parution septembre 2016
ISBN 978-2-88927-356-0
nb de pages 128
format du livre 105x165 mm

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Corinna Bille

Emerentia

résumé

Emerentia 1713 fait partie d'un diptyque, Deux Passions, dernier ouvrage paru du vivant de Corinna Bille. Après une édition en Minizoé, le texte ressort cette fois-ci au format Zoé poche. Dans un Valais féodal qui semble tout droit sorti du Nom de la rose d’Umberto Eco, la petite Emerentia, jeune aristocrate née d’une mère obscure, est confiée à un curé. Son amour de la nature et son imagination font vite passer la fillette pour une sorcière, et son tuteur use des pires châtiments pour tenter de redresser ce caractère peu conforme aux dogmes catholiques. Au point de causer la mort de l’enfant. En contrepoint de cette sombre destinée, Corinna Bille dépeint une nature belle et pure, plus propice au merveilleux qu’à la sorcellerie, mais crainte et méconnue des hommes.

Ouvrage disponible dans une nouvelle édition: https://www.editionszoe.ch/livre/deux-passions

biographie

Corinna Bille (1912-1979), romancière et auteur de nouvelles proches du fantastique, excelle dans les fictions courtes. Elle a reçu en 1975 la Bourse Goncourt de la nouvelle pour La Demoiselle sauvage. Dans un monde cartésien, informatisé, son œuvre propose un retour aux sources et une quête de l’unité primordiale.

ArcInfo

"À l'heure où l'histoire des sorcières est à juste titre revisitée par les féministes, et où le retour à la nature se fait pressant, le petit livre de Corinna Bille prend des échos prémonitoires. (…)

Ce roman est avant tout l’histoire bouleversante, aux accents d’un conte merveilleux, d’une petite fille qui a perdu la tendresse d’une mère, morte trop tôt, et a été chassée par sa belle-mère jalouse, sous le pieux prétextes. (…)   

Un roman du territoire de la vallée du Rhône, mais aussi celui d’une humanité face à la vie, à la mort, qui explore le rapport des hommes à la nature, et des hommes entre eux." Laurence de Coulon

Deux passions

Une fillette accusée de sorcellerie parce que fascinée par la nature et sa magie dans le Valais de l'Ancien Régime (Emerentia 1713); l'amour d'une jeune paysanne et de "Monsieur", le riche peintre dont elle s'occupe des enfants (Virginia, 1891): dans ces deux passions, l'une tragique, l'autre heureuse, la sensualité est confrontée à la culpabilité chrétienne. Elle pulse dans ces pages parmi les plus émouvante de S.Corinna Bille.

Préface de Jérôme Meizoz

Théoda (2022)

Théoda

Avec l'émerveillement propre à l'enfance, Marceline raconte la vie d'un village paysan entre plaine et montagne; et comment, en épousant son frère aîné, Théoda est entrée dans la petite communauté.
Théoda la fascinante, la vivante, Théoda la dangereuse aussi, qui, à l'insu de tous sauf de la fillette, en aime un autre. Jusqu'au drame.

Préface de Pierre-François Mettan
 

Jours fastes. Correspondance 1942-1979 (2016, domaine français)

Jours fastes. Correspondance 1942-1979

Cette correspondance est un document d’histoire littéraire de premier plan. Il fournit d’une part de précieuses informations sur la vie des années 1940 à 1975 en Suisse romande, et suscite d’autre part réflexion en matière de littérature, notamment sur le lien entre cette « province française qui n’en est pas une » (Ramuz) et ce qui se joue à Paris. Il soulève enfin des questions culturelles à plus large échelle, d’ordre économique et social. Nous avons là ce que les historiens appellent des « archives de la vie privée ». Apprenant par exemple le choix de Corinna Bille de vivre seule, en 1944, à Lausanne pour la naissance du premier enfant alors qu’elle est toujours mariée ailleurs, le lecteur découvre comment une femme démunie peut rester coquette et suivre les conférences savantes de Charles Albert Cingria sur la musique médiévale ; puis, mère au foyer de trois enfants en Valais, région de tradition très catholique, comment elle parvient à se ménager une fenêtre dans sa journée pour écrire. Les différends entre les deux époux au sujet de l’alimentation et de l’éducation sont d’autres éléments aussi passionnants.

