appartient au voleur devient ainsi son premier roman, initialement édité au Nigeria en 2007 et republié sous une forme révisée en 2014 aux États-Unis et au Royaume-Uni.

En vingt-sept chapitres, Teju Cole relate ce retour au pays difficile et émouvant, au cours duquel le narrateur tâche de renouer avec l’univers étourdissant de la mégapole africaine aux douze millions d’habitants. Il capte les scènes qui ponctuent le séjour de son personnage et les traduit avec justesse : les pots-de-vin exigés par l’employé du consulat à New York, les périples en danfos, ces minibus jaunes décrépis et bondés qui fusent dans les rues de Lagos, ou le châtiment cruel des voleurs à la tir au marché. Des photographies prises par Teju Cole lors de son séjour amplifient l’expressivité du texte, servi par une langue précise et mélancolique.

« Lagos prend réellement vie dans ce roman, il constitue l’une des représentations les plus percutantes qu’ait livré de cette ville un auteur contemporain. » NoViolet Bulawayo

biographie

Né en 1975, Teju Cole a grandi au Nigeria et vit à Brooklyn. Il officie en tant que critique de photographie pour le New York Times Magazine, a notamment écrit pour le New York Times, le New Yorker, Granta et Brick. Salman Rushdie le tient pour "un des écrivains les plus talentueux de sa génération". Deux de ses romans sont traduits en français: Open City (Denoël, 2012, 10/18, 2014) et Chaque jour appartient au voleur (Zoé, 2018).

Journal Le Chênois

"Au rythme des coupures de courant et des voyages en danfos, minibus chaotiques, le narrateur brosse un portrait à la fois lucide et brut sur cette ville qu’il redécouvre et dans laquelle il cherche sa place. Une échappée littéraire à ne pas manquer !" Nathalie Berthod

Le Français dans le monde

"[Teju Cole] retourne « au pays » et observe, dans un livre dépaysant et saisissant, ce territoire dont il ne fait plus partie mais qui l’a constitué en profondeur. (…) Illustrés de ses propres photos, les 27 chapitres de cet ouvrage inclassable, entre journal de voyage, récit intime et reportage journalistique, entraîne le lecteur dans une ville et un pays déroutant. Grâce à un esprit critique aiguisé et une honnêteté intellectuelle irréprochable, l’auteur parvient à décrire au plus près le réel sans en masquer parfois l’absolue cruauté (…) dans un style digne des meilleurs écrivains voyageurs. (…) Un livre fort, dérangeant, mais porté par une vision humaniste." Sophie Patois

RFI Afrique

"Difficile de caser dans une catégorie précise le nouveau livre du Nigérian Teju Cole paru en traduction française cet automne. Fragmentaire et mélancolique, Chaque jour appartient au voleur (titre tiré d’un proverbe yorouba) est une chronique en prose, saisissante, d’un retour au pays natal. Il y a du Aimé Césaire dans ces pages, l’emphase épique en moins. L’ouvrage du Nigérian relève à la fois du reportage journalistique, du journal intime et du récit de voyage."

Lire l’article de Tirthankar Chanda en entier ici

Le Temps

"Après quinze ans d’absence, un homme rentre chez lui, à Lagos. Il débarque de New York. (…) Le narrateur observe les dysfonctionnements [de Lagos] avec le regard d’un Américain mais ses origines refont surface devant un plat qui a le goût de l’enfance ou une odeur familière. Il admire la bonne humeur de son oncle et de sa tante, en dépit des attaques et des dangers, le courage quotidien des gens. (…) Chaque jour appartient au voleur est une succession de vingt-sept tableaux, précis [et] imagés."

Lire l’article d’Isabelle Rüf en entier ici

Madame Figaro

"Il est toujours délicat de revenir dans un lieu que l'on a aimé. C'est pourtant ce que fait Teju Cole qui, treize ans après la mort de son père et son départ pour New York, revient au Nigeria pour un mois. Un oeil de photographe et une plume d'écrivain, le narrateur capture des instantanés dans l'immense métropole de Lagos, où la frontière se trouble entre le bien et le mal. Car ici l'argent est un « lubrifiant social », et Cole de constater l'ampleur de la corruption. Dans les cybercafés, la jeunesse se spécialise dans l'arnaque sur Internet et dans les rues, au racket... La police perçoit des pots-de-vin sous un panneau les interdisant. À la croisée du roman et du récit de voyage, Teju Cole relate, entre tendresse et déception, un retour dans un pays qui n'est plus vraiment le sien."  O.M.

