parution octobre 2012
ISBN 978-2-88182-878-2
nb de pages 256
format du livre 105 x 165 mm
prix 13.00 CHF

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Friedrich Glauser

Le Thé des trois vieilles dames

Traduit par Daniel Renaud

résumé

 

Deux heures du matin, la touffeur estivale écrase la place du Molard à Genève. L’agent de police Molan s’ennuie à mourir dans l’indolence nocturne de la Rome calviniste. Ce dont il rêve, c’est d’un verre de vin blanc. Mais arrive devant son képi un jeune homme qui s’écroule et perd connaissance. Malan dévale l’escalier des toilettes pour appeler une ambulance et là, il reçoit un coup de tête dans le ventre. KO, le flic, qui finit par se réveiller et par apprendre, à l’hôpital, que le jeune homme, secrétaire d’un diplomate, a reçu l’injection d’un poison dont il meurt sous ses yeux, tétanisé.

Ce drame est un prélude à d’autres meurtres, affaires de drogue, chassés croisés d’agents de renseignement, société secrète et intrigues, le tout mettant un holà tumultueux au calme coutumier à la cité au bout du lac Léman. Et, bien sûr, trois vieilles dames boivent du thé en papotant, dans un pavillon de l’hôpital psychiatrique.

Maxime Pietri

biographie

 

Connu en Allemagne, Friedrich Glauser est surnommé le « Simenon suisse ». Né en 1896 à Vienne, mort en 1938 en Italie. Son cursus scolaire l’a conduit en Suisse romande, en Suisse allemande et en Autriche; il a effectué de nombreux séjours dans des foyers éducatifs et des hôpitaux psychiatriques, en raison de sa dépendance à la morphine. De son vivant déjà, il était connu comme auteur et créateur du personnage de l’inspecteur Studer. Après sa mort, son oeuvre est tombée dans l’oubli, et a été redécouverte dans les années 1970.

 

La Légion étrangère (2012, Minizoé)

La Légion étrangère

Excès de haine, excès d'admiration, tels sont les sentiments que l'on porte à la Légion étrangère, «comme à toutes les institutions qui se proposent de faire basculer le destin», écrit Friedrich Glauser (1895-1938). Il s'y enrôle en 1921, sert un an et demi près de Bel-Abbès dans une vallée de pierres, de chaleur accablante et d'ennui absolu. Ecrivain à la vie tourmentée, il a aussi expérimenté le dadaïsme et la clinique psychiatrique. Sur la Légion, il a publié le roman Gourrama et ce court récit autobiographique inédit en français.

                                                                          

Postface de Christa Baumberger

Traduit de l’allemand par Lionel Felchlin

Le Thé des trois vieilles dames: extrait

 

1.

 

Deux heures du matin. La place du Molard est déserte. Un réverbère éclaire un kiosque et quelques arbres, dont les feuilles brillent comme si on les avait passées à la laque. Un agent de police est là, chargé de garder cette solitude. Cet agent, qui s'appelle Malan, s'ennuie et laisse de temps à autre s'échapper un bâillement de sous sa moustache couleur de cuivre. Il aurait bien envie d'un verre de vin blanc, parce qu'il est vaudois et que le vin blanc lui rappelle le pays.

Tout à coup, d'où sort-il, devant le kiosque, un jeune homme. Il est serré dans un élégant complet gris, les cheveux un peu décoiffés. Voici qu'il enlève son veston, desserre sa ceinture, et se retrouve en sous-vêtements courts. Ses fixe-chaussettes sont en soie bleue. Puis il se met à défaire ses boutons de manchettes. L'un tombe en tintant sur le sol. Malan, réagissant enfin, s'approche et dit:'

"Qu'est-ce qui vous prend, monsieur ?"

Le jeune homme ouvre de grands yeux. Ses pupilles sont si grandes qu'on ne. voit plus la couleur de l'iris. Les traits de son visage sont figés. Et cependant que Malan en est encore à se demander si l'homme est ivre ou alors quoi, celui-ci chancelle, veut s'agripper à quelque chose, et ne trouvant pas de prise sous ses mains, tombe comme une masse. Sa tête résonne sur le pavé. Malan se penche sur le corps étendu et murmure pour lui-même en secouant la tête :

"Il n'est pas ivre, il ne sent pas l'alcool."

Puis il porte le corps du jeune homme sur le banc qui forme demi-cercle autour du kiosque, et rassemble et plie soigneusement ses habits. "Belle flanelle", se dit-il, et retournant le col du veston, il voit "Londres" et soupire : "Encore un de ces diplomates étrangers", car la Société des Nations n'apporte que des désagréments à la bonne ville de Genève. Il hésite sur ce qu'il doit faire. Téléphoner à l'hôpital ou appeler le commissaire Pillevuit ? Il entend des pas s'approcher. Sous la lumière du réverbère apparaît un vieil homme coiffé d'un chapeau noir à larges bords qui ne laisse voir de son visage qu'une courte barbe blanche.

"Que se passe-t-il, brigadier ?" demande-t-il d'une voix grave. "Un accident ? Puis-je vous être utile ?"

Il va vers le gisant et du pouce lui relève les paupières.

"Etrange !" dit-il.

Puis, tirant une montre plate de sa poche, il lui prend le pouls.

