parution février 2020
ISBN 978-2-88927-738-4
nb de pages 304
format du livre 105 x 165 mm

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David Chariandy

Soucougnant (poche)

Roman traduit de l'anglais (Canada) par Christine Raguet

résumé

Après deux ans d’absence, un fils revient dans la maison de ses parents, en banlieue de Toronto. De la famille, il ne reste plus que sa mère, dont la mémoire s’érode. Une mémoire que le garçon va recueillir avec délicatesse : l’enfance à Trinidad, l’arrivée au Canada, sa solitude d’immigrée noire parmi les Blancs, l’histoire passionnée avec celui qui, caribéen comme elle, deviendra son mari.

Préface de Patrick Chamoiseau

biographie

Né en 1969, David Chariandy a grandi près de Toronto. Il vit aujourd’hui à Vancouver, où il enseigne la littérature à la Simon Fraser University. Son premier roman, Soucougnant, (Zoé, 2012), l’a consacré parmi les principaux auteurs canadiens contemporains. Chariandy puise son inspiration au sein de la diaspora caribéenne au Canada et traite de son intégration à la culture locale.

 

Maruani

"David Chariandy révèle une histoire intense, humaine, où le passé se mêle au présent, où les êtres s’apprivoisent."

http://www.librairiemaruani.fr/soucougnant-david-chariandy/?fbclid=IwAR0O66PcHO2vDB7Lj9D6_xkODvUlHNVT0Wjr9-CWfdiEvxCOYFEAm4dnFZQ

L'Infinie comédie

"Un Soucougnant est une créature issue de la mythologie antillaise. C’est aussi le nom d’un fabuleux roman d’un auteur majeur de la littérature canadienne, David Chariandy, autour d’une relation mère-fils." Sophie

Il est temps que je te dise. Lettre à ma fille sur le racisme

David Chariandy a beau être né au Canada, une femme dans un restaurant éthique lui fait comprendre qu’il n’est pas ici chez lui. Même s’il a grandi dans ce pays pourtant réputé plus tolérant que les États-Unis, il y a été souvent traité de nègre.

Dans cette lettre ouverte qu’il adresse à sa fille de treize ans, il est question d’appartenance ; de ses ancêtres à lui, d’origines afro-asiatiques ; de son identité à elle, dont la mère est issue de la grande bourgeoisie canadienne blanche. Pas de hargne pour parler de la blessure du racisme, mais une lucidité, une pudeur et une tendresse qui font de ce texte important une invitation à se déterminer librement : un véritable manifeste dans la continuité de James Baldwin.

Traduit de l'anglais (Canada) par Christine Raguet

33 tours (2018, écrits d'ailleurs)

33 tours

À Scarborough, on boit des bières au bord de la Rouge, on rêve d’Aisha, la fille la plus intelligente du lycée, on se bat avec les gangs rivaux. Ou alors, on se retrouve chez Desirea’s, qui tient autant du salon de coiffure que du night club. Michael et Francis, deux frères adolescents, mènent dans cette banlieue de Toronto une existence rythmée par les descentes de flics et le racisme ambiant. Ils n’ont jamais connu leur père et leur mère, Ruth, travaille nuit et jour pour leur donner une chance. Mais les espoirs de ces trois-là volent en morceaux lorsqu’une fusillade éclate, un jour d’été 1991.

33 tours est une histoire à haute tension, un hommage à l’art métissé du hip hop et un hymne à l’amour fraternel.

« Le roman le plus bouleversant que j’aie lu cette année » Dina Nayeri, The Guardian

Traduit de l'anglais par Christine Raguet

Soucougnant (2012, écrits d'ailleurs)

Soucougnant

Un fils retourne auprès de sa mère après l’avoir abandonnée. Deux ans sans la voir, sans l’entendre, sans la soutenir, sans l’aider, sans l’aimer ni la supporter. Sa mère souffre de démence sénile précoce. Elle oublie les choses, le sens des mots, celui des habits, qui sont les gens. Elle fait des recettes étranges et saupoudre la cuisine entière de farine ou de sucre. Aux moments de lucidité, elle sourit pour s’excuser, s’indigne qu’on la prenne pour folle.

Par la voix du fils, elle se souvient : son enfance dans la Caraïbe à laquelle elle s’agrippe, son arrivée jeune adulte au Canada, sa solitude de Noire parmi les Blancs, son mari caribéen comme elle, mais originaire d’Asie, qui l’aimait passionément; mais elle mélange. Elle confond son fils bien aimé avec sa garde-malade ou le prend pour son mari et l’embrasse furieusement sur la bouche.

Témoin bouleversé et pudique, le fils prodigue raconte l’érosion d’une femme, sa mère, dans une écriture précise et intense qui donne à cette histoire aux contours rudes une humanité lumineuse.

Traduit de l'anglais par Christine Raguet

Soucougnant (poche): extrait

Elle est devenue une vieille femme. Elle regarde par la porte de sa maison, mais la scène semble la perturber, les ecchymoses du ciel du soir et la course de crabes que font les feuilles le long du rivage en dessous. Ce sont là les falaises qui bordent le lac à Scarborough. C’est là la saison que l’on nomme automne.

