parution février 2006
ISBN 978-2-88182-554-0
nb de pages 120
format du livre 210 x 140 mm
prix 25.00 CHF

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Jean-Bernard Vuillème

Le Fils du lendemain

résumé

 

"Celui qui est né de travers se sent singe, fils-singe, et se retient parfois au milieu d’une phrase de ne pas pousser des cris de singe. Il trouve ses racines dans les grimaces et les facéties de ses plus lointains ancêtres et rôde volontiers autour de leurs cages.»

Ce roman raconte le vertige identitaire d’un homme à la recherche de son père biologique. Le Fils du lendemain dit d’une manière à la fois brûlante et distanciée, grave et légère, le poids de ces indicibles et banales vérités dissimulées au coeur des familles unies ou désunies.

 

biographie

Écrivain, journaliste, critique littéraire, Jean-Bernard Vuillème est l’auteur d’une vingtaine de livres, des fictions (romans, nouvelles) et des ouvrages littéraires inclassables, proches de l’essai. En 2017, il est lauréat du Prix Renfer pour l’ensemble de son œuvre. Aux éditions Zoé sont notamment publiés : Sur ses pas (Prix de l’académie romande 2016), M. Karl & Cie (Prix Bibliomedia 2012), Une île au bout du doigt (2007), Lucie (Prix Schiller 1996) et L’Amour en bateau (1990).

En 2019, Jean-Bernard Vuillème a reçu le prix de L'Institut neuchâtelois pour l'ensemble de son œuvre et de sa carrière, une récompense reçue avant lui par Agota Kristof et Denis de Rougemont, notamment.

Allemand

Titre: Der Sohn danach

Éditeur: Verlag die Brotsuppe
Année: 2010

La Mort en gondole

« En pleine crise d’obsolescence », le narrateur prend le train pour Venise où il va prêter main forte à Silvia. Cette éternelle étudiante consacre une thèse à Léopold Robert, peintre neuchâtelois tombé dans l’oubli, mais célébré dans l’Europe entière dans la première moitié du XIXe siècle. Plus fascinée par la réussite de cet homme, parti de rien, que par son œuvre, Silvia tente de comprendre comment il en est venu à se trancher la gorge dans son atelier, à 40 ans. Avec son acolyte, elle écume les lieux, ruelles, monuments, par lesquels le peintre est passé. Leurs dialogues, comme un match de ping-pong, ponctuent une Venise tour à tour du XIXe et du XXIe siècles.

Sur ses pas

Suite à la découverte d’une vieille clé, Pablo Schötz décide de remonter le cours de ses anciens domiciles. Mais la bonne serrure tarde à se présenter. Cette clé serait-elle le Graal qui estomperait la distance entre le passé et le présent, qui « rassemblerait le petit garçon et l’homme mûr en train de se demander si ce petit garçon a vraiment existé ? ». Voici le récit haletant d’une cavale au-devant d’un passé.

Périple vertigineux et parcours particulier dans le XXe siècle : le confort de la modernité apparaît dans les foyers avant d’être refusé par les soixante-huitards, le téléphone à touches remplace celui à roue mobile. Lucie la première épouse, une maison de paradis, puis la solitude, puis une nouvelle famille. Passé et présent se bousculent de maisons enmaisons, de couloirs en couloirs, et le motif des sols font fait surgir des souvenirs où le particulier dit ce qui est propre à chacun, l’universel.

M. Karl & Cie

Un homme se rend à un entretien d’embauche dans une vaste compagnie d’assurance à Gorgengut, un lieu difficile d’accès. A sa grande surprise il est immédiatement engagé au poste de médiateur. Son regard interrogateur et son imagination semblent avoir convaincu la directrice des ressources humaines. Il sait observer, explorer, garder ses distances, se montrer proche et humain.

La maison d’assurances pour laquelle il déploie son ardeur professionnelle est faite de labyrinthes et d’opacité. M. Karl, en cherchant pathétiquement sa place dans l’entreprise, fait découvrir au lecteur les aventures rocambolesques qui se déroulent en coulisses.

Dans un univers kafkaïen et chaplinesque, Jean-Bernard Vuillème explore les relations humaines au sein de la direction, ainsi que les fantasmes de M. Karl, avec un grand sens de la dérision.

