parution janvier 2017
ISBN 978-2-88927-383-6
nb de pages 240
format du livre 140 x 210 mm

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Anne Pitteloud

Catherine Safonoff, réinventer l'île

résumé

Anne Pitteloud propose une critique approfondie de l’œuvre très intime et pourtant pudique de Catherine Safonoff. Une œuvre jouant constamment entre autobiographie et fiction et dont les différents livres sont envisagés comme un réseau d’îlots qui, ensemble, forment un tout signifiant.  Les nombreuses citations de l’œuvre permettent au lecteur de retrouver le plaisir éprouvé à la lecture des textes de Safonoff et d’être ramené avec force à lui-même, car ce qu’écrit Safonoff est si précis qu’il ne peut qu’être universel.   

La critique est suivie d’un entretien entre ces deux femmes de lettres, une immersion dans le jardin secret de l’auteur. 

C’est le premier ouvrage critique entièrement consacré à l’œuvre de Catherine Safonoff.

biographie

Née en 1972 à Genève où elle a étudié les lettres, Anne Pitteloud est responsable des pages littéraires du quotidien indépendant Le Courrier depuis 2002. En tant que journaliste et critique, elle porte une attention particulière à la littérature suisse, particulièrement romande, et prend une part active à la vie littéraire.

paperblog.fr

"Il faut (..) lire ce livre éclairant sur l'œuvre originale de Catherine Safonoff, pour qui l'écriture prend sa source dans l'île: c'est l'île en elle qui écrit ses livres, elle encore qui ancre les récits dans le mythe, puisqu'il est "impossible de vivre sans magie"." Francis Richard

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Mediapart

"...Ces éclats de vérité [que Catherine Safonoff met en mots], la critique littéraire du quotidien genevois Le Courrier, Anne Pitteloud, les a longuement observés. Son essai, intitulé Catherine Safonoff, réinventer l’île, explore les multiples dimensions d’une œuvre qu’elle envisage comme un archipel littéraire. Elle en analyse avec une acuité érudite et passionnée les différents aspects, aussi ténus soient-ils. Ce voyage au cœur des livres prouve ce que le lecteur pressent sans les avoir tous lus : il existe bel et bien une « logique de circulation entre les titres. » (...)" Fabien Franco

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Télérama

"un essai passionnant" Marine Landrot

La Liberté

"... [U]ne étude sensible et approfondie. Courageuse plongée dans les textes de Safonoff, cette matière rétive à toute catégorisation dont la "jeune critique littéraire" au Courrier parvient à restituer toute la cohérence. Au fil de l'analyse, ce "mélange étonnant entre vécu et reconstitution du réel" apparaît comme un tout organique, tendu par un réseau mystérieux d'indices biographiques. (...)" Thierry Raboud

Caractères (RTS)

Catherine Safonoff (La distance de fuite) et Anne Pitteloud (Catherine Safonoff, réinventer l'île) invitées dans l'émission Caractères (RTS).

Réécouter l'émission ici

Le Courrier

"... Anne Pitteloud nous balade dans l'archipel safonoffien en amatrice éclairée, attirant notre attention sur la façon dont certains motifs (relations amoureuses, souvenirs, deuils, rêves) passent d'un livre à l'autre, entraînant traitement et propos différents, jeux de masques zones d'ombre et élucidations rétrospectives. (...)" Maxime Maillard

Le Temps

"Une étude savante et sensible [qui] montre la cohérence de l'œuvre en archipel de Catherine Safonoff. (...) Une belle approche d'une œuvre attachante." Isabelle Rüf

Catherine Safonoff, réinventer l'île: extrait

I. Fictions et vérité

1. Les livres[1]

Le premier roman de Catherine Safonoff, La Part d’Esmé (1977), est récompensé sur manuscrit par le Prix George-Nicole alors édité par Bertil Galland. Il met en scène une jeune femme dans la trentaine qui a quitté son mari et ses deux filles pour Lancelot, son jeune amant anglais, accessoirement assistant de son mari à l’université. A l’ouverture du roman, Esmé est serveuse dans un café – elle veut prouver qu’elle peut être indépendante – et tout le récit montre sa difficile quête de liberté, entre désir de suivre ses élans amoureux et émancipateurs, attachement et culpabilité.

Retour, retour (1984, Prix Schiller) démarre où finissait La Part d’Esmé : à la gare. Esmé rentrait d’un séjour dans l’île grecque, présente dans tous les livres de Safonoff, les bras chargés de cadeaux et prête pour un nouveau départ. La narratrice de Retour, retour débarque à la gare après avoir rebroussé chemin au milieu de son voyage, avant même d’être arrivée à destination. Cet échec, dont on ne connaîtra la cause qu’à la fin du livre, l’empêche de reprendre le cours normal de sa vie. Elle passe quelques jours à l’hôtel puis loue une chambre vétuste et froide et devient étrangère dans sa propre ville. C’est à un voyage intérieur qu’elle nous invite alors, la mansarde, le silence et la solitude devant lui permettre, espère-t-elle, de revenir d’abord à soi, puis aux autres. On suit son quotidien de plus en plus dépouillé, truffé de signes à décrypter, où les quelques personnages rencontrés semblent autant de symboles au fil d’un parcours initiatique souvent oppressant.

