parution février 2014
ISBN 978+2-88182-912-3
nb de pages 112
format du livre 140 X 210
prix 15.00 CHF

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Arielle Meyer MacLeod

Tourner la page (avec Balzac)

résumé

 

 

« Depuis le jour du départ de P, j’ai comme un bourdon dans la tête. Un bourdon, cette note tenue qui ne s’arrête jamais. Comme dans la chanson de Camille. Parfois étouffée par d’autres sons au point de devenir inaudible. Mais toujours là. »

 

Dans la douleur d’une séparation amoureuse, la narratrice retrouve un article qu’elle avait écrit sur une nouvelle de Balzac. Au récit intime, auquel s’ajoute une enquête sur l’écriture de soi, vient alors se nouer l’analyse littéraire,  dans un rapport de quasi nécessité. Récit, enquête, analyse s’enrichissent, se soutiennent, s’expliquent. Car à chaque fois il est question d’image, d’images volées, envolées, brisées.

 

Arielle Meyer MacLeod est dramaturge, enseignante et chercheuse. Elle a écrit plusieurs  études littéraires, notamment Le Spectacle du secret. Marivaux, Gautier, Barbey d’Aurevilly, Stendhal et Zola (Droz, 2003). Tourner la page (avec Balzac) est sa première (auto)fiction, elle est bouleversante. Elle est docteure en lettres, a enseigné pendant plus de dix ans à l'université de Genève. 

 

 

 

biographie

 

 

Docteure en lettres de l’Université de Genève, Arielle Meyer MacLeod a enseigné pendant plus de 10 ans aux Universités de Genève et Lausanne, avant de travailler comme collaboratrice littéraire à la Comédie de Genève.

Aujourd’hui chercheuse indépendante en études théâtrales, elle collabore régulièrement avec des metteurs en scène (dont Mathieu Bertholet, Anne Bisang, Denis Maillefer) et des institutions théâtrales (Théâtre populaire romand – TPR) et enseigne la dramaturgie, notamment à la Haute école de théâtre de Suisse romande.

Dernières publications : Raconter des histoires. Quelle narration au théâtre aujourd’hui (avec Michèle Pralong, éds, MetisPresses, 2012), « Quartier Lointain. De la case à la scène » (in Registres 16, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2013), Entretien d’Antoine Vialle avec Arielle Meyer MacLeod, Ars Memoriae/Je suis vu je ne me vois pas (A・Type, 2013)

 

Psychologies.com

"Analyse de l'intime (pour elle) autant que mise en perspective du romanesque Honoré de Balzac, ce récit est d'une grande sensibilité. En regard de l’analyse littéraire, Arielle Meyer MacLeod interroge sur ce qui fait le lien, sur la difficulté à se recomposer, à se repositionner, quand les rôles changent.

Une expérience de vie que l'auteure partage avec lucidité, finesse et humour. Avec, au final, une belle confiance retrouvée, et comme une envie de relire La Comédie Humaine."

Christine Sallès

Le Nouvelliste

"(...) J'ai aimé ce livre, simple et érudit, dévasté et digne." Denis Maillefer

Le Nouvelliste

« (…) Une écriture, chez Arielle Meyer MacLeod, pudique, simple, qui va droit au but, sans jamais céder au pathos, même quand elle raconte des évènements tragiques, et qui n’en est que plus poignante et éloquente. (…) » Laurence de Coulon

L'Hebdo

" (...) Ce petit récit doux-amer, subtil, intime, flottant et lucide, frôle la perfection de ton et de forme." (Isabelle Falconnier)

Le Matin Dimanche

« (…), un récit magnifique où le personnage principal, qui porte le même prénom que l’auteur, apprivoise sa douleur en posant des mots dessus, en la capturant dans des phrases, avec pour but de la fixer dans un récit, de la transformer en un objet littéraire et, forcément, de l’arracher à son cœur. En théoricienne du théâtre et de la littérature, Arielle Meyer MacLeod, produisant ici un très beau spécimen d’autofiction, ne peut s’empêcher de convoquer quelques auteurs. Balzac, Kleist, Lacan ou encore Camille Laurens viennent en effet donner du grain à moudre à cet exercice d’ “écriture de soi”, (…) Il n’y a rien d’aride rien d’ennuyeux dans ces parties du livre qui au contraire savent rester en équilibre. (…) » Lucas Vuilleumier