Une île au bout du doigt

 

Philéas Fogg voyageait en aveugle en 1872, l’œil rivé au chronomètre pour gagner son pari. Sur un coup de dé, lui aussi, Saélif Goff fait en 2004 le tour du petit territoire des Malouines en trente et un jours sans rien négliger de son actualité et de son histoire. Ce roman instaure ce lieu du bout du monde comme personnage principal dont tous les autres émanent : le voyageur lunaire insatiablement curieux qui s’est rendu prisonnier d’un jeu hasardeux, les autochtones qui vivent en plein vent dans une Grande-Bretagne mythique, et les personnages historiques, fantasmés du haut d’un phare, qui en ont fait le jouet de leurs ambitions.
Du premier colon de ces terres inhospitalières, le Français Bougainville, à l’héroïne controversée qui a chassé les Argentins en 1982, la Dame de Fer Margaret Thatcher, le globe-trotter ne néglige aucune exploration. Les aventures de Saélif Goff illustrent avec humour et pertinence les thèmes de la guerre, du pouvoir et de l’amour.
Carnets des Malouines

Les Malouines ou les Falkland ? Deux noms pour un même pays font un bon sujet de conflit et promettent un sac d’embrouilles. Mais tout serait calme depuis juin 1982 quand les Britanniques, manu militari, en ont expulsé les envahisseurs argentins. Ce qui n’empêche pas ces mêmes Argentins de continuer d’appeler Malvinas cet archipel situé à 400 kilomètres de leurs côtes. Or, malgré les 12 000 kilomètres qui l'en séparent, Londres voit dans cette appellation une preuve supplémentaire de la nature manifestement britannique des Falkland, puisque les Argentins n’avaient fait qu’emprunter le nom de Malvinas aux marins bretons de Saint-Malo qui les avaient baptisées Malouines… Plus de vingt ans après la guerre qui a vraiment fait de Margaret Thatcher la Dame de fer, la question de la souveraineté oppose encore Argentins et Britanniques.

Parti là-bas pour écrire un roman, Jean-Bernard Vuillème en a d’abord rapporté ces Carnets des Malouines. Ses notes, prises au jour le jour dans cette minuscule communauté de Britanniques du bout du monde, protégés par deux soldats pour trois habitants et coupés de tout lien avec l’Argentine voisine, ne manquent ni d’intérêt, ni surtout de piquant.

L'Amour en bateau (2002, Zoé poche)

L'Amour en bateau

Lucie (1995)

Lucie

Le Fils du lendemain: extrait

 

I

 

J’ai mal aux branches. Il suffit parfois d’un arbre sur mon chemin, un bon gros chêne respirant à l’aise. C’est un mal sournois et assez ridicule, pas de quoi se tordre de douleur, un bouillonnement de sève qui ne parvient pas à se répandre tranquillement dans les veines comme il faudrait. Moi, j’ai l’impression que je tiens debout par miracle et que je ne suis qu’une illusion d’homme, une image construite dans le sable, la poussière des jours, sans autres racines que ma volonté et mon plaisir d’exister. J’entends d’ici les commentaires: parfait, le rêve de tout le monde! Et tellement plus léger que les lourds atavismes! Naturellement, je suis à certains égards privilégié, bien que je me sois tapé la tête jusqu’au sang dans des miroirs à force de ne pas m’y reconnaître. Ah, si l’on pouvait dépasser les écueils du destin aussi aisément que sur l’autoroute! Un petit coup d’accélérateur et adieu aux histoires tirées comme des boulets, aux relations tordues, aux souvenirs cuisants, aux silences étourdissants. Le passé serait dépassé, rien qu’un point dans le rétroviseur, bientôt invisible et inconsistant. J’avance à cent à l’heure vers le cimetière. Respecter mon programme. Parvenir enfin à sa dernière demeure. Est-ce fatigue d’avoir si longtemps remué des ombres, lassitude de ce lent  arrachement pour trouver en moi-même, sans l’aide de personne, un père à jamais inconnaissable? J’estime que je me suis posé de sottes questions et que ce long chemin de mon père biologique virtuel à mon père biologique enterré ne valait peut-être pas tout le mal que je me suis donné pour y voir clair dans mes origines. Mais c’était un chemin inévitable. Impossible d’y couper. On veut toujours savoir d’où l’on est issu. Il n’est pas confortable d’être un fils du lendemain, mais sans l’amnésie ou le mensonge maternels qui me remplissent encore d’indignation, sans mes turpitudes identitaires, peut-être serais-je moins vivant que si j’avais grandi tout de suite et sans le moindre doute sur le bon perchoir. Je me suis façonné dans le malaise et le mystère de ma naissance, le sentiment d’aversion que m’inspire ma mère et d’étrangeté très tôt éprouvé pour son ex-mari mon père, j’ai démêlé les non dits et les mensonges, forcé le chemin de la vérité. Je sais que c’est dérisoire, mais je connais enfin le nom de mon père, son nom,  presque rien de plus, parce qu’il est mort depuis longtemps, s’est toujours entouré de mystère et que la seule personne qui pourrait m’en dire  plus ne veut pas m’ouvrir sa porte. Elle a peur. A chacun ses peurs. Je ne lui ferai pas une cour effrénée pour qu’elle ouvre enfin sa porte et son album et je ne pénétrerai pas chez elle par effraction. Les enfants du lendemain n’ont aucun droit à connaître la personnalité de leur géniteur et ses proches soudain surgis du néant n’ont aucune obligation de satisfaire leur désir de voir des photographies. Mais personne ne peut m’interdire d’aller me pencher sur sa tombe vers laquelle je roule à vive allure, bien que ce voyage me laisse perplexe et d’avance insatisfait, car j’aurais eu deux ou trois mots à lui dire.

