parution mars 2006
ISBN 978-2-88182-557-5
nb de pages 96
format du livre 210 x 140 mm
prix 20.00 CHF

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Jérôme Meizoz

Le Rapport Amar

résumé

 

Bruno Lesseul, un linguiste renommé, est accusé du meurtre atroce de Juliana Amar, une jeune brésilienne, spécialiste des rites sacrificiels du candomblé. Un criminologue, chargé du Rapport sur cette affaire où Lesseul refuse de parler, livre un récit distancié des faits. En étudiant les notes et le journal de l’accusé, un être tourmenté par le passé et par l’écriture, l’expert reconstitue le lien complexe qu’il a noué avec Juliana. Féru de dialectes et de langues orales, révolté par l’aliénation verbale des ethnies colonisées, Lesseul ne fait plus la différence entre ses enquêtes linguistiques et sa perception de Juliana, à laquelle il reproche de négliger ses racines. Par amour, celle-ci cède du terrain.

Véritable curiosité littéraire, Le Rapport Amar raconte la dérive d’une passion exclusive pour le langage.

 

biographie

Jérôme Meizoz, né en Valais, est écrivain et professeur à l’Université de Lausanne.

Son premier livre Morts ou vif a été désigné «Livre de la Fondation Schiller Suisse 2000». En 2005, il reçoit le prix Alker-Pawelke de l’Académie suisse des sciences humaines (ASSH), et en 2018 Faire le garçon (2017) remporte le Prix suisse de littérature. Parmi ses ouvrages littéraires, Les Désemparés (2005), Père et passe (2008), Fantômes (2010, avec Zivo), Séismes (2013), Temps mort (préface d’Annie Ernaux, 2014),  Haut Val des loups (2015) et Absolument modernes! (2019).

 

 

Haut Val des Loups (2023, Zoé poche)

Haut Val des Loups

Dans la nuit du 3 février 1991, le jeune secrétaire du WWF-Valais est violemment agressé par des inconnus. La tension est au plus haut entre les milieux immobiliers et les associations écologistes. Le poète Maurice Chappaz prononce un discours accusant les "nazis de l’économie". L’instruction dure, les pistes s’égarent et la justice conclut à un non-lieu. Vingt-cinq ans après, la littérature prend le relais: s’inspirant de ces événements, Jérôme Meizoz compose un roman en forme de puzzle, qui tente moins de trouver les coupables que de restituer l’atmosphère d’une époque où les questions environnementales étaient déjà brûlantes.

Postface de Pascal Ruedin, secrétaire du WWF-Valais en 1991

Séismes (2022, Zoé poche)

Séismes

Tableau impressionniste d’une bourgade durant la décennie 1970, Séismes raconte le parcours troublant d’un enfant vers l’âge d’homme. Sidéré par la perte de sa mère et l’étrangeté du monde adulte, le narrateur égrène les instants rares où l’existence atteint son maximum d’incandescence. Sa voix, accordée à l’oralité des rues, dit la sensualité des odeurs, du toucher, et donne au récit une épaisseur singulière.


Par une écriture minimale et rythmée, Jérôme Meizoz rejoint l’émotion par l’épure.

Préface de Claire Devarrieux

Malencontre

Tout le monde l’appelle Le Chinois. On se moque doucement de lui, de ses poèmes, de ses « théories à la con ». L’année de ses quinze ans, il s’est épris de Rosalba. Elle, elle n’a rien vu, rien su et épousé l’héritier de la prospère Casse automobile. Au fil du temps, cet amour non partagé s’est librement déployé dans l’esprit fertile du Chinois. Le jour où Rosalba se volatilise, la police diffuse sans succès un appel à témoins. Pour comprendre cette histoire dont il perd sans cesse le fil, Le Chinois interroge les proches de la disparue. Toutes leurs voix dessinent l’inquiétant motif d’un miroir éclaté. Anti-polar et célébration de l’imagination amoureuse, Malencontre oppose à l’âpreté du réel les forces de l’humour et de l’invention.

Absolument modernes !