Livres Hebdo

« (…) Ne pas écrire, c’est aussi laisser ouvert le récit d’une vie, observe l’auteure, obsédée par les portes que ferme l’écriture, la tombe de mots et de phrases qu’elle offre aussi bien à l’amour qu’à la douleur, le seuil de deuil qu’elle fait franchir aux histoires… L’enjeu central du livre semble là dans cette tentative courageusement obstinée, de passer ce seuil. Pour accepter d’abandonner derrière soi tout ce qu’en écrivant, on n’écrit pas. » V. R.

La Gruyère

"Dans sa douleur, la narratrice décide de ressortir une ancienne critique, jamais publiée, sur la première nouvelle de La Comédie humaine. Tourner la page (avec Balzac) imbrique délicatement ces deux versants, le sentiment et l'intellect. Au fil des souvenirs et de cet amour perdu, on croise Kleist, Annie Ernaux, la peinture hollandaise du XVIIe siècle, mais jamais une phrase pédante ni pesante. Une forme de petit miracle, d'équilibre subtil." Eric Buillard, La Gruyère

le courrier

"(...) L'analyse littéraire et la réflexion sur l'autofiction (qui convoque en passant Paul Ricoeur, Annie Ernaux, Camille Laurens ou Philip Roth) permettent à Arielle Meyer MacLeod de développer un questionnement sur la représentation et l'interprétation - artistique, bien sûr, mais aussi amoureuse, et de soi-même. Car si "une vie est un récit", elle est aussi, comme un livre, une "oeuvre ouverte que l'on remet sans cesse sur le métier, pour la tisser et faire apparaître la figure dans le tapis, figure mouvante et toujours insaisissable". Et c'est bien grâce à l'écriture que ce "motif dans le tapis" de la vie - titre de la fameuse nouvelle d'Henry James - se précise peu à peu, qu'une image se dessine dans la trame de ce récit à la fois sensible et érudit, tenu et sincère." Anne Pitteloud

Tourner la page (avec Balzac): extrait

 

 

1.

Il y a une douzaine d’années, j’écrivais un article sur Balzac. Plus exactement sur sa première nouvelle, celle qui inaugure La Comédie humaine, et qui porte un drôle de titre, La Maison du Chat-qui-pelote. Je crois même que c’est ce sur quoi je travaillais lorsque j’ai rencontré P. Un article jamais paru. Cet article, j’y repense souvent ; j’ai aimé l’écrire. Il a fini, on ne peut plus dire au fond d’un tiroir, mais quelque part sur mon  finder, perdu entre des centaines de dossiers répartis en autant de  folders. Bref, quelque part dans ma mémoire virtuelle, dans un fichier que j’ai cherché dernièrement, que je ne retrouvais plus, et qu’une fois retrouvé je ne pouvais pas ouvrir car ma machine ne reconnaissait pas l’application obsolète utilisée jadis. Depuis que P est parti, je suis devenue une obstinée de l’informatique. Je veux y arriver toute seule. Et j’ai réussi à ouvrir ce vieux fichier avec une fierté non dissimulée. P a quitté la maison, du jour au lendemain, après une ultime dispute. Ce jour-là, ma vie a volé en éclats.

La fin du couple, la fin de l’amour, le divorce, la cinquantaine, les jours qui se suivent, la douleur au creux du bide, l’avenir un peu barré. La solitude, les enfants, le sentiment de la fin. Le temps compté, la mort qui rôde, les projets avortés, la famille explosée. Patchwork de ces petites histoires qui font de grands courants sociologiques, enquêtes à l’appui, magazines féminins en exergue, la cinquantaine qu’est-ce qui change, le divorce mode d’emploi, les hommes et la crise de la quarantaine, les enfants comment s’en sortent-ils, les familles recomposées dans la bonne humeur. Mais en creux, pour de vrai, le carnage.