Avec Comme avant Galilée (1993, Prix Pittard de l’Andelyn), Catherine Safonoff signe son livre le plus ouvertement autobiographique jusque-là. Le récit se déroule sur neuf mois, qui correspondent au temps de l’écriture, et se compose en bonne partie des lettres que la narratrice écrit, sans les envoyer, à de multiples destinataires plus ou moins proches : un voisin, un homme croisé à la poste, ses filles, sa petite-fille, des amis, un ex-amant, mais aussi les heures, les saisons ou les plantes de son balcon. S’y mêlent des annotations personnelles où elle égrène également pensées, événements et souvenirs. On y croise à plusieurs reprises la figure d’un harponneur dont on n’entend plus que l’accordéon, figure de la mort en écho à celle de son père qu’elle tente d’accompagner vers la fin. A mesure que la mort approche, les notes personnelles se font de plus en plus nombreuses au détriment des lettres ; car une seule devait être écrite, celle au père, qui ne le fut pas.

Après cette prise de risque autobiographique, elle dira lors d’une interview : « Les règlements de compte avec moi-même, c’est fini. Je veux écrire quelque chose de vrai, c’est-à-dire de la fiction. »[2] Ce sera Le Pont aux Heures (1996), où elle imagine la rencontre entre la jeune Méli et Vrochunda, bohémienne au nom âpre dont le chant merveilleux, entendu sur le pont aux Heures, ravit littéralement Méli. On y suit son amour à sens unique, ses moments auprès de sa grand-mère alitée, la disparition de Vrochunda et la rencontre de celle-ci avec Karel, leur refuge dans une vieille maison et la quête éperdue de Méli. Un personnage de narratrice, avatar de l’auteure, fait irruption dans le texte pour commenter l’action et répondre à un inquisiteur qui la questionne sur cet amour au féminin ; elle finit par entrer dans la fiction, infléchir son cours et occuper le premier plan, dans une mise en abyme du travail romanesque truffée d’indices sur la « fabrique de la fiction ».

Suivra un premier recueil de nouvelles, La Part du fleuve (1997), trois courts textes qui reprennent des motifs chers à l’auteure à la manière d’une variation musicale sur un thème. La première nouvelle, « La Part du fleuve », semble la part sombre du Pont aux Heures : si son mouvement est, ici aussi, lié au temps qui passe, le fleuve enchanté du roman va dans la nouvelle vers son aboutissement, la mort. Dans « Femme à l’oiseau », le personnage féminin est en quête d’une maison idéale, telle qu’elle la porte en rêve, et ne la trouvera pas. « 17, Impasse Vige » imagine les extrémités auxquelles peut pousser la torture du bruit des voisins quand on vit dans un immeuble, au fil d’un récit dont le statut est mis en doute : rêve ou carnet intime ?

Catherine Safonoff revient à un fonds plus clairement autobiographique dans Au nord du Capitaine (2002), quatre moments autour d’une histoire d’amour pour le Capitaine Rouge, ancien marin rencontré dans l’île grecque où la narratrice se rend depuis toujours. Marginal, ex-prisonnier, sans doute impliqué dans quelques affaires louches, l’homme la fascine. La narratrice raconte sa relation compliquée avec le Capitaine de manière non chronologique, selon les associations libres de sa mémoire : le passé s’enchâsse au présent et les séjours sur l’île alternent avec les scènes de son quotidien à Genève, dans un récit qui s’achemine vers la rupture des amants. Elle disparaît à la fin du troisième chapitre, laissant la parole au Capitaine qui raconte la disparition de sa compagne et ses vaines recherches. La fin est déléguée à un autre point de vue encore, porté cette fois par un « vous » : celui d’un homme qui ne se remet pas d’une rupture amoureuse et veut en finir. Dans le train, il tombe sur le Capitaine qui abandonne sur la banquette un carnet écrit par une femme…

La Tête de ma femme et autres histoires (2003) est composé de deux nouvelles séparées par une partie poétique. Dans « La Tête de ma femme », le narrateur est pour la première fois un homme, toujours amoureux de son ex-amie – elle ressemble aux narratrices de Catherine Safonoff – qu’il accueille dans sa maison isolée. Peu à peu, il ourdit envers elle de funestes projets. « Comme une chanson » propose une suite de poèmes, instantanés qui, en quelques images, condensent l’essence de certains thèmes, émotions ou souvenirs familiers aux lecteurs des romans. Enfin, « Potlatch » développe une réflexion sur l’argent et le pouvoir qui se lisait en filigrane des ouvrages précédents.

La rupture d’Au nord du Capitaine ne sera élucidée que dans Autour de ma mère (2007, Prix Dentan), centré sur un double deuil. « Résumé de ce paquet de notes : ces années-là, je tentai d’oublier mon dernier homme et de soutenir ma première femme qui entrait dans la mort. »[3] Ces notes prennent la forme d’un carnet de bord, un « faux journal » tenu entre 2003 et 2006. Quête d’amour filial, tentative de reconstituer le passé oublié par sa mère, souvenirs d’enfance et de son histoire d’amour avec le Capitaine – désigné ici par l’initiale N. –, voyages dans l’île, scènes avec ses filles et son petit-fils, rêves et défilement des saisons : le récit est rythmé par une succession de séquences qui forment un tout poétique d’une grande finesse et éclaire de manière inédite la démarche autobiographique de l’auteure.

 


[1] Les références des pages correspondent aux parutions grand format des Editions Zoé, sauf pour La Part d’Esmé (coll. Poche suisse, L’Age d’Homme) et Retour, retour (Zoé Poche). Les deux recueils de nouvelles, eux, sont publiés en MiniZoé. Une bibliographie détaillée se trouve en fin de volume.

[2] Journal de Genève, 20.11.1993.

[3] Autour de ma mère, p. 151.