Le Point

"« Lagos est une cité aux mille Shéhérazade », et Teju Cole un observateur toujours étonné et un conteur d'une grande finesse lorsqu'il décrit le marché, les séquelles de la violence dans les familles, l'état du musée national (voilà un passage qui alimenterait bien le débat sur la restitution) ou cette femme qui fut son premier amour. Avec une apparente dureté sous laquelle couve une infinie tendresse, son regard lucide, à la fois intime et universel, sur son pays trimballe le déchirement de celui qui cherche toujours son chez-soi, et ne répond pas encore à la question « se réinstaller à Lagos ? »."

Lire l'article de Valérie Marin La Meslée en entier ici 

Le Courrier

" Un immigré nigérian issu d’un milieu social aisé abandonne quelques temps l’ordre calme de sa vie new-yorkaise pour retrouver Lagos, la tumultueuse ville de son enfance. Intensément à la recherche de ses propres impressions de jeunesse, de ses racines, ce personnage-narrateur de Teju Cole raconte avec finesse les dégoûts que l’oppressante agglomération lui inspire désormais, depuis son point de vue suspendu entre la familiarité du natif et la distanciation de l’Occidental : la corruption, le désordre et les dangers – parfois mortels – qui pavent la plus grande métropole d’Afrique viennent hanter chaque anecdote, chaque chapitre, chaque réflexion de Chaque jour appartient au voleur, et semble ainsi priver le narrateur du sens global qu’il cherche à donner à l’existence humaine.

Pourtant, c’est en « humaniste » qu’il s’obstine, au fil des chapitres, à scruter cet espace social, étrange mais familier, où malgré tout « l’air est lourd d’une histoire possible ». Cette foi en la possibilité d’un sens, qui germe au milieu des pérégrinations hasardeuses du narrateur, le texte ne la désavoue pas : portées ici par une traduction sensible, depuis leur anglais original, la langue et les idées simples du Teju Cole imposent peu à peu une poésie qui – en choisissant son camp sans hésiter – finit par dire décisivement quelque chose du « combat entre l’art et le chaos du réel »."  Benjamin Paul

Le Monde

"Peut-on jamais revenir ? La question suit comme une ombre le narrateur de Teju Cole. New-yorkais, il rentre au Nigeria pour trois semaines. Quinze ans plus tôt, il avait brutalement quitté Lagos – la capitale –, sa mère, à qui il ne parle plus, et la tombe de son père. Dès l’abord de sa ville natale, il se trouve sur une ligne ténue : est-il chez lui ou est-il étranger ? Ecrivain, historien de l’art et photographe, Teju Cole est né en 1975 aux Etats-Unis et a grandi au Nigeria. Dans Chaque jour appartient au voleur (…) il sonde la complexité de Lagos et des sentiments de son personnage. Enthousiaste, ce dernier se confronte aux embouteillages monstres ; mélancolique, il admire une femme qui lit tranquillement dans un bus bondé, et la patience de ses amis médecins qui gagnent une misère ; critique, il est choqué par la corruption endémique, la pauvreté des librairies, l’omnipotence de la religion et l’absence de mémoire de l’esclavage. (…) Cole dépeint un homme en crise dans une ville tumultueuse. Lagos, mégapole où l’art de l’illusion et la croyance aux miracles permettent de survivre au chaos, semble avoir ce pouvoir d’éclairer son narrateur. Un retour sur soi, c’est peut-être le sens de ce magnifique retour à Lagos."  Gladys Marivat

Paperblog

"Chaque jour appartient au voleur est le récit d'un retour au pays natal, le Nigéria pour le narrateur. (…)

Le récit est riche de nombreuses descriptions de la ville [Lagos], des sensations qui l'accompagnent, comme lorsque le personnage s'échappe de la lourdeur familiale pour prendre le danfo - taxi partagé - ou encore le taxi moto et se perdre dans les dédales de Lagos dont il nous fait partager sons, images, odeurs. Le narrateur y partage aussi grandement sa foi dans l'art et les initiatives culturelles dont il cherche la trace partout.

