parution août 2012
ISBN 978-2-88182-877-5
nb de pages 350
format du livre 105 x 165 mm
prix 15.00 CHF

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Georges Borgeaud

Le Soleil sur Aubiac

résumé

 

Chaque été pendant plus de vingt ans, Georges Borgeaud a abandonné Paris pour retrouver, avec sa chatte, ses livres et ses manuscrits, la quiétude d'un vieux colombier loin de l’effervescence urbaine. Comme une sorte de toile d’araignée, l’ouvrage relie d’un même fil le Paris littéraire, la Suisse des années vingt et le Quercy de la fin du vingtième siècle, capte les paysages et les personnages du Sud-ouest dans de superbes descriptions, s’attache aux scènes de genre et aux modes de l’époque.

Borgeaud livre ici son ars vivendi, forgé au creuset de la solitude.

biographie

Georges Borgeaud est né en 1914 à Lausanne, de « père inconnu ». Il fait ses classes à Aubonne, sur la Côte vaudoise, et au Collège catholique de Saint-Maurice, en Valais, qu’il quitte avant le baccalauréat, en 1933. Ce départ forcé marque le début de cinq années difficiles durant lesquelles Borgeaud exerce différents métiers, dont le préceptorat en Suisse et en Belgique. Il se croit même une vocation religieuse, mais un séjour dans un couvent bénédictin en Belgique le dissuade d’entrer dans les ordres.

En 1938, il commence un apprentissage de libraire à Bâle, puis à Fribourg. Pendant la guerre, ses projets littéraires sont retardés par le service militaire, mais il reprend ses activités de libraire pendant les permissions, notamment à la Librairie Universitaire de Fribourg, qui joue alors un rôle important pour la France occupée.

Décidé à vivre de sa plume, Borgeaud quitte définitivement la Suisse en 1946 pour s’établir à Paris. Grâce à l’appui de Dominique Aury, proche des milieux littéraires romands, Le Préau paraît en 1952 chez Gallimard. Le succès est immédiat pour le romancier débutant, qui reçoit le Prix de la Critique la même année : il se lie avec Marcel Arland, Jean Tardieu et François Nourissier, collaborant bientôt à La Nouvelle Revue française, à La Parisienne, à la revue Preuves, à l’hebdomadaire Le Point – la plupart de ses chroniques et articles, notamment sur les peintres, sont rassemblés dans les quatre volumes des Mille feuilles (1997-1999). Si La Vaisselle des Evêques, publié en 1959 par Gallimard, rencontre un moindre retentissement, Le Voyage à l’étranger (1974) et Le Soleil sur Aubiac (1986), qui marquent le passage de Borgeaud chez Grasset (en coédition avec Bertil Galland), sont distingués respectivement par le Prix Renaudot et le Prix Médicis de l’essai.

C’est à Paris, qu’il ne devait guère quitter si ce n'est pour des voyages en Italie, recensés dans Italiques (1969), et des séjours dans son pigeonnier du Quercy, que Borgeaud est mort en 1998. Le Jour de printemps a paru, à titre posthume, en 1999.

Anne-Lise Delacrétaz

 

Le Voyage à l'étranger

Le Voyage à l'étranger (Grasset, 1974) est un roman de formation dont le héros est pris dans l’engrenage de l’échec. En 1937, le jeune Jean Noverraz quitte la Suisse pour la Belgique. Après une expérience malheureuse au monastère, il devient le précepteur de l’indiscipliné comte Christian de Moressée, au château de Soye. C’est alors qu’il fait son éducation sentimentale auprès d’une femme mariée plus âgée que lui, Madeleine Cédrat. Surpris dans sa liaison, il est chassé du château : «A partir de là, les épisodes de mon voyage à l'étranger passèrent irrévocablement du côté de ces choses que la vie – ou moi-même – laissa inachevées.»

