parution novembre 2020
ISBN 978-2-88927-765-0
nb de pages 240
format du livre 105x165 mm

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C. F. Ramuz

Adam et Ève

résumé

« — Vous êtes un homme, il ne faut pas l’oublier, et moi une femme ; on n’est pas des anges, qu’en pensez-vous ?»

Avec Adam et Ève (1932), Ramuz donne corps à un projet qui l’a occupé pendant plusieurs années, et qui n’est rien moins qu’une réécriture des premiers chapitres de la Genèse. Destiné à « illustrer un vieux mythe d’Occident », le roman démontre la fatalité de la Chute. En peignant la désillusion de Louis Bolomey, Ramuz brosse une vision de la condition de l’homme sur terre qu’il assimile à un long désenchantement.

Introduction de David Hamidović

biographie

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n'est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Allez savoir

"Ramuz utilise la Genèse sans aborder la question du péché originel et prend ainsi ses distances avec un christianisme patriarcal qui a finalement décidé que le péché serait celui d’Ève. Belle préface de David Hamidovic !" Nadine Richon

Anti-poétique et autres propos sur l'écriture

Toute l’œuvre de C. F. Ramuz peut être lue à la lumière de cette conviction. Écrits entre 1905, l’année où il publie son premier roman, et 1947, un mois avant sa mort, les textes réunis dans ce volume ne sont pas de la théorie: articles, préfaces ou lettres adressées aux éditeurs Grasset et Mermod, ils sont le fruit d’une pratique acharnée, d’une confrontation quotidienne avec l’écriture. Au fil du temps, Ramuz se forge et affine son idée de la littérature, questionne les manières d’en faire, et interroge le rôle de l’écrivain.

Introduction de Vincent Verselle
Vie de Samuel Belet

Vie de Samuel Belet s’inscrit dans la pure tradition des romans d’apprentissage. Un paysan cherche les mots pour restituer son existence: la mort de sa mère, son premier chagrin d’amour, le départ pour Paris, l’effervescence des luttes ouvrières, le retour au pays natal, la perte de ses proches.
Déployée dans la langue de Ramuz, l’expérience singulière d’un individu devient un miroir qui nous invite à mieux voir, mieux sentir, mieux accepter.

Introduction de Philippe Forest
Le Feu à Cheyseron

Publié en revue en 1912, Le Feu à Cheseyron constitue une première version de La Séparation des races. Mêlant intrigue amoureuse et réflexion sur le destin des communautés, Ramuz livre là une histoire tragique, aux accents de légende montagnarde, qui a inspiré le cinéma expressioniste (Rapt de Dimitri Kirsanoff en 1934, avec une musique d'Arthur Honegger).

Introduction d'Océane Guillemin

Le Besoin des choses et autres chroniques

Ramuz n'est pas que romancier et essayiste. Dès ses débuts, il s'est fait connaître comme un chroniqueur de grand talent, livrant à la presse suisse et française de nombreux textes où il aborde aussi bien l'actualité que l'histoire littéraire, le quotidien que les choses de toujours. Ce volume propose une sélection de cette production, qui va de 1903 à 1947.

Introduction de Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann

Présence de la mort

"Nul secours, ni dans la longueur, ni dans la largeur de la terre."

Dans son titre déjà, Présence de la mort envisage l'inéluctable disparition de toute chose, face à une catastrophe imminente. En 1922, C.F. Ramuz ne pouvait songer au réchauffement climatique ni même à l'effondrement de la société post-industrielle. Mais le tableau qu'il dresse dans ce roman d'anticipation est plus que jamais devant nous: sous le coup du cataclysme, le délitement de l'ordre social et des liens qui le sous-tendent annoncent la fin de l'expérience humaine telle que nous la connaissons.

Introduction de Marc Atallah

Lettres, 1904-1947 (2022, domaine français)

Lettres, 1904-1947

C.F Ramuz n'a cessé de correspondre avec sa famille, ses amis, ses pairs, ses éditeurs, voire ses admirateurs. La lettre le rassure, apaise ses angoisses dans l'absence, ou met à distance son interlocuteur. Voici un Ramuz dans son quotidien, potache, philosophe, complice ou introspectif, qui s'amuse, s'inquiète et s'interroge sur l'écriture et sur la mort. Ces cinquante lettres jalonnent le parcours de l'écrivain autant qu'elles dressent son portrait.

