parution février 2015
ISBN 978-2-88182-939-0
nb de pages 240
format du livre 140 x 210 mm

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Chinelo Okparanta

Le Bonheur, comme l'eau

Traduit de l'anglais par Mathilde Fontanet

résumé

La mère d’Ezinne n’hésite pas à coller son oreille contre la porte de la chambre à coucher de sa fille pour s’assurer qu’elle remplit bien le devoir conjugal. Nnenna est déchirée entre son pays, le Nigeria, et la femme qu’elle aime aux États-Unis. Uzoamaka passe le visage de son amie à l’eau de Javel pour la rendre moins méprisable aux yeux de sa mère… Ces dix nouvelles racontent la vie intime de familles nigérianes, en Afrique ou en Amérique, aux prises avec leurs rêves, leurs traditions et la réalité de tous les jours.

Simplicité de la voix,  économie des effets, impitoyable précision : de ce texte se dégage une puissance d’une intensité rare. La mélancolie de l’exil, la violence familiale, que tous cherchent à dissimuler par le silence, les croyances, si fortes qu’elles peuvent enrayer l’amour, sont racontées sous un jour inédit, frais et pourtant cruel. Chinelo Okparanta nous projette sans le moindre pathos dans la réalité vive de ses personnages ; nous sommes plongés dans leur quotidien et dans la tension entre cultures par la saveur des repas d’Afrique de l’Ouest, ses tissus, l’air qu’y brassent les ventilateurs, mais nous découvrons aussi une Amérique nouvelle, transformée par le regard de l’immigration. 

 

biographie

Née à Port Harcourt  en 1981, Chinelo Okparanta quitte le Nigéria à l’âge de dix ans aux Etats-Unis. Diplomée des universités de Pennsyvanie, Rutgeres et Iowa, elle est l’auteur d’ « America » (Zulma 2014), nouvelle sélectionnée par le Caine Prize de 2013 pour la littérature anglophone d’Afrique, émanation du fameux Booker Prize. Le Bonheur, comme l’eau a été sélectionné par le prix international de la nouvelle Frank O’Connor et par le New York Public Library Young Lions Fiction Award en 2014. Enfin, il a gagné le Lambda Literary Award for Lesbian Fiction en 2014. Chinelo Okparanta fait partie de cette jeune génération d’écrivains dont l’écriture inventive et décomplexée commence d’être reconnu au niveau international. Il a aussi été dans la sélection finale du Caine Prize 2013. Chinelo Okparanta a publié ses nouvelles notamment au sein de Granta et du New Yorker. Elle enseigne le français à l'Université Purdue de West Lafayette.

 

 

 

Kaële magazine

« L’écrivaine nigériane Chinelo Okparanta pose sur la condition féminine un regard  d’une très fine sensibilité. (…) On avance avec retenu et bonheur grâce à une écriture à la fois pudique et précise qui parvient à instiller une tension chez le lecteur. Chinelo Okparanta sait aussi cultiver l’art de la chute, ce n’est pas la moindre de ses qualités. L’amour, la liberté, la sexualité, les relations familiales, la migration, la violence, la solitude… tout cela et plus encore est décrit avec justesse et tempérance. Une belle découverte littéraire que l’on espère pouvoir lire prochainement dans une version romanesque. (…) » Fabien Franco

La Liberté

« Ebène et saphisme

Proposé par l’excellente collection Récits d’ailleurs des Editions Zoé, le bonheur comme l’eau est un recueil de nouvelles paru en anglais en 2013, signé Chinelo Okparanta, une jeune auteure nigériane émigrée aux Etats-Unis. Nommé et primé par de nombreux prix littéraires, dont le prestigieux Caine Prize, son travail parvient enfin dans le circuit francophone avec une élégante traduction de Mathilde Fontanet.

 

L’univers d’Okparanta est peuplé d’institutrices, de mères, d’épouses, de jeunes filles, toutes d’origine nigériane, vivant entre les Etats-Unis et la région de Port-Harcourt. L’auteure jongle avec des problématiques relatives à l’émigration, la violence domestique, l’enfantement ou au blanchiment de la peu sur fond de religion et de traditions omniprésentes, et déploie avec une redoutable maîtrise ses récits incisifs s’égrenant comme autant de variations sur la condition féminine. Narrant un monde où les hommes se révèlent trop souvent violents, absents, trompeurs, elle va même jusqu’à aborder l’homosexualité féminine, encore peu traitée en littérature africaine. Chaque dénouement intrigue mais, fin ouverte ou non, le dernier mot est toujours laissé au lecteur.