« Tu devrais entrer », dit-elle, cherchant la chaîne de sécurité, mais elle constate qu’elle est déjà défaite. C’est alors seulement qu’elle lève soudain les yeux pour croiser les miens.

Je me suis accroupi pour délacer mes chaussures, évitant le tabouret qui s’est toujours avéré indigne de confiance. Je suspends mon manteau à la patère imperceptible à côté du disjoncteur. Elle remarque ces gestes et ralentit, pensive, tandis qu’elle me conduit dans ce vestige de foyer. Les mêmes courants d’air et le même plancher qui grince, le même calendrier avec ses photos d’animaux sauvages et l’élan de septembre 1987, aujourd’hui vieux de deux ans. Dans la cuisine, elle installe la bouilloire sur un des feux et tourne le bouton du réchaud sur « on ». Ensuite elle vérifie encore une fois pour être sûre.

Le gaz a été coupé. Je le vois immédiatement et je sais que nous allons attendre en vain que la flamme s’allume ou que la bouilloire commence à grésiller avant l’ébullition. Elle se tait à cet instant et ses yeux baissés m’évitent. Un rythme caverneux semble émaner des lames du parquet et des chevrons, mais ce n’est que le lac qui a son mot à dire au beau milieu de notre paisible rumination. Ceci pourrait continuer encore longtemps. Tandis que le soleil poursuit son chemin et que les ombres s’épaississent autour de nous. Tandis que cette vieille femme, ma mère, est tellement peu disposée à admettre qu’elle m’a oublié. Tandis que nous deux sommes libérés de notre passé.

Voici ce que je fais.

Je me relève et défais ma ceinture. Je déboutonne mon pantalon, j’en descends la fermeture éclair et je le laisse tomber sur mes genoux. Manman ne rit pas en me voyant avancer vers elle d’un pas incertain en me dandinant comme un canard. Elle ne s’affole pas quand sa main est tenue et guidée jusqu’à la peau sombre d’un jeune homme.

Allez. Appuie tes doigts sur le morceau d’os en forme de noix qui est sur le côté de mon genou. Maintiens-les ainsi jusqu’à ce que mon genou fléchisse et qu’un tendon aberrant se bloque contre cette protubérance et sous tes doigts avant de soudain se détendre. Avec un bruit sec. Un truc propre à mon corps.

Son sourire.

— Il a des os bizarres. Ils font des désordres jusqu’au fond de sa chair, dit-elle.

— Ton fils…

— Sa gran-manman aussi. Tu ne peux rien les faire pour les os. Ils sont comme l’histoire. Mais tu peux faire un thé de feuilles zavocat pour soigner les douleurs de ton corps. Et de feuilles de plantain pour faire le sang couler moins vite. Et il y avait quelque chose qu’on appelait plante scientifique qui pouvait te protéger des malédictions et des quimbois…

— Ton fils. Ton plus jeune fils. Tu te souviens, manman ?

— De l’aloès sur les petites brûlures. Tout le monde se souvient de ça. Mais il y avait une autre chose. Une chose humide et puissante qu’ils pouvaient te donner quand tu avais de grandes brûlures. Quand ta peau sortait comme un gant…

 

Je reste avec manman, pourtant je n’ai pas vraiment été invité à rester. Cette première soirée après mon retour, manman quitte soudain la cuisine et gravit les escaliers jusqu’à sa chambre au deuxième étage. J’entends le grincement sourd du verrou. Plus tard, je monte dans l’autre chambre du deuxième étage. Les lits superposés que je partageais autrefois avec mon frère sont encore faits, même si les draps et les oreillers sentent l’humidité.

La fenêtre de ma chambre donne sur la crête érodée de la falaise, et au-delà, sur un grand lac effleuré par la lumière déclinante de la ville. En dessous, à plus de dix mètres, quelques arbres s’inclinent sur une berge sablonneuse et sur des détritus imbibés d’eau. Une danse de feuilles et les cabrioles d’un sac de chips vide. Malgré la vue et le fait que de nombreuses personnes considèrent cet endroit comme « un très bon quartier de Scarbourough », il nous est difficile d’être fiers de notre maison. Nous sommes les seuls au fond d’un cul-de-sac qui a jadis servi de décharge aux entreprises de construction immobilière. La maison est vieille et se prépare maintenant aux derniers assauts de l’érosion. Même l’été, toutes les fenêtres qui donnent au sud sont fermées. Parce que la voie ferrée est à moins de trois mètres.

Je suis réveillé en sursaut pendant la nuit. La maison est saisie d’une énergie brutale et des atomes de poussière ont transformé en masses compactes les rayons de lune qui s’immiscent par la fenêtre. Le vacarme atteint son paroxysme et ce n’est qu’alors qu’il me paraît évident que c’est un train de marchandises. J’attends que la voiture de queue soit passée et que les bruits du lac refassent surface. Je regarde le vent pousser des fantômes entre les rideaux. Je rêve, aux marges de l’éveil, des pas qui résonnent dans l’air au-dessus de moi.