Introduction de Vincent Kaufmann

Derborence (2022)

Derborence

Antoine est emmené à l'alpage par Séraphin afin qu'il apprenne le métier. Il s'ennuie et ne pense qu'à Thérèse dont il se languit, ils viennent tout juste de se marier. C'est alors qu'un éboulement va ensevelir le héros de longues semaines. Antoine parviendra-t-il à se nourrir, à boire, à respirer ? À ne pas devenir fou ?

Inspiré de faits réels, Derborence est un roman de montagne. Une montagne brutale et belle; une montagne révélatrice de la fragilité et de la grandeur tragique de la condition humaine. Une montagne dont Ramuz cherchait à restituer la solitude et le silence.

Introduction de Peter Utz

Découverte du monde

Dans Découverte du monde, C.F. Ramuz raconte comment "l'auteur" que nous connaissons est né du "petit garçon" qu'il a été. En revenant sur son enfance dans la petite bourgeoisie commerçante vaudoise, et sur son parcours d'étudiant en lettres, l'écrivain rend moins hommage à sa formation qu'il n'affirme sa vocation d'artiste.

Introduction de Luc Weibel

Jean-Luc persécuté

Le suicide de Jean-Luc Robille ponctue une vie marquée par la malédiction. Dans ce récit de 1908, Ramuz s'inspire du Valais archaïque qu'il a découvert en travaillant au Village dans la montagne. Sous son seul prénom, le protagoniste de Jean-Luc persécuté est devenu une figure universelle du malheur et de la folie.

Introduction de Laura Laborie

Le lac aux demoiselles et autres nouvelles

Ces nouvelles tardives, écrites entre 1943 et 1947, largement méconnues, dévoilent la modernité d’un écrivain qui a atteint une maîtrise virtuose de la narration. Elles déploient des récits visuels où la solitude de l’homme, le désir et la mort prédominent dans une esthétique du fragment. Ramuz s’y montre, plus encore que dans le reste de son œuvre, attentif aux personnages en marge, à la violence et à la folie sous toutes ses formes.

 

Les femmes dans les vignes et autres nouvelles

« Le petit enfant, assis sur un carré de toile à matelas dans le pré, tend la main vers un cerisier qui est bien à quarante pas de lui.

Ayant refermé sa main, il s’étonne qu’elle soit vide.

Il nous faut apprendre le monde depuis son commencement. »

En 1914, marié et devenu père de famille, Ramuz quitte définitivement Paris. Sa nouvelle situation le pousse à interroger les fondements mêmes de son choix de l’écriture. Le récit court lui offre un terrain de réflexion privilégié, entre fiction et introspection. Quelques années plus tard, au sortir de la Grande Guerre, c’est toute son esthétique qu’il entend réinventer, à la mesure des bouleversements suscités par les événements mondiaux. Une fois de plus, il recourt à la nouvelle pour mettre en œuvre sa vision des hommes « posés les uns à côté des autres ». Au fil de ses méditations, c’est toujours la même aspiration formelle qui l’anime : la quête d’une langue, d’une narration, d’un style à lui.

Les femmes dans les vignes et autres nouvelles réunit des textes écrits entre 1914 et 1921.

L'Homme perdu dans le brouillard et autres nouvelles

« Cependant, il gardait sa langue ; et plus le reste de son corps allait s’engourdissant, plus il semblait qu’elle devînt alerte pour ces longues histoires qu’on venait écouter : des étrangers, l’été, et même des gens du village, car elles n’ennuyaient jamais, et il en savait de toutes les sortes ; et il fumait sa grosse pipe, n’ayant plus que ces deux plaisirs. »

Pour Ramuz, la nouvelle est un laboratoire. Dans sa quête de formules narratives originales et ses expérimentations stylistiques, le récit court lui offre un espace concentré dont il tire le meilleur parti dès son entrée en écriture, puis tout au long de sa carrière. Qu’il s’inspire du légendaire alpestre ou mette en scène des animaux martyrisés, qu’il campe des personnages typés ou explore la scène de genre, voire le morceau bref, l’écrivain dévoile aussi bien la cruauté des hommes que l’intensité de leur rapport aux éléments, tantôt hostiles, tantôt sublimes. D’une efficacité exceptionnelle, ces textes sont autant d’hommages au pouvoir de la fiction.