Préface d’Anne-Lise Delacrétaz

Le Soleil sur Aubiac: extrait

 

Le parcours

 

Le train rapide et luxueux, dit des hommes d’affaires, le Capitole, descend de Paris à Toulouse en traversant à grande vitesse plusieurs départements, comme s’il voulait enjamber le plaisir qu’un voyageur désintéressé aurait à savourer le paysage. Sans doute les gens qui le prennent vont-ils traiter des marchés en province, explorer, comme ils disent, une clientèle. Ils sont à côté de moi assis sur les capitons de la SNCF, les yeux baissés sur des plans, des schémas, des statistiques, un journal d’économie sur leurs genoux, des pages blanches et quadrillées sur la tablette devant eux où ils inscrivent chiffres et sigles. Ils lisent Le Monde. Quand une femme passe par l’allée centrale, ils lèvent la tête. Leur regard porte sur elle un jugement plus ou moins appuyé, mais ils ne songent guère à suivre des yeux ce qui se passe dehors. Ah ! si seulement l’un d’entre eux se laissait envahir, un instant, par la calme et diverse campagne française !

L’agrément de voyager confortablement n’est point à dédaigner et je ne suis pas indifférent au roulement forcé d’une locomotrice, mais ma préférence va à une certaine retenue dans la vitesse. Il m’arrive même d’espérer qu’un jour une panne permettra à mon convoi de s’arrêter au bord d’une rivière, en plein champ, pour permettre à ses usagers d’écouter le jaillissement de l’eau sur une pierre au milieu de son lit, de cueillir quelques jonquilles dans un sous-bois ! En même temps, j’aime arriver sans retard dans un lieu désiré pour y retrouver ce dont Paris me prive par trop: l’herbe, les horizons. Enfin, j’aspire à ne plus me laisser, comme une guêpe, engluer dans le sucre ou le vinaigre des conversations. Le silence des campagnes répare les multiples agressions inhérentes à la vie citadine, annule sans pitié et brutalement le superflu et la dispersion. Ce n’est pas que le contraste soit immédiatement bénéfique. Il existe toujours un moment de panique de se sentir en suspens ; on se demande alors ce que l’on est venu faire en marge de tout. Puis les automatismes de la vie en société peu à peu se résorbent et s’éloignent. On n’entend plus que les rumeurs naturelles que l’on avait oubliées. On fait les premiers pas dans les heures harmonieuses et ferventes, étales même, le jour comme la nuit, tout étonné qu’aucun bruit ne vienne les perturber. Il nous prend envie de converser avec la feuille blanche, de noter l’intensité de sensations si subtiles qu’elles laissent en définitive sur le papier une trace à peine visible, comme l’eau évaporée au fond du récipient.

Je connais les surprises du temps sur un parcours de six cents kilomètres, livré le plus souvent aux averses de Paris jusqu’à Souillac qui est dans le Lot déjà, après quoi le ciel se découvre et prend la teinte et le vernis d’une porcelaine bleu tendre. Le train traverse un pont sur la Dordogne et se glisse au creux de vallons où l’herbe est courte, les ruisseaux bordés de peupliers d’Italie. Le pays prend la vétusté des terres qui, parce qu’elles sont plutôt pauvres, résistent aux  cultures intensives, aux remembrements, aux grandes exploitations. Les chèvres et les moutons broutent sous les petits chênes. Il y a de la volaille éparse qui picore dans les fossés. Enfin, l’humide et le sec sont constamment, au cours des saisons, en état de conflit. Autrement dit, il pleut trop et brièvement, après quoi le soleil s’entête durant des semaines. Le printemps noie le pays sous les trombes des orages et l’été craquelle le sol, conférant à un verre d’eau fraîche plus de prix qu’à un diamant. C’est le partage, à midi, de l’arène espagnole entre soleil et ombre, entre les brumes de la conscience et le feu intérieur, parfois porteur d’angoisse, celle-là même dont soeur Anne a si justement exprimé l’irrémédiable : « Je ne vois que la route qui poudroie et le soleil qui flamboie. » Il arrive dans les pays excessifs et contrastés que leur climat devienne celui de notre for intérieur et qu’il en connaisse aussi les violences et les douceurs. Le temps qu’il fait nous fait aussi.