Elle, Corinna, rêve d’une « chambre à soi » (selon l’expression de Virginia Woolf) mais aussi de voyages lointains. Lui, Maurice, toujours sur la route, passe de périodes de grande vitalité à des moments d’abattement et de mélancolie. La lettre devient une méditation qui lui permet de s’expliquer. Ce qui frappe, c’est la continuité et la longévité dans l’attachement.

A l’interface de la vie privée et publique, le genre de la correspondance se lit autant comme un documentaire que comme une fiction romanesque, en tout cas pour ce qui est de cette exceptionnelle saga conjugale.

 

Édition établie et annotée par Pierre-François Mettan, avec la collaboration de Céline Cerny, Fabrice Filliez, Marie-Laure König, sous la direction de Jérôme Meizoz.

Rose de nuit ou le sursis (2009, Minizoé)

Rose de nuit ou le sursis

Ainsi cette amoureuse au nom de fleur détourné obtient avant que la mort ne vienne tout sceller un «sursis» : une errance qui lui permet de refaire le voyage, de regarder une dernière fois autour d’elle, de retrouver des visages et des gestes, d’embrasser la beauté saugrenue du monde et surtout de porter encore un peu sa douleur informulée, inavouée, en somme de rassembler son être meurtri avant d’être cette morte parfaite aux mains croisées, un chapelet entre les doigts.

L’œuvre de S. Corinna Bille (1912-1979) est aussi envoûtante que salubre : il n’y a pas de temps mort.

Préface de Doris Jakubec

Emerentia (1994, Minizoé)

Emerentia

Emerentia 1713 fait partie d'un diptyque, Deux Passions, dernier ouvrage paru du vivant de l'auteur (1912-1979). L'histoire raconte le drame de la petite Emerentia, une enfant maltraitée parce qu'elle est soupçonnée de sorcellerie. Contrebalançant cette sombre destinée éclate la magique nature du Valais, d'une fraîcheur et d'une sauvagerie antédiluviennes que la plume de Corinna Bille semble être la seule à pouvoir évoquer avec autant de ferveur.

Ouvrage disponible en poche : https://www.editionszoe.ch/livre/deux-passions

Postface de Marek de Courten

Emerentia: extrait

VIII

 

Le lendemain, Emerentia partit se promener avec les enfants du village. Elle racontait à ses nouveaux amis qu'il y avait des sirènes dans le Rhône. Ils ne savent pas ce que c'est, elle essaie de leur expliquer, elle les connaît. Il y en a une dans le château de son père, suspendue au plafond de la grande salle, ornée de bois de cerf et de flambeaux.

Les gamins l'écoutent, crédules, éblouis. Parfois un brochet ou une vieille carpe sautent au centre d'un marais, et plus il est petit plus le poisson paraît gros.

Ils crient tous :

— Une sirène !

— Non, une sirène c'est moitié poisson, moitié fille, elle porte même un bonnet de dentelle, explique Emerentia.

Quand elle parle, les choses deviennent vraies. La mère limon, les bêtes, les arbres, les plantes ont une chair et une âme parentes de la sienne.

Les enfants disaient :

— Larmes de crapaud, larmes de sang.

Ils désignaient les adonides rouges, l'adoxe musquée dont la petite fleur est bleue puis verte.

Emerentia cueillait la fleur d'ombre, le glaïeul sauvage et leur apprenait leurs noms. Les sables se recouvraient par place d'une mousse roussâtre.

— Oh !

Dans une arène grise, non entièrement asséchée malgré la forte chaleur, s'ouvraient les orchidées violettes aux pétales étagés. Jamais ils n'en avaient vu un si grand nombre.

Au retour, ils racontèrent à leurs parents qu'Emerentia, par sa seule présence, faisait sortir les fleurs de la boue.

 

Un autre jour, ils allèrent jusqu'aux Îles. Sur l'une d'elles poussaient des pins. Ils voulurent faire un feu mais la petite fille le leur défendit.

— Tu as peur de brûler comme une sorcière ! se moquèrent les aînés qui savaient tout ce que les gens disaient sur elle.

Emerentia demeura sans réponse. Elle ne pouvait comprendre - elle qui comprenait tant de choses - pourquoi les flammes l'effrayaient à ce point.

Ils virent des insectes rouges pointillés de noir, un papillon et des oiseaux criards aux ailes bleues qui demeurèrent autour des enfants. Le Machaon géant se posa sur le front d'Emerentia où perlaient des gouttes de sueur.

 

Mais elle arriva en retard pour sa leçon de catéchisme et fut fouettée. Ensuite, le doyen voulut lui faire réciter le Credo. Elle refusa obstinément.