L’homme perdu dans le brouillard et autres nouvelles réunit des textes écrits entre 1905 et 1911.

Posés les uns à côté des autres

Inédit du vivant de Ramuz, Posés les uns à côté des autres est son roman le plus personnel. Il y dépeint les voisins de son village, qui s’y entrecroisent sans qu’ils ne se comprennent ni se connaissent jamais. Cette séparation des êtres entre eux, « posés les uns à côté des autres », est à l’origine de la solitude tragique des personnages ramuziens. Elle contraste ici avec la beauté bouleversante du lac et de la montagne.

Introduction de Rudolf Mahrer

Paris (notes d'un Vaudois) (2020, Zoé poche)

Paris (notes d'un Vaudois)

En automne 1900, Ramuz s’installe à Paris. Il a 22 ans. Il en aura 59 lorsqu’il fera paraître ce livre fondamental dans son parcours d’écriture et de vie. Les années n’ont atténué ni la fraîcheur ni la précision des première impressions. Le tableau du Montparnasse au début du siècle est riche de couleurs et de personnages. Mais ce qui importe davantage, c’est la réflexion conduite par Ramuz sur la nature de la grande ville, son rôle de capitale historique et culturelle.

Paris l’amène à traiter des sujets les plus divers : les arts, les modes et le snobisme, la langue, bien sûr, et l’écriture, mais aussi le monde du travail, la société, l’identité des provinces. Par-delà le souvenir se reflète ici l’image de tous ceux qui sont un jour montés à Paris. Pour le « petit Vaudois » qu’est Ramuz, la Suisse romande est une « province qui n’en est pas une », française par la culture, suisse par la politique. À la frontière entre essai et autobiographie, Ramuz réfléchit avec brio aux relations entre centre et périphérie.

Introduction de Pierre Assouline

Les Signes parmi nous

Dans ce « tableau » de 1919 que sont Les Signes parmi nous, Ramuz peint un orage d’été qui fait croire à la fin du monde. En prévision de cette apocalypse lémanique, Caille, le colporteur biblique, répand une parole défaitiste. Mais le dernier mot appartient au couple de jeunes amoureux qu’anime une confiance toute humaine. Écrit à la fin de la Première Guerre mondiale, tandis que la grippe espagnole ajoute ses calamités aux malheurs du conflit, ce roman virtuose célèbre l’éternel recommencement de la vie.

Introduction de Gilles Philippe

Taille de l'homme

Capitalisme, communisme, relance du colonialisme, krach de Wall Street, montée du fascisme : dans Taille de l’homme, Ramuz souligne le caractère universel de la condition humaine, rendu plus évident à ses yeux par la mondialisation qu’il observe – déjà – autour de lui. L’écrivain dégage dans cet essai la conception qu’il se fait de l’homme véritable, dont le modèle est le paysan – dénonçant les dangers de la mécanisation, l’illusion du progrès, et les contradictions de la pensée matérialiste.

Introduction de Reynald Freudiger

La Beauté sur la terre

Juliette, 19 ans, débarque de Cuba au printemps dans une communauté vigneronne petite et étriquée, prise entre lac et vignes ; et la quittera secrètement en août pour une destination inconnue. Elle a beau être la nièce du cafetier Milliquet, Juliette restera une étrangère, foncièrement différente des villageois, principalement par sa beauté mystérieuse. Sa présence éphémère au sein des habitants va modifier fortement leur quotidien et diviser le groupe jusqu’au drame. Car malgré son innocence, Juliette possède une sorte de don, de pouvoir magnétique d’attraction. Ce texte lie les thèmes de la beauté, de la solitude et du désir sexuel pour dire l’imperfection du monde.