Encore une fois, Malan ne sait pas quelle conduite adopter. Cet homme est-il médecin ? Revient-il de visiter un malade ? Sinon, sa présence ici à cette heure de la nuit est suspecte. "Interrogeons-le !" se dit-il, mais avant qu'il ait pu prononcer un mot, l'homme tire un bristol de sa poche et le lui tend. Sur la carte on peut lire :

Louis Dominicé

Professeur de psychologie

à l'Université de Genève

"Cher brigadier, il s'agit d'un empoisonnement. Le mieux est que vous téléphoniez tout de suite à l'hôpital", dit le vieil homme en détachant chaque mot et en s'accompagnant de gestes. "L'avez-vous fouillé ? Pas de papiers ?"

Malan, qui a le sentiment d'avoir manqué à son devoir, retourne les poches du veston et du pantalon. Vides.

"De quel côté est-il venu ?" demande le professeur.

A cette question non plus Malan ne peut répondre.

"Voici ce que je vous propose", dit le professeur. "Je vais appeler moi-même l'hôpital, on donnera suite plus vite à mon appel qu'au vôtre. Et pendant ce temps, allez jeter un coup d'oeil dans les toilettes qui sont au sous-sol, vous y trouverez peut-être quelque chose."

"Il en sait plus que moi", se dit Malan, qui n'est que depuis peu de temps dans la police. Un professeur en impose à un homme du commun. Il s'exécute donc, descend les marches et se trouve dans une pièce carrelée de blanc.

Tout y est tranquille. Des mouches bourdonnent autour d'une ampoule électrique rouge. Partout des portes fermées avec l'inscription: "Pour ouvrir, introduire une pièce de vingt centimes." Toutes les portes devant lesquelles Malan passe ont une petite pastille sur laquelle est écrit : "Libre". Seule la dernière a l'étiquette poussée. Il s'arrête. A part le bourdonnement des mouches, pas un souffle. Mais quand, prudemment, il veut actionner la poignée, la porte s'ouvre violemment de l'intérieur. Il veut s'interposer. Un crâne dur et pointu s'enfonce dans son estomac et il tombé assis sur le dallage, n'ayant que le temps d'apercevoir deux jambes s'enfuir par l'escalier revêtues d'un pantalon de tennis blanc. Plus tard, beaucoup plus tard, quand au cours de samaritains il sera question de plexus solaire, il se dira "ah ! "

Revenu à' lui, il remonte sur la place. Elle est à nouveau vide. Le jeune homme est couché sur son banc, les yeux mi-clos, la respiration difficile, et le professeur parle avec de grands gestes dans la cabine téléphonique. Il raccroche, et Malan se précipite vers lui.

"Vous n'avez vu personne ?" demande-t-il.

"Non", répond le professeur en rejetant son chapeau en arrière, et l'on voit que ses cheveux blancs sont couverts de gouttes de sueur. La chaleur de cette nuit est vraiment étouffante.

"Moi, oui", dit Malan en se tenant l'estomac, "en bas, dans les toilettes."

"Est-ce que vous êtes blessé ?" s'inquiète le professeur.

Malan secoue la tête, puis il desserre les poings qu'il ne sait pourquoi il tenait serrés, et du droit quelque chose tombe à terre, qui rayonne d'un éclat métallique. Il se penche, et se souvient qu'en tombant tout à l'heure, il a senti quelque chose sous ses mains, qui se sont instinctivement refermées sur leur prise. Il considère maintenant cette prise. Il n'a jamais rien vu de semblable. Un faisceau d'une vingtaine de fils de laiton très fins, pas plus longs que le petit doigt. Il tend l'objet au professeur, qui opine du bonnet.

"Oui, je connais", dit-il, et il tire un des fils du faisceau, le tient à hauteur du regard et explique :

"On se sert de cela pour nettoyer, quand elles sont bouchées, les aiguilles qu'emploient les morphinomanes pour s'inoculer le poison soluble au moyen de la seringue dite de Pravaz."

Malan n'est tout de même pas si bête. Les manières entortillées du professeur ne lui disent rien qui vaille. Mais on est pataud. Comment exprimer un soupçon ? D'ailleurs Dominicé ne lui en laisse pas le temps.

"L'ambulance va venir tout de suite", dit-il. "Vous avez mon adresse. J'y suis atteignable. Bonne nuit."

Curieux, comme les doigts du professeur tremblent cependant qu'en disant ces mots il roule une cigarette de gros tabac français. Mais déjà, l'ayant allumée, il s'éloigne, et la fumée derrière lui reste accrochée dans l'air.

"Et dire que je ne lui ai même pas demandé s'il connaissait ce jeune homme", se reproche Malan. "Bah", se rassure-t-il, "le vieux s'en occupera." Le vieux, c'est le commissaire Pillevuit, un homme à longue barbe blonde en oriflamme, qui a au moins un point commun avec lui, c'est qu'il aime le vin blanc vaudois.

Malan est à nouveau seul. Le malade sur le banc ne compte pas. La grande place malgré la vive lumière qui la baigne est lugubre. Les devantures vides des commerces ont des regards mauvais. Il tousse pour éloigner de lui cette vision. Mais les façades continuent de le fixer. Un bruit de moteur enfin se fait entendre, et une limousine verte percée de petites lucarnes en verre dépoli s'arrête devant lui. Deux hommes en sortent. On extrait de la voiture une civière sur laquelle on enveloppe le malade, les portières claquent et la voiture repart.