parution avril 2014
ISBN 978-2-88182-914-7
nb de pages 320
format du livre 140 X 210

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Henrietta Rose-Innes

Ninive

traduit de l'anglais par Elisabeth Gilles

résumé

Araignées, chenilles, rats, geckos, serpents, moustiques, tiques, babouins, pigeons…: Katya en fait son affaire. A sa manière à elle, humaine et alternative : dans son entreprise de dératisation-désinsectisation, elle n’éradique pas, elle délocalise. Ce n’est pas le job le plus banal pour une jeune femme d’une trentaine d’années mais rien dans Ninive, le dernier roman d’Henrietta Rose-Innes, ne l’est. Tout est insolite, intrigant, captivant. Tragique, drôle et poignant.

 

A commencer par Katya. Elle vit en Afrique du Sud, au Cap, seule dans une vieille maison qui se fissure. Son dernier boulot était facile : il a fallu débarrasser un arbre d’une colonie de chenilles qui l’emmaillotait littéralement de la tête au pied. Le suivant est d’une tout autre ampleur, il pourrait donner un coup de pouce à sa carrière et elle en a bien besoin. Elle doit se rendre à Ninive, un complexe résidentiel de luxe neuf mais inhabité. Et pour cause : il est infesté. Une infestation généralisée. Elle part pleine d’espoir. Une vie nouvelle va commencer.

Mais ce qu’elle découvre à Ninive est loin, très loin du confort et de la stabilité dont elle avait rêvé. Le lieu, comme le roman, a des profondeurs et des dimensions insoupçonnées et ce qu’elle y rencontre est son propre passé en la personne de son père, un être violent à son corps défendant, sauvage, indompté, qui n’a jamais plié devant le monde. Centrale, faite d’un étrange mélange de rudesse, de répugnance, d’admiration et de douceur, la relation entre eux deux n’est pourtant qu’un des fils qui se tissent sur la trame de Ninive. Peu à peu apparaît le tableau d’un monde qui s’effondre. Pour le calme et la volupté, il faudra repasser. Les promesses de Ninive non tenues, les illusions perdues et les mensonges dévoilés, comment faire pour trouver des repères, une place, dans un monde en mouvement permanent, voué à la destruction au désastre et au chaos généralisé ? Pour Henrietta Rose-Innes, il y a toujours l’humour.

 

L’auteure, qui vit au Cap, est aussi douée d’un extraordinaire sens de l’observation qu’elle applique aux humains, aux choses, aux plantes. Et à ces fameux insectes qu’on ne regardera plus jamais du même œil. On n’oubliera pas, au delà des murailles de la riche Ninive, la luxuriance de la nature, le paysage mouvant et fascinant des marécages, de ce vlei d’une exigeante beauté. Ni tous ceux qui, un peu plus loin, entre l’océan et les marais, tentent de survivre dans des baraques de bois et de tôles qui s’étendent pour finir par presque rejoindre d’autres baraques de bois et de tôles, qui s’étendent elles aussi, finissant par former presque une autre ville à côté de la ville en dur. Cette réalité sociale, très adroitement tissée dans la toile du roman, est bien plus que juste un arrière plan. Une fois refermé, on reste longtemps habité par ce relativement court roman, dense et intriqué. 

Et pour ceux qui se demanderaient quel est le rapport entre les marécages sud-Africain et Ninive, capitale de l’empire assyrien, en Mésopotamie, quelques siècles avant J.-C. sur les rives du Tigre (au  nord de l’actuel Irak) : il n’y en a pas répond un des personnages. C’est juste qu’un des premiers investisseurs du complexe était originaire du Moyen-Orient. On peut aussi rappeler que l’histoire biblique de Ninive raconte l’effondrement d’une cité qui s’est vouée à la recherche du bien-être matériel, à l’injustice et à la violence.

Elisabeth Gilles

 

 

 

 

 

 

biographie

Henrietta Rose-Innes est l’une de jeunes voix les plus intéressantes de la très riche et vivace littérature sud-africaine. Elle a été l’élève de J.M. Coetzee qui la soutient beaucoup et a figuré deux fois parmi les finalistes du Caine Prize qu’elle a remporté en 2008. Ses nouvelles ont paru dans Granta et The Best American Nonrequired Reading. Ninive, son premier roman, a remporté le prix François Sommer 2015, qui récompense une œuvre littéraire explorant les relations de l'homme et de la nature.