Introduction de Christian Morzewski

Une main (2018)

Une main

Toute vie, à l’instar de toute œuvre, est faite de chutes et de rebonds, comme le montre Une main. Dans ce texte autobiographique, Ramuz se dévoile, laissant le lecteur pénétrer dans son intimité, dans sa maison, son bureau, se mettant en scène torse nu et soumis à ses médecins autant qu’aux impératifs du corps. Car un jour d’hiver de 1931, à la mi-janvier, Ramuz glisse sur du verglas et se brise l’humérus gauche. Impossible d’écrire désormais. L’auteur réfléchit dès lors à sa relation à la création : sa vie, semble-t-il conclure, n’a de sens que par la place qu’elle occupera dans son œuvre.

Introduction de Guy Poitry

L'Amour du monde

Une ville de quatre ou cinq mille habitants, un petit monde où les gens se contentent d’un beau soleil et d’une belle eau, parmi les vignes. Mais lorsque Louis Noël, grand voyageur, se met à raconter la vie sous d’autres cieux ; qu’un illuminé se prenant pour le Christ se promène sur la plage ; qu’un cinéma s’installe et fait office d’usine à rêves, l’imaginaire fait irruption dans le quotidien réglé, « une fenêtre a été ouverte sur le monde ».

Introduction de Roland Cosandey

Construction de la maison

Construction de la maison nous convie auprès d’une famille de petits propriétaires terriens vivant au rythme de la vigne et des saisons du Lavaux, le temps du chantier de leur nouvelle demeure. Madame Catherine et ses enfants, Samuel, Héli, Vincent ou la «petite Marianne» : à travers les événements que traversent la famille, Ramuz illustre les tensions entre le désir des transmission des hommes et le cycle implacable de la nature.

Dans ce roman inédit ébauché en à peine trois mois en 1914, Ramuz met en place les prémisses de ses romans qui lui assureront, dès 1924 et sous l’égide des éditions Grasset, la reconnaissance du public et des milieux littéraires.

Introduction de Stéphane Pétermann

 

Aline (2018)

Aline

« Elle était maigre et un peu pâle, étant à l’âge de dix-sept ans, où les belles couleurs passent, et elle avait des taches de rousseur sur le nez » : voici Aline, l’héroïne éponyme du premier roman de Ramuz. Tombée amoureuse de Julien Damon, fils de paysans riches, elle vit une véritable idylle, tandis que lui ne cherche qu’à apaiser sa faim. L’histoire débouche sur une fin tragique lorsqu’Aline, enceinte, apprend les fiançailles de Julien.

Tournant le dos aussi bien au récit psychologique qu’aux modèles naturalistes, Ramuz décrit avec subtilité la passion et le revirement des cœurs. En écrivain débutant, il pose dans cette épure célèbre les jalons d’une forme de roman poétique, à laquelle il aspirera tout au long de sa carrière.

Introduction de Daniel Maggetti

Adam et Ève: extrait

Lydie était arrivée, ce dimanche-là, vers les trois heures, avec la valise.

– C’est encore moi. Vous comprenez, ça la gênait à cause des gens. Alors je lui ai dit : « Laissez-moi faire. »

– Ah ! a-t-il dit, je comprends.

– Où est-ce que je la pose ?

– Posez-la…

Il hésite, puis il lui a montré le banc qui est à côté de la porte.

– Dehors ?

– Je la rentrerai.

– Eh bien, à bientôt, a-t-elle dit…

Pourquoi est-ce qu’elle disait : « À bientôt ? »

Il faisait assez froid. Après ces longues pluies, la bise avait pris le dessus. Elle sifflait sous la porte, elle chantait dans le grenier. Mais, aux places abritées, il faisait doux encore, à cause du soleil. C’est la bise, et elle a un fouet, et elle fait claquer son fouet. Alors on avait vu les nuages s’enfuir tous ensemble du côté du sud et ils s’étaient entassés là, devant la crête de la montagne, comme les moutons d’un troupeau devant la barrière du parc.

Il a été se coucher à une de ces places au soleil, sous un arbre. Dieu prit une des côtes d’Adam…

Il l’avait vue venir de loin, c’est pourquoi il était venu lui aussi, puis s’était étendu tout de son long dans l’herbe, comme une fois déjà : Et il forma une femme de la côte qu’il avait prise à Adam et la fit venir vers Adam.