Moderne, cohérent, faisant fi du cliché facile pour privilégier une réalité complexe et souvent cruelle, le recueil de Chinelo Okparanta offre donc une belle ode à la femme noire, toujours plus chantée dans la littérature africaine. » Gaëtan Gaillard

Le Courrier

« (…) Le choc des cultures est omniprésent dans l’œuvre d’Okparanta, et c’est encore le cas dans Le Bonheur, comme l’eau. Honoré par différents prix dès sa parution en 2013, ce recueil de nouvelles a enfin obtenu toute la considération qu’il mérite en remportant le Lambda Literary Award for Lesbian Fiction en 2014. Chinelo Okparanta peut être en effet perçue comme la pionnière d’une littérature africaine ayant pour thème l’homosexualité féminine.  (…) Le style et le ton de l’ouvrage, mimant la naïveté, dénués de tout jugement personnel, laissent aux lecteurs avisés le soin de déceler la dénonciation qui se cache derrière le ton neutre d’un récit touchant et parfois choquant. (…) Si la simplicité du style peut déranger certains, la précision avec laquelle Chinelo Okparanta décrit la réalité du quotidien des familles africaines immigrées en Amérique, non seulement compense, mais tend à rendre le récit encore plus poignant. » Mélissa Henri

La Gazette Nord-Pas de Calais

« Ce magnifique recueil de nouvelles nous plonge dans l’intimité de familles nigérianes, en Afrique ou en Amérique, aux prises avec leurs rêves, leurs traditions et la réalité quotidienne. Dans ces dix histoires touchantes ou déchirantes, on découvre ainsi la mère d’Ezinne qui se cache derrière la porte de la chambre à coucher de sa fille pour s’assurer qu’elle remplit bien le devoir conjugal. Ou Nnenna, déchirée entre son pays, le Nigeria, et la femme qu’elle aime aux États-Unis. Simplicité de la voix, économie des effets, précision clinique, autant de qualités qui sculptent un livre sécrétant une puissance d’une intensité rare. La mélancolie de l’exil, la violence familiale, que tous cherchent à dissimuler par le silence, les croyances, si fortes qu’elles peuvent enrayer l’amour, sont racontées par une auteure qui nous projette sans le moindre pathos dans la réalité de ses personnages. Nous découvrons ainsi la tension entre les cultures mais aussi une Amérique nouvelle, transformée par le regard de l’immigration. » Patrick Beaumont

Black Beauty

« (…) D’une voix simple et bouleversante, Chinelo Okparanta nous fait entrer dans un monde sensible et déchirant, et décrit des personnages souvent victimes habités par leurs souvenirs, et surtout par les rêves qu’ils n’abandonnent jamais. »

Le Monde

«  Audaces nigérianes

“Le bonheur est comme l’eau. Nous essayons toujours de le saisir, mais il nous file entre les doigts”, lâche Grace, étudiante nigériane, à son professeur de théologie. Banal, à priori. Sauf que le professeur est une professeure, yeux bleus et cheveux blancs, que les deux femmes sont amoureuses, et que leur histoire (qui se passe aux Etats-Unis) ne s’achève pas en tragédie. Chinelo Okparanta, née à Port Harcourt (Nigeria) en 1981, vit et enseigne le français aux Etats-Unis. Elle est une des premières écrivaines d’origine africaine à parler d’homosexualité féminine. Ce recueil de nouvelles est son premier livre. On y découvre la vie de familles nigérianes, dépeintes en courtes scènes : l’histoire d’une femme battue qui espère s’en sortir ; celle d’une jeune de Lagos réduite à se prostituer pour soigner sa mère ; celle d’adolescentes qui se brûlent le visage à l’eau de Javel à force de vouloir avoir le peau claire, “couleur de papaye”… Figurant dans la sélection finale du Caine Prize 2013, “le Bonheur, comme l’eau” a reçu, en 2014, le Lambda Literary Award for Lesbian Fiction. Un livre plein de fraîcheur et de timide audace. » Catherine Simon

Le Monde des livres

"Un premier livre épatant." Catherine Simon

France Inter, "L'Afrique enchantée"

"Dix récits ancrés  dans l’Afrique, et l’Amérique contemporaine courts, incisifs et sombres (...), d’une voix presque détachée et pourtant bouleversante."

"Chinelo Okparanta nous plonge sans détour et sans pathos dans l’intimité de famille nigérianne."

"Econome dans ses effets, son style est d’une impitoyable précision et son recueil d’une grande intensité."