— Je ne me souviens pas des paroles, avoua-t-elle.

Il se mit en devoir de l'aider et récapitula les deux premiers articles du Credo, lentement, en donnant de patientes et très occultes explications:

— Et maintenant, que nous enseigne le troisième article? Il nous enseigne que Jésus-Christ a été conçu du Saint-Esprit, et que sa Mère, toujours vierge, s'appelle Marie. Répète !

Mais déjà, au mot de Mère, Emerentia est reprise d'un tremblement terrible qui ne s'arrête plus.

Le doyen attend, pianote de ses doigts squelettiques la table bien cirée. La petite fille est distraite par ce bruit qui lui rappelle le toc-toc des piverts contre les troncs des peupliers. Elle se calme.

— Qui t'a créée et mise au monde? C'est Dieu. Répète : C'est Dieu.

Elle ne répond pas, ne comprenant pas. Elle finit par dire:

—Je n'ai pas été créée.

— C'est scandaleux ! s'écria le prêtre. (Il avait secoué son rabat sacerdotal avec tant de nervosité qu'il en demeura tout de travers sur sa poitrine.) Une enfant de sept ans qui ne sait pas que Dieu l'a créée !

Le doyen respire avec peine.

— Tu réciteras le Credo. Mais Emerentia se tait.

 

Elle est retournée aux étangs. Elle ose s'approcher du grand Rhône avec les galopins du village. Les eaux montent et ils ont dû traverser des rivières ; ici le sol redevient dur et sur lui rampe une lavande naine. Elle marche, elle court mais soudain elle s'arrête. Un petit animal d'une teinte émeraude reste figé sur le sable, dans une indifférence de mort, l'œil pétrifié. C'est un lézard vert, le roi de la catalepsie.

Les enfants autour d'Emerentia ne bougent pas plus. Ils le regardent longtemps.

— Il est crevé ?

— Non.

Comment devine-t-elle ce mystère ? Mais elle est faite de la même invariable et surprenante texture que la nature. Elle sentait qu'elle ne devait pas troubler ce sommeil apparent.

Ils l'abandonnèrent. Quand ils eurent disparu dans les carex, le lézard arrondit l'échine, se dressa sur ses pattes, baissa la tête et sauta sur une coronelle.

 

Dans la plaine, au-dessus des joncs, les enfants voyaient passer les chevaux et les petits taureaux noirs. Les hommes les chassaient au loin, ils les y laisseraient tout l'été, mais parfois ils revenaient les chercher, le soir.

Emerentia arracha des algues pour s'en faire une traîne, y cacher ses jambes. Elle déchira le haut de sa tunique de toile grossière et son torse blanc apparut, tout plat, avec deux épines roses.

— Je suis une sirène ! dit-elle fièrement.

Alors tous, ils se baignèrent, gesticulèrent, lançant des cris, laissant aussi tomber peu à peu leurs nippes, les filles leurs jupes effrangées, les garçons leurs pauvres pantalons à portette (les plus jeunes avaient encore la robe), et ils offrirent au vent leurs corps nus.

Ils éprouvent des sensations diverses et agréables, nouvelles. C'est intéressant de se voir et de voir les autres, surtout de regarder la peau si fine, si pâle d'Emerentia vers laquelle ils tendent des mains avides, respectueuses.

Le premier étonnement passé, ils sont devenus très joyeux, ils se laissent glisser sur les dunes. Le sable humide se colle à leurs corps, incrusté de particules brillantes, du mica, du quartz, d'infimes grenats.

Ils se relèvent et forment une grande ronde. Ils chantent d'une voix éraillée des couplets, et ces couplets il fallait aussi les mimer :

 

Plantons la vigne

La voilà la jolie vigne

Vigni, vignons, vignons le vin!

 

De rivière en pisse,

La voilà la jolie pisse,


Pissi, pissons…

 

Des propriétaires ramenant des taureaux les aperçurent et rapportèrent tout au doyen.

Il fit passer en jugement la troupe des gamins. Ils surent bien se défendre et prétendirent avoir joué au roi dépouillé appelé aussi le roi des sottises. (Cette royauté oblige le personnage à qui elle est infligée de se laisser dévêtir par degrés : la coiffure, une manche, deux manches, un bouton et ainsi de suite. À moins d'une vigoureuse résistance de Sa Majesté.)

— Votre reine, c'était sûrement Emerentia.