Absolument modernes ! est la chronique caustique et navrée de la modernité suisse des années 1970 et 1980 : le pari sur la croissance illimitée, le culte du marché et de la technique. Entre satire et récit intime, un certain Jérôme Fracasse conte les Trente Glorieuses traversées par son père, ouvrier convaincu de l’«avenir radieux». Documents, slogans et tracts d’époque autant que souvenirs de famille dessinent une période exaltée et ambiguë : la construction de l’autoroute du Rhône, l’ouverture des supermarchés, le règne de la télévision et de la voiture, le développement massif du tourisme dans les Alpes.

La croyance heureuse du père dans le «régime des promesses», la volonté de s’arracher à un passé de pénurie et le tourbillon de la société de consommation : tels sont les grands traits de cette fresque où drôlerie et gravité sont indissociables.

Faire le garçon

Pourquoi faut-il «faire le garçon» ? Et comment vivre, en homme, avec un «cœur de fille» ? Dans ce récit où alternent l’enquête et le roman, l'écrivain Jérôme Meizoz esquisse une éducation sentimentale, tendre et crue, commencée dans Séismes (Zoé, 2013).

L'enquête (30 chapitres impairs) porte sur l'assignation des garçons à la virilité dans un milieu rural catholique. On y convoque divers documents, articles, témoignages, ainsi que des scènes de la vie quotidienne.

Le roman (30 chapitre pairs) a pour personnage principal un jeune garçon qui, pour échapper à l'usine, a choisi de se prostituer. Il vend ses caresses mais il «n’entre pas dans le corps». Dans le secret, on lui parle. Le voilà confident de vies douloureuses.

«Le meilleur des métiers. Le seul pour lequel il se sente compétent. Après tout, il donne une sorte d’amour.»

Haut Val des loups

Un village de montagne, la nuit. Un étudiant sauvagement battu par trois inconnus. Le Jeune Homme se consacrait à la défense de l’environnement. Un groupe de militants candides soutient la cause qui lui a presque valu la mort. Dans les cafés, chacun y va de son avis. La rumeur galope. Les preuves manquent, l’enquête s’enlise et la justice finit par déclarer forfait. La police a-t-elle examiné toutes les pistes de l’affaire ? Qui n’a pas intérêt à ce que la vérité éclate au grand jour ? Épais comme un roman, le dossier reste secret. Mais parfois le silence ne suffit plus : ici commence la littérature.

Haut Val des loups reconstitue les années ardentes et cocasses de jeunes gens aux prises avec une société close, décidés à sauver la nature et changer le monde…

 

 

 

 

Séismes (2013)

Séismes

 

Tableau impressionniste d’une bourgade durant la décennie 1970, Séismes raconte le parcours troublant d’un enfant vers l’âge d’homme. Sidéré par la perte de sa mère et l’étrangeté des adultes, le narrateur égrène ses récits de chocs, instants rares où la vie se livre à son maximum d’incandescence. Accordée à l’oralité des rues, sa voix dit la sensualité des odeurs, du toucher dans un récit à l’épaisseur singulière.

Dans tout ce livre règne une gaieté cruelle, proche de celle d’un Fellini ou d’un Prévert, pour tenir en respect la « tristesse qui fermente en silence comme un vin abandonné ».

Grâce à une écriture minimale, d’un rythme envoûtant, Jérôme Meizoz rejoint l’émotion par l’épure. 

Destinations païennes (2013, Minizoé)

Destinations païennes

 

« Je viens d’un pays où le passé saisit le présent et le mord… »

Le passé empiète sur le présent. On est en pays occupé par la déesse Mémoire. Pour que la vie triomphe, le narrateur cherche une issue dans le vaste monde. Ces courts récits célèbrent l’échappée belle du voyage.

Jérôme Meizoz, né en 1967 en Valais, est écrivain et essayiste. Il enseigne la littérature à l’Université de Lausanne.

Postface de Roselyne König-Dussex

 

 

Les Désemparés

 

La faille de vivre, qui ne la connaît pas ? Sur la fragilité et l’incertitude des vies, ce livre s’égrène comme une suite de scènes et de portraits. Les récits brefs portent sur les moments et les lieux où basculent des personnages laissés pour compte.