Je commence à écrire. Je n’ai jamais écrit. Ou plutôt si. J’ai toujours écrit : des cours de théorie littéraire, des travaux universitaires, une thèse de doctorat, des dossiers dramaturgiques, des entretiens avec des metteurs en scène, des conférences, et cet article sur Balzac, jamais publié. Il faut tourner la page, dit-on. Si c’est de pages qu’il s’agit, peut-être faut-il alors faire un récit. Un récit dont je pourrais tourner les pages, les tourner jusqu’à la dernière, pour enfin fermer cette histoire là, dans le calme, comme on termine un livre, un livre qui nous a accompagné des jours durant, que l’on a aimé, que l’on s’est réjoui de retrouver le soir dans la chaleur douce des draps, que l’on quitte à regret, un sourire un peu nostalgique sur le visage, avant d’en ouvrir un autre. J’ai inauguré un beau carnet ramené du Japon (le dernier voyage que nous ayons fait. Dans la canicule nippone, avec les enfants, confrontés à l’expérience intense de l’inquiétante étrangeté. Lost in translation. Un monde que nous avions la sensation d’appréhender à travers une vitre, ou derrière un écran dont on aurait coupé le son. Un écran dans lequel se reflétaient d’autres écrans, dans une démultiplication vertigineuse. C’est cela, le Japon a été un moment de vertige. Confrontés ensemble à cette altérité radicale, à laquelle P, qui connaissait le Japon pour y avoir souvent séjourné comme musicien, nous initiait, nous vivions ce qui sera notre dernier souvenir. P était déjà ailleurs). Devant mon cahier japonais à la couverture colorée (les papiers japonais, je les garde tous, les tickets de musée, les emballages de sucreries, les carrés d’origami, je ramène des dizaines de cahiers que je n’ose utiliser tellement je les trouve beaux, leur préférant pour ma consommation quotidienne les cahiers en kraft de chez Muji), je suis envahie par une autre sensation vertigineuse : tout est recyclable, toute pensée, tout événement est un récit potentiel.

Un récit potentiellement pléthorique, forcément lacunaire, subjectif, incomplet. Récit guidé par la mémoire — trouée —, par les images que j’ai aujourd’hui d’événements qui ne sont plus, mémoire qui raconte finalement plus le présent que le passé. Certains souvenirs s’effacent, d’autres ressurgissent, parmi ceux-ci je trie, choisis, élimine, retiens, en fonction de l’instant. Mue par la colère ou la tristesse ou la nostalgie, ou calme et apaisée, je ne raconterais pas la même histoire. De ce voyage au Japon, je pourrais dire mon émotion devant une expérience particulière de la beauté, une beauté aux codes opaques. Je pourrais dire la chaleur étouffante, l’ennui des enfants devant ces temples dont nous ne nous lassions pas, la laideur des villes nouvelles tentaculaires aperçues depuis les fenêtres du Shinkasen, le train à grande vitesse qui relie Tokyo à Kyoto, panorama qui me rappelait les dessins des BD de Tanigushi. Je peux dire que je ne me suis jamais sentie aussi proche de P alors que je le sentais déjà ailleurs, que je le sentais s’échapper, glisser, partir. Un récit serait la somme d’images qui surgissent, de pensées qui s’agrègent. Produisant ainsi d’autres images, qui ne sont plus le souvenir lui-même, qui le modifient, lui donnent un autre sens. Alors la réalité du voyage se dilue pour faire place à un autre vérité, celle du souvenir transformé par le présent, la vérité du passé corrigé par les événements ultérieurs. Un autre voyage.