Hortense Volle

Livres hebdo

Chinelo Okparanta écrit sous sa double identité nigériane et nord-américaine.

"Chinelo Okparanta est née en 1981 au Nigena maîs est amvée aux Etats-Unis avec sa famille à l'âge de 10 ans. Elle appartient donc à cette catégone d'écnvains africains, et plus précisément d'écnvames africaines - on pense notamment à Sefi Atta (Le meilleur reste à venir, Actes Sud, 2009, Nouvelles du pays, Actes Sud, 2012) -, qui construisent leur oeuvre dans un espace mondialisé et dont l'écnture métisse par ses thèmes et sa forme des identités multiples.

Dans ce premier recueil de dix nouvelles, les histoires se répartissent donc entre la région de Port Harcourt, sur le golfe du Niger, défiguré par l'exploitation intensive du pétrole, et l'est des Etats-Unis. « L'Amérique » fait le lien, abordant la question de l'expatriation et largement plus taboue, de l'homosexualité féminine (également évoquée sans ambiguïté dans « Grace ») dans un pays où elle est condamnée. De façon plus générale, Okparanta observe avec une gravité jamais démonstrative les relations entre les hommes et les femmes mais aussi entre des filles, souvent narratrices du récit, et leur mère.

 Ces mères qui, parfois plus encore que leur mari, apparaissent comme gardiennes voire complices d'un ordre conjugal et social traditionnel violent, appuyé sur des croyances religieuses et superstitieuses ainsi cette veuve qui encourage sa fille à épouser un ingénieur de Shell témoin de Jéhovah. Une autre qui assiste avec son gendre à une séance de désenvoûtement destiné à rendre sa fille férule ou cette mère de la bourgeoisie aisée fournissant à son adolescente des crèmes pour blanchir sa peau.

 Dans son anglais syncrétique, simple et vif, qui intègre des mots concrets du quotidien (vêtements, aliments ), traduits dans un glossaire en fin de livre, Chinelo Okparanta amplifie les voix de filles combatives qui tentent d'assumer leurs choix de vie sans sacrifier leur culture d'origine." 

Véronique Rossignol

 

 

 

Millepages

Pudeur & élégance

Chinelo Okparanta explore dans ses nouvelles la sphère de l’intime avec beaucoup de pudeur et d’élégance. Le poids de la tradition et de la famille, surtout subi par les femmes, y est largement développé. UNE TRES BELLE DECOUVERTE.

Agathe Guillaume, Millepages, Vincennes

Le Bonheur, comme l'eau: extrait

Grace

 

La première fois que je la vois, elle est accroupie à l’entrée des toilettes du troisième étage, à mi-chemin entre mon bureau et l’amphithéâtre où j’enseigne. Elle sanglote et ses épaules tressautent doucement. Alors je m’arrête, m’accroupis pour me mettre à son niveau, lui mets la main sur l’épaule, et lui demande si tout va bien. Elle hoche la tête et bredouille quelque chose d’indistinct. Puis elle lève la tête, essuie des larmes de ses mains, et me sourit, d’un sourire faible. « Ça va », me dit-elle. Sa voix est frêle et rauque. Il y a un silence, puis un autre son rauque. Je ne sais pas au juste ce qu’elle dit cette deuxième fois, mais le son me fait penser à des grenouilles, petites et visqueuses, à l’Exode et au seconde fléau, à l’inondation du Nil, à Pharaon et à ses magiciens défiant Dieu en créant plus de grenouilles. Si toutes ces pensées me viennent, c’est que j’ai cela en tête ces jours. C’est ce que j’enseigne ce semestre. L’Ancien Testament.

Je me redresse et regarde dans la direction de mon bureau. Un chariot jaune se trouve au milieu du couloir et, non loin de là, un concierge pousse un grand balai sur le sol. Une horloge est suspendue au plafond à l’autre bout du couloir. Je regarde l’horloge, puis baisse les yeux vers elle.

– Il est presque cinq heures, dis-je. Ils vont très bientôt fermer le bâtiment.

Elle hoche la tête et se relève. Elle se cramponne à un sac à main qu’elle serre contre sa poitrine, comme s’il en allait de sa survie. Puis, tout à coup, elle commence à brailler si fort qu’elle semble étouffer. Je recommence à lui caresser l’épaule et, sans savoir comment, j’en viens à la conduire dans mon bureau, à tirer une chaise pour elle, l’une des deux chaises destinées à mes étudiants. Sauf que je ne suis même pas sûre qu’elle soit l’une de mes étudiantes. Depuis vingt ans que je travaille à l’université, je n’en ai encore jamais vu aucune pleurer comme ça.