 

 

ouest france

« (…) Ce récit à la fois drôle et étrange entraîne le lecteur dans un monde complètement inconnu ou les surprises s’enchaînent de page en page. Henrietta Rose-Innes, jeune voix de ce pays, est un talent à suivre. » Karin Cherloneix

Le Point

"Une villa est envahie par des chenilles ? C'est l'affaire de Katya Grubbs et de son entreprise : PPR "Painless Pain Relocation" (autrement dit, déplacement des bestioles garanti sans souffrance), car s'il s'agit de débarrasser le terrain des petites ou grosses bêtes, c'est en leur trouvant délicatement un autre lieu de séjour. (...) Mère disparue (morte ?) et père rôdant toujours, la preuve : Katya le retrouve pour son malheur, à l'occasion d'un nouveau contrat sur le site dit de "Ninive". Là, un certain M. Brands veut construire une résidence de luxe, mais, pour que son chantier aboutisse, Brands doit être débarrassé des "goggas", mystérieux insectes dévastateurs qui menacent l'avenir de son projet. Après avoir fait appel à Grubbs père, et s'en être mordu les doigts, il embauche la fille. Quelles sont les chances de Katya dans cette affaire ? (...) Dire que l'auteur fait corps avec son sujet, avec sa ville, est peu dire, et cette force d'attraction saisit et ne lâche plus. Portrait d'une jeune Sud-Africaine et d'un jeune pays en construction, ce roman d'allure quasi fantastique a un charme ravageur. On attend déjà le second."

Valérie Marin La Meslée

La cause Littéraire

« (…) ce livre prenant, envoûtant comme un rite sorcier. Fantastique, hallucinant, allégorique et en même temps, tout à fait ancré dans une réalité frustrante, éphémère. Chevillés, encastrés l’un dans l’autre, monde à facettes. (…) Le lecteur se laisse prendre par cette attente minée, par moments étouffante, par ces êtres et cet édifice en perdition. Fascinants. (…) Ce premier roman traduit en français d’Henrietta Rose-Innes, au ton aussi impertinent qu’empathique, confirme la réputation de cette Sud-Africaine comme l’une des jeunes voix les plus remarquables de la littérature très riche et vivante de son pays. (…) » Anne Morin

Kaele

« (…) L’auteur parvient à faire monter la tension dramatique, dans une sorte de huis clos entre les animaux, la nature omniprésente et les destinées pris dans la toile de leurs origines. Peu de personnages, mais tous finement décrits, (…). Ce qui n’ôte en rien la force du récit, maîtrisé de bout en bout, et des descriptions acerbes d’une société sédentaire (…) » Fabien Franco

sélection des meilleurs romans de l'été

"Ce livre bourdonne comme un essaim, bruisse de mille craquements et froufroutements d'insectes. (...) Par ses images brillantes, drôles et sensibles, c'est tous les rapports entre les êtres, toute la société sud-africaine, que l'auteure donne à voir. Et les beautés d'une nature fascinante, puissante et chaotique." Julien Burri

Le Courrier

« (…) ce roman déjanté, caustique et poétique place son auteure Henrietta Rose-Innes parmi les voix les plus importantes de la nouvelle littérature sud-africaine. (…) » MOP

Tribune de Genève

« (…) Le roman de Rose-Innes fait partie de ces histoires qui font voyager et ouvrent le regard. L’histoire est absolument originale, le style réaliste véhicule un humour fin et donne à voir l’intériorité des personnages avec subtilité. Les réalités sociales des zones suburbaines précaires sont suggérées plus qu’abordées, ouvrant ainsi une dimension supplémentaire au roman. Un texte bluffant. » Marianne Grosjean

Le Temps

« (…) Il y a aussi beaucoup d’humour et d’énergie chez Henrietta Rose-Innes. Elle sait créer de vrais personnages. (…) » Isabelle Rüf

Le Monde

"(...) Ce roman captivant, déjanté, poétique (…). D’un style net, teinté d’humour caustique, Ninive place sans conteste Henrietta Rose-Innes, née au Cap en 1971, parmi les voix les plus importantes de la nouvelle littérature sud- africaine." Catherine Simon

Atout livre

Katya, jeune trentenaire du Cap (Afsud) mène une drôle d'existence et exerce un drôle de métier: vie au ras du sol, poète des microcosmes, elle évacue les bêtes indésirables des riches pavillons de la middleclass blanche. Jusqu'au jour où elle accepte un chantier insolite: l'énorme complexe "Ninive", construit sur des marais, est rendu inexploitable par l'apparition de mystérieux insectes. Dans l'isolement de sa mission, elle va être confrontée à ses vieux démons... Un texte magnifique.

Le Boulevard

Ce roman remarquable peut se lire comme une métaphore sociale grinçante. Mais l'auteure n'enferme jamais son récit plein de beautés et d'humour dans un message univoque. Elle laisse des formes insoupçonnées de vie surgir çà et là, comme une évocation de sa prolifération sans cesse recommencée.

