parution mars 2023
ISBN 978-2-88907-209-5
nb de pages 208
format du livre 105x165 mm

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Arthur Brügger

L'Œil de l'espadon

résumé

Charlie est apprenti-poissonnier au Grand Magasin. Avec candeur, il raconte son quotidien, découpage, évidage, emballage, la clientèle étrange, tyrannique ou charmante. Les collègues, aussi: monsieur Giordino, l'attachant chef de rayon, la "terriblement jolile" Natacha ou encore Émile, qui l'amène à jeter un autre regard sur lui-même. Car Charlie ne veut plus de l'image qu'on lui renvoie, celle d'un gentil, tellement gentil jeune homme.

biographie

Arthur Brügger vit et travaille à Lausanne. Diplômé de l’institut littéraire suisse, il est parmi les lauréats du Prix du Jeune Ecrivain 2012, pour sa nouvelle Trompe-l’œil, parue en recueil chez Buchet-Chastel (Prix du Jeune Lecteur). Il publie divers textes dans des revues, recueils et anthologies. Son premier récit, Ciao Letizia, paraît aux éditions Encre fraîche à Genève (printemps 2012). Il est membre, depuis sa création, du collectif AJAR, avec lequel il écrit et performe en Suisse et à l’étranger. Il anime également des ateliers d’écriture dans le cadre de C-FAL (Genève) et auprès des jeunes de Passerelle culturelle, programme de formation-pilote pour des jeunes issus de l’institution de Lavigny. Il partage son temps entre l’écriture, la musique (pianiste dans un groupe indépendant, Brachoï) et un poste à mi-temps au Musée de l’Elysée en tant que coordinateur éditorial.

 

L'Alsace

"Écrit très simplement, sans un mot de trop, pas une pensée superflue, pas le moindre gaspillage. Humour à la sauce helvète et celui-là par bonheur est très loin d’être neutre... Mais venons-en au fond. Sobrement. Le sujet : l’absurdité de la société de consommation dans laquelle nous sommes embarqués, nous tous, confédérés ou non. Le gâchis de la grande distribution, à commencer par l’alimentaire et en premier lieu le poisson. Et au-dessus du tas, tous ces loupés sentimentaux. Depuis 2015 le cas ne s’est pas arrangé. Les éditions Zoé, certes suisses mais les experts vont le diront, « littérairement très engagées », ont le chic pour mettre les pieds dans les plats." P.M.

Vigousse

"Sous le couvert d’une écriture faussement naïve, Arthur Brügger ne fait pas œuvre de militantisme. Il ne décode pas, il dévoile l’ampleur du désastre, la montagne d’invendus et de détritus dont la survie n’est plus possible passé la date limite de consommation. Edifiant, ce moment du récit où Charlie et Emile tentent de distribuer de la nourriture certes volée, mais pas encore périmée! Même l’association qui s’occupe des pauvres de la ville refuse le cadeau, parce que les produits sont frais et qu’elle ne peut pas les prendre, sous peine de se brouiller avec toute la filière de récupération alimentaire... Dans cette fable des temps modernes pleine de sagesse et de tendresse, les personnages, quel que soit le côté du comptoir où ils se trouvent, valent leur pesant de réalisme. Le roman a été publié pour la première fois en 2015. En édition poche huit ans après, il ne fait que confirmer la permanence de notre inconscience face au gaspillage. «Il est beau, il est frais mon poisson!»" Marie-José Brélaz

Terre et Nature

"(…) C'est dans ce microcosme alimentaire à la fois familier et un peu exotique tout de même qu'évolue Charlie, apprenti poissonnier, timide et parfois maladroit, narrateur au ton naïf de sa propre vie quotidienne. Ce roman, le premier du Lausannois Arthur Brügger, sent le vécu et la mer, enfin ce qu'il en reste quand poulpes, rougets et baudroies atterrissent sur la glace de l'étal. On y plonge dans une description à la fois tendre et cruelle d’un univers qui ressemble à un océan, avec ses proies et ses prédateurs." Clément Grandjean