« Je suis désolée », lui dis-je, parce que je suis vraiment désolée de la voir pleurer si fort. Elle se penche en avant sur sa chaise, toujours agrippée à son sac, le berçant, se berçant, en arrière, en avant. Peu à peu, ses sanglots s’estompent, jusqu’à ce que je n’entende plus qu’un hoquet occasionnel. Elle se lève de sa chaise et se dirige vers la porte.

– Si jamais vous avez besoin de parler à quelqu’un… lui dis-je, sans terminer.

À la porte, elle se retourne pour me regarder. « Merci », dit-elle. Pendant qu’elle le dit, je prends le temps de la contempler. Je regarde ses tresses – des tresses fines, noires, qui descendent au-dessous de ses épaules. J’observe la couleur de sa peau – un teint olive sombre, une teinte très particulière. Ses lèvres sont gonflées et presque rouges, et les larmes ont laissé des traînées sur ses joues. Je me demande d’où elle vient exactement. Tandis qu’elle sort, je me dis qu’il est trop triste que quelqu’un doive pleurer autant.

 

Quelques jours passent, jeudi, vendredi et le week-end. Lundi, lorsque j’entre dans l’amphithéâtre pour mon cours sur l’Ancien Testament, j’ai presque oublié l’épisode des pleurs. Ce cours a une tout autre démographie que mes autres cours de master – celui sur Chaucer, celui sur Milton ou même mon cours sur la mythologie grecque. Ces étudiants sont plus fervents que tous ceux que j’ai eus auparavant. C’est probablement l’effet de la Bible. Ou peut-être une conséquence de l’âge, parce que, manifestement, la plupart de ces étudiants sont dans la trentaine ou la quarantaine, plus âgés que l’étudiant type. Et, contrairement aux étudiants que j’ai eus jusque-là, ceux-ci me sollicitent volontiers pour des rendez-vous. À une fréquence si alarmante que parfois, ce semestre, j’hésite à limiter le nombre de visites autorisées par étudiant. Non pas que je ne veuille pas les recevoir, mais parce que, après un moment, je me lasse de me voir demander encore et toujours pourquoi les livres de l’Ancien Testament sont structurés ainsi ou pourquoi Dieu, dans le Lévitique, interdit que les infirmes s’approchent de son autel. Le plus souvent, je réponds que c’est une bonne question, mais que plusieurs réponses sont possibles, qui peuvent toutes être discutées.

 Quoi qu’il en soit, j’entre dans l’amphithéâtre en même temps qu’un groupe d’étudiants, qui parlent de Dieu, de la pluie et du beau temps. J’acquiesce et je souris de leurs propos, puis, après avoir franchi la porte, je me dirige directement vers le devant de la salle, selon mon habitude. Je griffonne quelques versets de la Bible au tableau, écris quelques mots qui me permettront d’opposer la loi apodictique à la loi casuistique, le code d’Hammourabi aux Dix Commandements, et de montrer que le bien pour le bien diffère du bien en vue d’une récompense ou pour éviter une punition. J’essuie la craie de mes mains, me retourne face à la classe et je l’aperçois, la fille aux longues tresses noires, assise tout au fond de la salle. Je souris. Elle baisse les yeux. J’imagine qu’elle est encore un peu gênée d’avoir pleuré, et donne donc mon cours en évitant de regarder dans sa direction.

Après le cours, je rassemble mes feuilles, fourre ma Bible dans mon sac, puis je l’entends :

– Bonjour. Excusez-moi. Je m’appelle Grace.

Elle me demande quelles sont mes heures de réception. Je le lui dis : le jeudi matin, de neuf heures à midi. Elle hoche la tête. Je souris. Elle ne répond pas à mon sourire, mais dit :

– J’aimerais venir vous parler de la Bible.

– Bien sûr, dis-je. Sans m’étonner. C’est tout ce dont ils viennent me parler ce semestre.

 Avant qu’elle ne se retourne, je remarque comme son visage est sérieux. Elle dégage quelque chose de tragique et de vulnérable. Cet air sérieux devrait s’accompagner d’une délicate petite collection de rides sur le front ou au coin des yeux et de la bouche. Mais elle est jeune.

Elle se retourne pour partir et je suis sensible au balancement de ses tresses dans son dos. Quelque chose dans leur mouvement, tandis qu’elle marche, me donne envie de tendre la main et de les toucher, mais je reste où je suis et la regarde sortir. Et je me dis qu’elle ne pourrait pas mieux porter son nom.