Le Boulevard

L'Homme au lion

Un jour il n’y aura plus d’animaux sauvages, et les derniers trôneront, empaillés, chez les chasseurs. Mais la ville du Cap côtoie toujours les étendues dangereuses du bush, cette terre hostile où un drame a séparé Mark et Stan à leur adolescence. Des années plus tard, ils sont réunis à nouveau quand Mark est grièvement blessé par l’un des lions dont il avait la charge au zoo. Le fauve est alors tué et la lionne survivante, la dernière de son espèce, a besoin d’un gardien. Hanté par le souvenir de son meilleur ami, Stan le remplace auprès de la puissante Sekhmet, dont le magnétisme l’attire, sans savoir qu’un culte d’amoureux de la nature est prêt à tout pour rendre sa liberté à l’animal. Stan devra affronter ses souvenirs pour retrouver l’équilibre, une alchimie entre les normes de la société et l’appel de la vie sauvage.

Roman traduit de l'anglais par Elisabeth Gilles

Ninive: extrait

Des chenilles ? Facile, pense Katya. Même celles-ci, qui recouvrent l’arbre du tronc jusqu’à la cime, en grappes serrées, leurs poils orange tout tremblotants. Les chenilles, elle en fait son affaire.

Mais cet arbre qui se tortille, quel étrange spectacle tout de même: un arbre gangréné. Surtout ici, avec cette pelouse parfaite qui descend jusqu’à la grande maison blanche en contrebas,  entre des parterres de fleurs bien taillés piquetés de rose et de bleu. Sur le côté, juste dans son angle de vision, un jardinier tond le bord de la pelouse, les yeux sur Katya et le garçon, pas sur sa cisaille. En arrière plan, se dresse la Constantiaberg. C’est un jour d’automne, frais mais clair. Les montagnes font leur âge, ridées, usées et écrasées par un ciel exubérant. Belle journée pour une garden party.

Au centre du tableau, il y a pourtant cette chose abominable. Cet unique arbre emmailloté d’une couche de matière invertébrée, d’une multitude de corps à pointes molles couleur de sucre brûlé. On dirait que l’arbre entier a été dévoré et remplacé par une réplique grossière de lui-même tout en chair de chenilles.

– Toby. Les gants, dit Katya en claquant sèchement des doigts.

Son neveu lève les yeux au ciel,  de grands yeux clairs – c’est très efficace avec ses iris verts qui se détachent nettement sur le blanc –, il se penche du haut de sa hauteur et lui fourre dans la main une boule de latex froissée.

Les gants sont importants.  Katya n’est pas du tout impressionnée par les choses molles à sang froid mais certaines chenilles ont des épines piquantes. Les gants de jardinage épais sont trop encombrants pour ce travail délicat et Katya préfère la sensation du latex: elle amortit la perception mais, tout en estompant le stimuli de base, on dirait qu’elle permet d’isoler des sensations particulières.  Le rugueux du tronc, la chaleur de la peau sans la friction. Les gants font partie de l’uniforme, avec des bottes à bout métallique et une cotte criarde. Sa couleur-emblème: vert crapaud venimeux, vert boomslang[1].  Pendant qu’ils sont au travail, l’uniforme les isole, elle et Toby, des couleurs pastel de la pelouse et des fleurs. Ils sont là pour le business, rien que le business.

Katya secoue les gants et essaie de les enfiler. «On a besoin de talc. Est-ce que je ne t’ai pas demandé d’en acheter?»

Roulement d’yeux. «Ouais, ouais», dit-il en tournicotant ses cheveux blonds-cendrés retenus par un élastique en un maigre chignon. Il les laisse pousser depuis qu’il a quitté l’école,  il y a quelques mois. Il n’arrête pas d’arracher l’élastique ou de le resserrer contre son crâne en tirant sur les mèches, un spectacle qui produit sur Katya un picotement du cuir chevelu. Tante et neveu ont tous deux le front dégagé, la frange en arrière parce que c’est plus pratique – quoiqu’en y regardant de plus près, la raison paraît moins évidente: les barrettes, brillantes,  sont des barrettes de petite fille. C’est Toby qui les a apportées et Katya se demande d’où elles viennent. C’est le genre de choses qu’une adolescente porterait pour faire joli. Un des nombreux signes récents indiquant que son neveu pourrait bien être proche de certaines jeunes personnes. Quel âge a-t-il maintenant ? Dix-sept ans ? La moitié de son âge à elle – ce calcul la consterne. Qu’a-t-elle gagné pendant ce double de temps ?

«Allez, au boulot !», dit-elle.

Il lui sourit, conciliant. Le sourire de Toby a quelque chose de comique : ses dents sont petites et écartées, presque des dents de lait. Des gencives propres et roses comme celles d’un chiot. La bouche ouverte, il a l’air bien plus jeune que son âge. Katya a souvent envie de lui dire de se détendre. Quand il est décontracté, qu’il pense que personne ne le regarde, son visage a une belle expression de gravité; une légère mélancolie lui va bien, comme à sa mère.

Il porte

 

[1] Serpent d’arbre sud africain (ndt)