Millepages

"Allégorie poétique et sensible, L'Oeil de l'espadon est aussi l'histoire de ces invisibles qui n'ont pas d'autre choix que de participer à la monstrueuse aberration engendrée par les impératifs d'un capitalisme aux abois. Et un brave apprenti poissonnier nommé Charlie Fischer de nous le rappeler. "

Carnets ferroviaires. Nouvelles transeuropéennes

Que ce soit de Lausanne à Paris, de Vienne à Genève ou de Glasgow à Londres, chacun des treize auteurs de ce recueil situe son histoire à bord d’un train qui parcourt l’Europe. À l’occasion d’un long trajet en chemin de fer, l’une se souvient de son voyage dix ans plus tôt, elle traque la différence entre son être d’hier et d’aujourd’hui. Un autre se remémore la géniale arnaque dont il a été l’auteur, un troisième retrace l’incroyable hold-up ferroviaire du South West Gang dans l’Angleterre de 1963.

Ces nouvelles donnent une vue d’ensemble inédite sur la manière de concevoir l’Europe comme espace physique et symbolique. Les auteurs étant de générations très diverses, le lecteur appréciera les différentes manières d’appréhender notre monde proche et de s’y situer.

Nouvelles de Aude Seigne, Blaise Hofmann, Anne-Sophie Subilia, Gemma Salem, Bruno Pellegrino, Arthur Brügger, Daniel Vuataz, Marie Gaulis, Fanny Wobmann, Catherine Lovey, Julie Guinand, Guy Poitry, Yves Rosset.

Préface de Daniel Maggetti, postface de François Cherix

L'Oeil de l'espadon (2015, domaine français)

L'Oeil de l'espadon

A 24 ans, Charlie est apprenti-poissonnier au Grand Magasin. Son quotidien a l’aspect moiré des écailles: découpage, évidage, emballage et autres savantes manipulations de la marchandise, nettoyage méticuleux des tables de travail, et puis visites au grand frigo et à la gigantesque poubelle, café et cigarette des pauses avec ses collègues, enfin les clients, les anonymes et les habitués, les affreux et les charmants. Mais Charlie ne veut plus de l’image que lui renvoient Natacha, son patron et les clients : celle d’un gentil, tellement gentil jeune homme. De son côté Emile, grand idéaliste, se trouve confronté, grâce à Charlie, à une réalité plus subtile qu’il ne la voudrait. Non, tous les employés du Grand Magasin ne sont pas des imbéciles englués dans la routine.

Un premier roman qui a la simplicité d’une fable et l’intelligente précision d’un bon documentaire.

L'Œil de l'espadon: extrait

Aujourd’hui je suis particulièrement impatient parce que j’ai envie de lui dire, à Émile, que j’ai lu son livre. Comme je suis tout seul, Natacha au rayon d’à côté se propose de m’aider pour le rangement. Mais je comprends vite que c’est encore plus long avec elle, même si j’ose pas lui dire. C’est que je dois tout lui expliquer où va quoi et comment et dans quel ordre dans les boîtes de sagex qui vont aller au frigo, alors du coup on est pas beaucoup plus efficace mais tant pis on s’amuse bien. Elle a mis les gants en latex et elle a envie de prendre les gros saumons entiers alors je la laisse faire. On rigole quand elle essaie de lui ouvrir la bouche et puis dedans on trouve une petite sardine, sûrement celle de l’hameçon qui l’a attrapé, comme quoi même chez les poissons la gourmandise est un vilain défaut.

Et c’est vrai ça m’arrive souvent de trouver des petits poissons dans les gros poissons en les vidant. Dans un calamar que j’ai vidé aujourd’hui il y avait un mini chinchard. L’os du calamar on dirait du plastique. D’ailleurs quand Natacha a pris les calamars du bout des doigts elle a fait une drôle de tête. Avec le poulpe elle a carrément fait semblant de me l’envoyer à la figure, j’ai poussé un cri aigu, et j’ai un peu rougi. Natacha reste belle même avec des gants en plastique, les cheveux attachés, un tablier sale et un poulpe dans chaque main. Elle est peut-être même encore plus belle, là, juste à cet instant où elle me regarde avec son sourire jusqu’aux oreilles. C’est vrai que son sourire, je l’épie à chaque fois depuis mon rayon, je la vois sourire aux clients, mais là c’est différent, là j’ai l’impression qu’elle est contente pour de vrai. On a un peu traîné et les lumières principales s’éteignent déjà à notre étage. Il est vraiment temps de finir surtout qu’il faut encore ramener tout ça au frigo et puis noter la température, et puis replacer les bacs à glace comme il faut et puis vider l’eau dans les conduits au sol.