Il n’avait eu qu’à dire :

– C’est toi ?

Il parle avec douceur, avec tranquillité, avec satisfaction, avec contentement :

– C’est toi ?

Elle ne dit rien, et il a dit :

– Je savais bien que tu reviendrais, Adrienne.

Alors il s’est soulevé lentement ; il se met assis. Il la regarde ; et, à mesure que ses yeux montent le long d’elle, c’est comme s’il la refaisait.

Et elle est là, elle ne bouge pas, comme si elle devait encore attendre qu’il eût fini, et il a fini ; alors il se met debout tout à fait.

Et, étant venu à elle, il l’a prise par la main.

Ils se sont avancés ensemble. Leurs ombres étaient derrière eux et elles se confondaient. Ils n’ont plus eu, à eux deux, qu’une seule ombre. Ils marchaient l’un à côté de l’autre ; il la tenait par la main.

Et la porte du jardin était fermée, il l’a ouverte, il lui a dit : « Entre », elle est entrée ; lui, entre derrière elle, il ferme la porte du jardin.

Alors, il s’est arrêté, elle s’arrête ; et, faisant de la main un geste, il a dit : « Regarde ». Et, dans son orgueil d’homme : « Est-ce que tu le reconnais ? »

– Et la maison, disait-il, est-ce que tu la reconnais ? C’est tout neuf. Et c’est tout refait. Et c’est pour toi que j’ai tout refait.

Elle n’avait rien dit encore, alors elle a dit quelque chose. Elle a dit :

– Oh ! est-ce vrai ?

Il disait :

– C’est vrai, tu n’as qu’à venir voir. On va faire le tour du jardin, si tu veux… Tu veux ?

Elle a dit :

– Oh ! oui.

Il voit qu’il a eu raison : c’est à nous-mêmes à nous faire notre vie.

Il disait :

– Quel âge as-tu ?

Elle disait :

– Mais tu sais bien.

– Dis quand même.

– Eh bien, j’ai eu vingt ans il y a deux mois.

– Ah ! tu es majeure, dit-il, tu es libre ! Eh bien dis : « Je suis libre » ; dis : « Et je me sers de ma liberté en choisissant d’être avec toi… »

Ça va bien, car à présent on est ensemble. Et à présent, dit-il, Adrienne, est-ce que tu es contente ?

Elle avait dit de nouveau :

– Oh ! oui, je suis contente.

Il avait dit :

– En es-tu bien sûre, parce qu’à présent tu es à moi ?… Adrienne, est-ce que tu sais lire ?

Parce qu’il l’avait amenée pour finir devant le rucher, et ils se tenaient l’un à côté de l’autre devant les trois rangées de ruches, fraîchement repeintes :

– J’ai pensé que tu saurais lire de loin et qu’ainsi je me ferais entendre et que de loin tu m’entendrais. Tu vois : rouge, tu sais le nom ? Et vert, tu sais le nom ? Et blanc, c’est toi, c’est moi aussi, c’est tous les deux… Est-ce vrai ?

Elle a dit tout bas :

– Oui.

– Mais réfléchis bien encore, parce que c’est à toi de décider.

Ils étaient arrivés devant le banc sur lequel la valise était toujours posée :

– Et, tu vois, je l’ai laissée là. Et c’est à toi de décider. Réfléchis bien, petite, réfléchis bien encore une fois. Et si tu veux entrer, prends-la, et va devant, parce que tu es chez toi.

Elle a pris la valise ; elle est entrée la première.

Elle voit que les murs de la cuisine et les murs du corridor avaient été repeints par lui. Elle voit que la table est mise, avec du beurre, du fromage, de la confiture, un gros pain tout frais, deux tasses et deux soucoupes se faisant vis-à-vis.

Elle s’est assise ; il s’est assis en face d’elle.

Et c’est alors que, tout à coup, comme il avait été prendre la cafetière et ainsi lui tournait le dos, sa voix à elle était encore venue : car elle avait encore une chose à dire ; mais une voix toute changée, comme quand une petite fille récite sa leçon :

– Louis, écoute, je voulais… Oui, je voulais te demander pardon…