Le fait que Teju Cole soit un photographe de renom se traduit dans le roman par la présence de photographies prises par l'auteur lors de voyage à Lagos mais aussi dans la forme même du texte. Les scènes de vie se succèdent, formant un ensemble d'instantanés qui composent une capitale mouvante, vivante. " Les récits me tombent dessus de toute part. Chaque personne qui pénètre dans la maison, chaque inconnu avec qui j'engage la conversation a une histoire fascinante à offrir. " L'auteur nous emmène donc avec lui. Lorsqu'on referme [le livre], nous avons voyagé à Lagos. Et c'est surement la plus grande qualité de ce livre par lequel il est facile de se laisser emporter."

Lire l'article en entier ici 

Le Quotidien du Médecin

"Chaque jour appartient au voleur est un roman qui oscille entre le récit de voyage et le reportage intime. Son auteur, Teju Cole, est né aux Etats-Unis en 1975 et a grandi au Nigeria, d’où ses parents sont originaires. Résidant à New-York depuis quinze ans, critique de photographie pour le New York Times Magazine, il est retourné pendant trois semaines à Lagos, sa ville natale. Que l’on connaisse ou pas la ville et le pays, on se laisse emporter par ses descriptions de la mégapole africaine, par les scènes – amplifiées par des photographies prises lors du séjour – qui se succèdent et le regard tour à tout drôle, attendri et critique de l’auteur sur sa culture. Entre l’émotion de renouer avec son pays et la colère éprouvée face à son fonctionnement."  Martine Freneuil

Livres Hebdo

"C'est (…), entre familiarité et étrangeté, que [le narrateur] arpente la ville, installé chez une tante et un oncle dans un quartier périphérique de la mégalopole africaine [Lagos]. Comme dans un carnet de bord, son récit compose par saynètes juxtaposées un portrait en éclats, autant d'instantanés de Lagos, de tranches de survie. II n'y a ni dénonciation virulente - de la violence quotidienne et de la corruption généralisée -, ni nostalgie exacerbée dans la prose de Teju Cole, mais un désenchantement diffus ponctué d'élans de colère."   Véronique Rossignol

Voyageurs du monde

"Partagé entre sa tendresse pour le pays de son enfance et l'affligeante réalité de sa corruption, Teju Cole nous retranscrit, dans une langue affûtée et merveilleusement maîtrisée, sa visite de Lagos, bouillonnante métropole, pleine de saveurs et de contradictions."

Leukerbad 1951/2014

Été 1951: James Baldwin est le premier noir qui séjourne à Leukerbad (Haut-Valais). Les enfants crient "Neger!" dans les rues, les gens le dévisagent: est-il vraiment américain, cet homme qui ressemble aux indigènes d'Afrique ?
Dans "Un étranger au village", texte virtuose et puissant, Baldwin décrit le racisme primaire de ce village au bout du monde et le fait résonner avec l'humiliation que les Noirs subissent aux États-Unis.
Été 2014: Teju Cole se rend à Leukerbad. Lui n'est pas dévisagé dans la rue, les enfants n'essaient pas de toucher ses cheveux; mais des émeutes viennent d'éclater dans la ville américaine de Ferguson, après l'assassinat d'un Noir de dix-huit ans par un policier blanc. Dans "Corps noir", Cole entame un dialogue avec Baldwin. Soixante ans les séparent, un lieu les réunit, et même si les choses ont changé, le racisme persiste.