Quelle place reste-t-il pour ce qui, en nous, palpite et refuse de se soumettre aux exigences du monde diurne ? Que deviennent celles et ceux qui ne peuvent s’insérer dans le rythme de nos sociétés ?

Les désemparés qui hantent les villes nous renvoient aux étranges misères de la réussite. Passants pressés, c’est à peine si nous osons lire nos propres désarrois dans leurs yeux.

«Ne riez pas : mettez vos noms sur leurs visages.»

Le Rapport Amar: extrait

 

Avertissement

 

Le présent rapport résulte d’une efficace collaboration de notre Institut avec la Gendarmerie cantonale et la Brigade internationale anti-criminalité (Berne) qui a pris en charge l’enquête en territoire brésilien. Les actes imputés à M. Bruno Lesseul, né à Genève le 24 septembre 1955, domicilié à Lavaux, chargé de recherches en ethnolinguistique à l’Université lémanique, relèvent du tribunal d’arrondissement IV. M. Lesseul est soupçonné du meurtre avec sévices, le soir du 23 décembre 2003, d’une ressortissante brésilienne dénommée Juliana Amar, dans la chambre 1 du motel Trafic sur la Nationale 7 au nord d’Essertes.

Chercheur apprécié mais insaisissable, impliqué dans une affaire qui rejaillit également sur le milieu scientifique et sa crédibilité, Lesseul s’obstine à garder le silence depuis son incarcération.

Ainsi limitée aux informations secondaires, notre enquête mentionnera en détail les sources des divers témoignages et documents. Le Journal de Bruno Lesseul, qui jette une lumière inattendue sur son activité scientifique, en est la pièce maîtresse. Au vu des relations du meurtrier présumé et de sa victime, l’affaire nécessite une remise en contexte. Le présent rapport tente de restituer la logique du parcours intellectuel et intime de Lesseul. En effet, les facteurs affectifs et scientifiques ne semblent pas pouvoir être distingués dans ce cas.

L’ensemble des indices collectés, et la preuve par déduction que permet le Journal sont à la disposition du procureur cantonal, ainsi que des avocats de l’accusation (Me Glatz) et de la défense (Me Poncelet).

En outre, le faisceau des preuves matérielles recueillies sur le lieu du crime corrobore sur plusieurs points nos conclusions. À charge du procès prévu à l’automne de 2006 de les mettre à l’épreuve. Le mutisme de Lesseul sur ses actes présumés, et sa prostration sans cesse aggravée depuis qu’il a été arrêté à son domicile, nous inclinent à penser que le procès ne pourra compter avec la collaboration de l’accusé.

Nos enquêtes font parfois surgir les faces les plus inattendues de personnalités réputées sans faille. Il s’agit simplement de ne pas reculer devant les faits.

 

Dr Jean M. Bétourné (criminologie).

Dr Fabrice Soulages (psychologie clinique).

 

© Institut criminologique de l’Université lémanique, le 19 avril 2006.

 

Nos remerciements particuliers s’adressent au Dr Conrad Baye, médecin-légiste, pour son travail décisif lors de l’examen du cadavre.

 

Annexes :

 

- Chronologie des faits.

- Liste des pièces à convictions et documents cités.

 

I

 

L’enfant troublé

 

Contrairement aux pieuses habitudes des biographes, nous croyons inutile de chercher dans la moindre scène d’enfance de Bruno Lesseul la préfiguration de ses actes supposés, de ses obsessions, de son génie malade, peut-être. Quelques éléments méritent néanmoins attention, car la scène du crime, amplement décrite par la presse de boulevard, convoque une série de signes échelonnés tout au long du parcours de M. Lesseul, comme si elle obéissait à un secret codage.

Né le 24 septembre 1955, dans le bourg d’Essertes, Lesseul est le premier et unique enfant, et pour cause, de parents médecins : moins d’un an après sa naissance, le couple se tue au volant de sa Facel Vega, au retour d’une soirée à l’Opéra de la ville voisine. Ses grands-parents trop âgés pour en prendre soin, c’est une cousine de sa mère, Jacqueline Baron, institutrice, divorcée sans enfants, qui le recueille et l’élève.