Je me dépêche, je remercie Natacha pour son aide, elle va timbrer et elle part du magasin après avoir pris un petit gâteau au self service de la boulangerie qu’elle grignote sur le chemin de l’ascenseur. Je suis le dernier à faire valider son badge. À côté de la timbreuse il y a Émile qui m’attend.

-  Je me demandais si tu allais venir, il me dit.

Alors je lui explique que c’était plus long que prévu aujourd’hui parce que le chef est en vacances. Il me dit que c’est pas grave, on marche jusqu’aux coulisses du Grand Magasin pour se rendre au zéro, mais en passant se changer cette fois, parce que bon. En marchant il me demande qui est cette fille qui m’aidait. On dirait qu’il a tout compris que j’ai un peu un faible pour elle.

-  J’ai jamais été doué avec les filles, il me dit.

Alors là s’il savait, c’est le moins qu’on puisse dire en ce qui me concerne. Pas doué avec les filles c’est carrément un euphémisme. Quand je dis ça il me regarde d’un drôle d’air, et oui je sais ce que c’est un euphémisme d’abord, il devrait pas me prendre pour un idiot. C’est monsieur Victor qui m’a appris ce que c’est, il me disait toujours qu’on dit aux nouveaux arrivés que leurs parents sont partis, et que ça c’est un euphémisme. Alors bon pour en revenir à Natacha je pourrais l’inviter à boire un café mais comme on dit c’est plus facile à dire qu’à faire. C’est que je suis pas le genre de type avec qui elle sort même si on est amis et qu’elle me raconte plein de choses. Peut-être qu’elle m’évitera si je lui dis ce que je ressens. Elle me dit toujours que je suis un type gentil, mais elle voit pas toutes mes arrière-pensées, elle voit pas mes pensées pas propres. Je la vois, déçue, me dire, « Charlie, t’es comme les autres. » Natacha, elle me dit que les filles, elles aiment les types gentils. Mais moi je pense qu’elles ne tombent amoureuses que des salauds.

-  Pourquoi tu dis ça ?

Parce que c’est comme ça, y a qu’à voir puisque des copains elles les changent comme ses robes, ou presque, même si je l’ai jamais vue avec des robes, enfin c’est une façon de parler. C’est comme ça, la gentillesse ça a jamais plu à personne.

-  C’est quoi, pour toi, la gentillesse ?

Comme si je savais répondre à une question pareille ! Bon, je lui dis qu’être gentil c’est peut-être simplement être trop naïf ou trop bête. Il me regarde un moment sans rien dire et puis :

-  Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l’être assez.

Je suis sûr que c’est pas de lui.

-  Non, c’est Marivaux.

En attendant, il a beau emprunter les jolis mots des autres, on sait toujours pas ce que c’est, être gentil. Et moi parfois j’aimerais l’être un peu moins, pour pouvoir la séduire, Natacha. Parce que c’est pas les paroles empruntés à je-ne-sais-quel barbu philosophe ou écrivain qui m’amènera où que ce soit.

-  Et pourquoi pas ? Tu pourrais lui écrire de la poésie. Ou lui en lire.

Il vit vraiment dans un drôle de monde, y a pas de doute, mais il me fait rire, Emile. Il me tend un livre, sur la couverture c’est écrit Ghérasim Luca. Il m’en avait lu un extrait.

- À la fin il y a un poème qui s’appelle « prendre corps ». C’est mon poème préféré. Et ça parle d’amour.

Le livre s’appelle Héros-limite. C’est drôle, comme si lui, le Batman du Grand Magasin, me donnait le livre qui marque la limite de ses super-pouvoirs : donner des conseils au petit apprenti poissonnier que je suis. Je refuse poliment. Le vieil homme et la mer restera mon livre préféré. Je suis pas prêt à en ouvrir un autre pour le moment.