Traduit par Marie Darrieussecq, Serge Chauvin,

Chaque jour appartient au voleur: extrait

Je me réveille tard, le matin où je suis censé me rendre au consulat. Tout en rassemblant mes documents, je téléphone à l'hôpital pour rappeler que je ne serai là que l'après-midi. Puis je m'engouffre dans le métro, je rejoins la 2e Avenue et, sans trop de peine, je trouve le consulat. Il occupe plusieurs étages d'un gratte-ciel. Au septième étage, une pièce sans fenêtre abrite l'accueil des services consulaires. En ce lundi matin, la plupart des personnes présentes sont nigérianes, presque toutes au moins quadragénaires. Les hommes sont chauves, les femmes arborent des coiffures élaborées, et il y a deux fois plus d'hommes que de femmes. Mais il y a également des visages inattendus : un homme très grand à l'air italien, une jeune fille asiatique, d'autres Africains. Chaque personne prend un ticket numéroté au distributeur rouge en entrant dans cette pièce minable. La moquette est sale, de la même couleur indéterminée que toutes les moquettes de lieux publics. Un téléviseur mural diffuse des infos dans un brouillard de parasites. Les infos ne tardent pas à céder la place à un match de foot opposant Enyimba à un club tunisien. Dans la pièce, les gens remplissent des formulaires.

            Il y a autant de passeports américains bleus que de passeports nigérians verts. La plupart des gens entrent dans trois catégories possibles : des citoyens américains naturalisés de fraîche date, des personnes ayant la double nationalité, ou des Nigérians qui emmènent pour la première fois au pays leurs enfants de nationalité américaine. Je fais partie des doubles ressortissants, et je suis là pour faire renouveler mon passeport nigérian. Au bout de vingt minutes, on appelle mon numéro. En m'approchant du guichet, mes papiers à la main, je fais le même geste implorant que j'ai remarqué chez les autres. Le jeune homme aux manières brusques installé derrière la vitre me demande si j'ai le mandat. Non, dis-je, je ne l'ai pas. J'espérais pouvoir payer en espèces. Il désigne du doigt un écriteau collé à la vitre : « Pas de règlement en espèces. Seuls les mandats sont acceptés. » Il porte un badge à son nom. Un renouvellement de passeport coûte quatre-vingt-cinq dollars, c'est indiqué sur le site du consulat, mais il n'était pas précisé que les règlements en espèces étaient refusés. Je sors de l'immeuble, je marche un quart d'heure jusqu'à la gare de Grand Central, je fais la queue pour acheter un mandat. Un nouveau quart d'heure de marche jusqu'au consulat. Il fait froid dehors. À mon retour, quarante minutes plus tard, la salle d'attente est pleine. Je reprends un ticket, je remplis le mandat à l'ordre du consulat, et j'attends.

            Un petit groupe de gens s'agglutine autour du guichet. On entend un homme supplier quand on lui dit de revenir à trois heures pour récupérer son passeport :

            « Abdul, je vous en prie, j'ai un avion à cinq heures. Il faut que je rentre à Boston, je vous en prie, on ne peut pas trouver une solution ? »

            Sa voix prend un ton enjôleur, et l'impression de panique désespérée qu'il dégage est aggravée par son allure mal fagotée – pull en polyester marron, pantalon marron. Un homme au bout du rouleau, dans des habits au bout du rouleau. Abdul parle dans le micro :

            « Qu'est-ce que j'y peux ? La personne censée signer n'est pas là. C'est pour ça que je vous ai dit de revenir à trois heures.

            – Écoutez, regardez, voilà mon billet. Non mais regardez, Abdul. C'est marqué cinq heures. Je ne peux pas rater mon avion. Je ne peux vraiment pas. »

            L'homme continue de supplier, en glissant un papier sous la vitre. Abdul regarde le billet d'avion avec une réticence ostentatoire puis, exaspéré, parle d'une voix sourde dans le micro :

            « Qu'est-ce que j'y peux ? Je vous l'ai dit, la personne n'est pas là ! Allez, s'il vous plaît, retournez vous asseoir. Je vais voir ce qu'on peut faire. Mais je ne promets rien. »

            L'homme s'esquive, et aussitôt plusieurs autres se lèvent d'un bond et jouent des coudes devant le guichet, formulaire à la main.