Bien sûr, je peux vivre sans savoir ce que sa nièce, ma cousine Germaine, aurait pu ajouter à ce qu’elle m’a raconté au téléphone, la première fois, avant qu’elle prenne peur avec son mari. Un homme gentil et séduisant, a-t-elle glissé, moi tout craché ?… Il ne m’est pas indispensable de savoir s’il a beaucoup voyagé ni de connaître sa philosophie de l’existence. D’ailleurs, je le connais. Il lui arrive de me parler. Mais ce mort qui parle en moi n’est sûrement pas l’homme qui parlait de son vivant. Bref, j’ai fait le tour de la question. Impossible d’aller plus loin. Cette histoire va prendre fin au cimetière, comme toutes les histoires. J’en serai débarrassé et je pourrai enfin m’occuper sérieusement d’autre chose. Celui qui est né de travers ne peut parler de travers. Il cherche à poser sa voix avec une ardeur proportionnelle à la profondeur de son trouble. Il voudrait marcher droit et rectifier son illisible trajectoire sans trouver le sol indispensable aux maîtres tirs. Son pas tremble toujours un peu car il n’est sûr de rien, en tout cas pas de lui. Cela ne tient pas sous ses pieds, il vacille, et s’il parvient quand même à se camper sur ses jambes, la sensation l’envahit d’un terreau truqué de papier mâché, d’un leurre sous lequel tout sonne creux. Celui qui est né de travers se sent singe, fils-singe, et se retient parfois au milieu d’une phrase de ne pas pousser des cris de singe. Il trouve ses racines dans les grimaces et les facéties des plus lointains ancêtres et rôde volontiers autour de leurs cages.

J’ai eu longtemps la sensation de transpirer l’angoisse d’un autre. Il n’a d’ailleurs pas fini de vivre en moi et se manifeste de mille manières plus ou moins simiesques, ce qui ne veut pas dire que mon père naturel n’était pas un homme distingué. Au moment de s’endormir, le fils du lendemain se tient par exemple allongé dans son lit et savoure l’animale satisfaction d’être en vie quand l’autre s’immisce en lui, prend ses aises et déploie sa présence dans les fibres les plus intimes de l’homme assoupi, encore troublé, malgré les années, par le constat que sa manière de plier la jambe n’est pas vraiment sienne, ni sa façon de se toucher le ventre pour se rassurer. Il tourne alors son visage vers le miroir appuyé contre le mur, au bord du lit, et même ce visage ne lui appartient pas, participe de l’intrigue nouée en son être, et il fixe l’image de son visage enfoncé dans les coussins jusqu’à n’y plus percevoir que le reflet d’un étranger. Alors je me sens abandonné, chair oubliée d’un esprit vagabond. Juste l’énigme de mon visage et le poids de mon corps, suspendu à la vie comme un habit oublié sur un cintre, orphelin captif d’un ancien mensonge.  La salive perle aux commissures que je ravale comme celle de mon père, avec le même dégoût que si c’était de la bave de crapaud. Il affleure sous ma peau et que faire sinon l’accueillir sous peine de devenir fou ? Sensations trop fortes pour y opposer ma raison. Je te parle, disait le singe en moi, mieux vaut m’accepter et te perdre en moi si tu ne veux pas dépérir à force de lutter et dis toi que je n’existe pas je t’ai légué un autre père en souvenir de moi sachant bien que la vérité finirait par t’envahir car c’est en toi que je survis, tu n’y peux rien.

C’est lui, Auguste Daniel Nebel, dont je possède trois minuscules photos aux bords dentelés du temps qu’il frétillait encore entre les jambes de ma mère.