(extrait)

Une vie de peintre

 

Tout jeune encore, installé dans une mansarde, il dessina un cavalier. Un monsieur ami des arts acheta le dessin pour vingt francs, s’imaginant peut-être qu’il apportait un encouragement décisif à un talent prometteur. Vingt francs, pourtant, pour un jeune homme désargenté qui veut devenir peintre, peuvent passer pour un soutien assez dérisoire. Un mécénat aussi infime ne saurait obliger à une reconnaissance éternelle. Un sourire serait de mise, ici.

Le monde était plein de difficultés et d’embûches, de froideur et d’indifférence, et ce jeune homme était pauvre. D’une grande gentillesse, il semblait se distinguer par une intelligence et une maturité précoces. Son visage et ses manières trahissaient quelque chose de profond et d’aventureux, signalaient une âme singulière, un caractère rêveur. Il était encore sans instruction, et il s’agissait maintenant pour lui, peu à peu, de faire son chemin. Il tenait la tête légèrement baissée. On surprenait dans ses yeux comme un souci constant de toutes les complications qui guettent un jeune homme à la sensibilité presque trop délicate. La délicatesse a vite fait de sentir avec intensité ce qu’un épiderme grossier ne perçoit ou ne remarque ni de près ni de loin. La délicatesse, voilà ce qui caractérisait notre artiste en herbe.

Allant et venant, se débrouillant vaillamment, il peignait, en variant la manière, de petits paysages, des coteaux plantés de vergers fleuris, la pluie, la neige et le soleil, l’automne, l’été, l’hiver, le printemps orageux, fantasque, riche en idées, un cerisier en fleur dans une verdure pluvieuse, une ferme dans la torpeur de midi, un torrent écumant, serti dans le vert sombre d’une forêt et d’une gorge, un flanc de montagne jaune pâle et ensoleillé (Vosges), et puis, un simple petit bout de pré émaillé de fleurs ou une friche dans la radieuse lumière du matin, humide et chatoyante, resplendissant joyeusement. Dans une espèce d’école d’art, il dessina d’après modèles des enfants, des femmes et des hommes. La nature et la peinture s’ouvraient à lui comme un infini. Ses maîtres témoignaient de son zèle et de talent. Sur sa requête, l’État lui alloua une modique allocation à titre d’encouragement, mais l’art est une paroi vertigineuse, et celui qui donne un peu d’argent ou quelques conseils à un artiste qui en entreprend l’ascension, n’est que rarement, ou point du tout conscient de la minceur de ce qu’il est en mesure d’offrir, en regard des difficultés qui se dressent devant l’âme et l’intelligence de cet artiste, et au travers desquelles son cœur devra se frayer un passage. Osons affirmer que les gens sur lesquels tombe, comme une pluie régulière, un salaire mensuel ou annuel, situation des plus agréables il va sans dire, que ces gens, donc, ne peuvent que malaisément se faire une idée de l’existence risquée de l’artiste indépendant. L’indépendance et la liberté supposent un combat âpre et continuel.

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