            « Je vous en prie, moi aussi j'ai besoin de mon passeport d'urgence. Par pitié, mettez mon formulaire à côté du sien. »

            Abdul les ignore et appelle le numéro suivant. Certains continuent de faire les cent pas devant le guichet. D'autres regagnent leur place. L'un d'eux, un jeune homme portant une casquette bleu ciel, ne cesse de se frotter l'œil. Un homme âgé, installé quelques rangées devant moi, enfouit la tête dans ses mains et dit à voix haute, sans s'adresser à personne :

            « Ce devrait être source de joie. Vous comprenez ? Rentrer au pays, ce devrait être source de joie. »

            Un autre homme, assis à ma droite, remplit des formulaires pour ses enfants. Il m'apprend qu'il vient de faire renouveler son passeport. Je lui demande combien de temps ça a pris.

            « Eh bien, normalement, c'est quatre semaines.

            – Quatre semaines ? Je pars dans moins de trois semaines. Et sur le site du consulat, ils disent que pour faire un passeport il suffit d'une semaine.

            – Normalement, oui. Mais en fait, non. Ou plutôt, si, mais à condition de payer le tarif pour “accélérer” la procédure. Un mandat de cinquante-cinq dollars.

            – Ils n'en parlent pas sur le site.

            – Bien sûr que non. Mais c'est ce que j'ai fait, ce que j'ai faire. Et je l'ai eu en une semaine. Évidemment, ces frais d'accélération, ça n'a rien d'officiel. Vous savez, ce sont des escrocs, ces gens. Ils prennent le mandat sans vous donner de reçu, ils le déposent sur le compte et ils retirent la somme en liquide. Et ça va dans leur poche. »

            Et d'une main preste, il fait le geste d'ouvrir un tiroir. Voilà bien ce que je redoutais : une confrontation directe avec la corruption. Dans mon esprit, je me suis entraîné à réagir à une telle confrontation à l'aéroport de Lagos. Mais en plein New York, me voir insolemment réclamer un pot-de-vin, c'est un choc auquel je n'étais guère préparé.

            « Eh bien, moi, j'exigerai un reçu.

            – Holà, mon garçon, pourquoi compliquer les choses ? Ils prendront quand même votre argent, et ensuite ils vous puniront en tardant à faire le passeport. C'est ça que vous voulez ? Qu'est-ce que vous préférez, affirmer vos principes ou avoir votre passeport ? »

            Certes. Mais n'est-ce pas ce genre de complicité tacite qui a plongé notre pays dans le malheur ? La question pèse sur le silence qui s'instaure entre nous. Ce n'est qu'à onze heures passées qu'on appelle enfin mon numéro. Les choses se passent exactement comme il me les a décrites. Des frais d'accélération de procédure de cinquante-cinq dollars viennent s'ajouter aux quatre-vingt-cinq dollars que coûte le passeport proprement dit. Le règlement doit s'effectuer en deux mandats séparés. Pour la deuxième fois de la matinée, je dois quitter l'immeuble pour aller racheter un mandat. Je marche d'un pas vif, et je suis épuisé quand je reviens enfin, à midi moins le quart, soit un quart d'heure avant la fermeture du guichet. Cette fois, je ne prends pas de ticket. Je fonce directement au guichet déposer mon formulaire et les deux mandats. Abdul me dit de venir récupérer mon passeport dans une semaine. Il ne me donne de reçu que pour le premier mandat. Je le prends sans un mot, le plie et le glisse dans ma poche. À la sortie, à côté des ascenseurs, un écriteau à moitié déchiré proclame : « Aidez-nous à combattre la corruption. Si un employé du consulat vous demande un pot-de-vin ou un pourboire, veuillez nous en informer. »

            Cet avis ne mentionne aucun numéro de téléphone ni adresse électronique. Autrement dit, je ne peux en aviser le consulat que via Abdul ou l'un de ses collègues. Et il est peu probable qu'ils soient les seuls à se remplir les poches. Trente ou trente-cinq dollars des « frais d'accélération » terminent sûrement dans celles d'un supérieur hiérarchique. En sortant, je surprends l'expression d'Abdul. Il prend un air concentré, au service du public. Tout cela n'est qu'une parodie, recouverte (« Pas de règlement en espèces ») d'un vernis respectable.