« Ecrire la vie en se tenant au plus près de la réalité, sans inventer, ni transfigurer, c’est l’inscrire dans une forme, des phrases, des mots ». C’est Annie Ernaux, qui préface une édition compilant ses romans. Oui. Mais l’inscrire dans une forme, n’est-ce pas déjà la transfigurer, l’inventer même ? Toutes les versions d’une vie sont vraies, toutes au plus près de la réalité, et pourtant transformées par le pouvoir des mots, par le travail de composition, par l’ « opération de mise en intrigue » dont parle Ricœur[i], qui suppose une « synthèse d’éléments hétérogènes », cette capacité à « tirer une histoire de multiples incidents ou, si l’on préfère, de transformer les multiples incidents en une histoire ». Le sens de la vie en est modifié, constamment instable, sans prise autre que celle du moment où il est énoncé, ramassé en gerbes précaires, mouvantes, d’un jour à l’autre, d’une heure à la suivante parfois. Ma vie tantôt perçue comme une succession de pleins, ou comme une suite d’échecs et d’abandons. Ma vie que je paraphe ou désavoue. Ma vie où je suis forte, ma vie où je suis fragile et dépossédée. Ma vie, la même, selon l’état du moment qui se souvient. Pas de vérité, ni même de réalité. Mais autant de réalités que de moments où je me raconte ma vie, par bribes, alignant certains événements, puis d’autres, les faisant résonner différemment. Autant de réalités que de façons d’enfiler des perles, dont les couleurs se modifient au contact l’une de l’autre, dont le vernis change de teinte selon les mots choisis. Colliers multiples au travers desquels nous cherchons « l’identité narrative » (Ricœur, toujours) qui nous constitue et que nous réinterprétons à la lumière d’autres histoires, des livres que nous avons lus, mais aussi des films, des chansons, des magazines féminins, et d’autres récits de vie, des dizaines de récits de vie que nous entendons, analysons, jugeons, qui suscitent notre admiration, notre indifférence, notre colère, notre clémence ou notre empathie. Narrateur de notre propre histoire, sans jamais devenir complètement auteur de notre vie, dit encore Ricœur. Mais peut-être une façon de la signer.

Ces récits mouvants restent des opportunités ouvertes tant qu’ils ne sont pas imprimés. Ils se superposent, s’annulent, se complètent, dans une valse secrète, fluide et mobile. L’écriture menace ce mouvement. Au terme du processus qui engendre les mots et les phrases, la forme se fige. Le souvenir s’ancre, l’événement se plombe. Parmi les mille récits possibles, c’est celui-ci — avec ces mots, ces phrases, cette tonalité, ce rythme — qui se grave. Une occurrence parmi toutes les autres qui exclut, provisoirement du moins, toutes les autres. Ne pas écrire c’est aussi laisser ouvert le récit d’une vie.

Je me raconte notre amour, notre couple, P, celle que j’étais, la séparation, la douleur, le chagrin, la colère, chaque jour autrement. Notre histoire. Faite d’histoires multiples, dont je voudrais faire un récit, un récit dans lequel personne ne se reconnaîtra, pas plus moi que P, pas plus nos amis que nos enfants. Je peux raconter tout ce que j’aimais chez lui, son humour (je n’ai jamais autant ri avec un homme, ri aux larmes), sa façon à lui de me caresser, sa musique, sa capacité impressionnante à tout apprendre, à s’imbiber de tout, à se souvenir de chaque tableau, son visage si beau pendant l’amour, tout ce qui me manque encore, chaque jour. Je peux raconter ce qui me tenait à distance, m’a toujours tenue à distance depuis le premier jour. Je peux raconter notre incroyable proximité, notre lien jusqu’au bout si vivant, je peux raconter nos dysfonctionnements majeurs, nos souffrances réciproques, nos névroses emboîtées. Je peux raconter mes fermetures, mes grottes comme il les appelait, ses envahissements, ses sentiments d’abandon, son besoin de légitimité impossible à rassasier, sa propension à contredire et à tout contrôler, et mes intransigeances, mes intermittences dans le lien, mes angoisses si difficiles à porter et pour lesquelles il s’est toujours montré compréhensif et aidant.  La réalité est faite de tout cela et plus encore, que l’écriture ne peut évidemment contenir, sauf à être une répétition à l’identique de la vie, de vies superposées, d’images et de pensées, de sensations et d’émotions. (Nous n’étions d’ailleurs jamais d’accord sur la manière de raconter. Le récit d’une dispute devenait lui-même objet d’une dispute. Le récit, au cœur de la relation qui est aujourd’hui l’objet de mon récit.)