Au bénéfice d’une bourse de l’État destinée aux orphelins, Lesseul fréquente divers pensionnats religieux pour se préparer aux études supérieures. Aux dires de Jacqueline Baron, l’enfant était taciturne, plaintif, et ne s’associait guère aux jeux des camarades de son quartier :

 

« Bruno ne cessait de se pendre à mes jupes, il ne passait pas les nuits sans hurler à plusieurs reprises, au sortir de cauchemars impossibles. Dès qu’il a eu six ans, il s’est systématiquement réfugié dans les livres, abandonnant très vite tous les jeux d’enfants[1]. »  (Marlyse, soit on garde les « … », soit on garde la mise en retrait, mais pas les deux, sinon cela surinvestit la citation. )

 

Cette faiblesse des nerfs, grande fragilité affective associée à une imagination débridée par les livres, laisse aux témoins une impression étrange : comme si Lesseul n’était jamais tout à fait parmi eux, à demi happé ou étreint par le monde imaginaire où il se réfugiait.

 

« Malgré sa dépendance affective, et ses angoisses, Bruno était plus mûr (ou avait une plus grande maturité) que les enfants de son âge. Il soutenait déjà des discussions abstraites. Le plus souvent, il protestait contre les savoirs adultes, mais recherchait systématiquement la compagnie de personnes plus âgées[2]. »

 

Mme Baron évoque avec difficulté son adolescence troublée, les journées enfermées dans sa chambre à lire, ses performances scolaires exceptionnelles mais accompagnées sans cesse de larmes. Sans amis, errant toujours dans la campagne avec ses cahiers, Lesseul a toutefois créé un lien, au grand déplaisir de sa tutrice, et du village entier : à peine âgé de seize ans, il s’amourache d’une femme bien plus âgée que lui, émigrée italienne venue avec son mari travailler à la saison dans le pays. Luisa S., fatiguée de son homme qui boit, s’éprend du jeune garçon et multiplie avec lui les escapades. Pris sur le fait par le mari, aperçu à plusieurs reprises par des villageois à l’occasion de ses ébats en pleine nature , ce couple singulier affronte le commérage de toute la communauté.

De cet été-là, semble-t-il, date son goût pour les langues latines : avec Luisa, il apprend très vite l’italien, se met à lire des romans dans cette langue, fait par lui-même tout le décodage grammatical décalqué du latin qu’il apprend sagement, par ailleurs, dans le collège voisin. Il pioche dans Cassola, Verga, Pavese, remonte à Dante dont il annote méticuleusement un exemplaire de De vulgari eloquentia (1305). Pris d’une passion démesurée pour Luisa S., Bruno se dispute avec sa tutrice, s’absente de plus en plus souvent, sèche les cours à plusieurs reprises. Il se voit convoqué par le principal du collège, qui se souvient :

 

« Bruno Lesseul était un de nos meilleurs éléments, le latin n’avait pas de secrets pour lui, et il jonglait avec les langues modernes. On aurait dit qu’il les avait en bouche comme s’il mordait dans des fruits mûrs ! Il a fallu sévir durant sa cinquième année, au printemps de 1974, à la demande de sa tutrice. Il est arrivé au bac presque sans préparation, tout à la fois anxieux et arrogant. Nous avons eu un entretien, mais il refusait de se séparer de cette femme mariée, qui avait assurément la pire influence sur lui. Il s’obstinait à renier les activités de son âge. Il se passait quelque chose de contre nature, je pense. Pourtant, il avait une foi fervente en le Christ, une foi, comment dirai-je, presque militante, ou guerrière. Après mûre réflexion, je lui ai donné un blâme. Deux mois plus tard, il passait un très bon bac, et quittait le canton sur-le-champ[3]. »

 



[1] Entretien avec J. Baron, février 2004.

[2] Entretien avec J. Baron, février 2004.

[3] Entretien avec le père P. Castrou sj., février 2004.