parution juin 2009
ISBN 978-2-88182-647-4
nb de pages 48
format du livre 105 x 150 mm
prix 5.00 CHF

où trouver ce livre?

Corinna Bille

Rose de nuit ou le sursis

résumé

Ainsi cette amoureuse au nom de fleur détourné obtient avant que la mort ne vienne tout sceller un «sursis» : une errance qui lui permet de refaire le voyage, de regarder une dernière fois autour d’elle, de retrouver des visages et des gestes, d’embrasser la beauté saugrenue du monde et surtout de porter encore un peu sa douleur informulée, inavouée, en somme de rassembler son être meurtri avant d’être cette morte parfaite aux mains croisées, un chapelet entre les doigts.

L’œuvre de S. Corinna Bille (1912-1979) est aussi envoûtante que salubre : il n’y a pas de temps mort.

Préface de Doris Jakubec

biographie

Corinna Bille (1912-1979), romancière et auteur de nouvelles proches du fantastique, excelle dans les fictions courtes. Elle a reçu en 1975 la Bourse Goncourt de la nouvelle pour La Demoiselle sauvage. Dans un monde cartésien, informatisé, son œuvre propose un retour aux sources et une quête de l’unité primordiale.

Deux passions (2022, Zoé poche)

Deux passions

Une fillette accusée de sorcellerie parce que fascinée par la nature et sa magie dans le Valais de l'Ancien Régime (Emerentia 1713); l'amour d'une jeune paysanne et de "Monsieur", le riche peintre dont elle s'occupe des enfants (Virginia, 1891): dans ces deux passions, l'une tragique, l'autre heureuse, la sensualité est confrontée à la culpabilité chrétienne. Elle pulse dans ces pages parmi les plus émouvante de S.Corinna Bille.

Préface de Jérôme Meizoz

Théoda (2022, Zoé poche)

Théoda

Avec l'émerveillement propre à l'enfance, Marceline raconte la vie d'un village paysan entre plaine et montagne; et comment, en épousant son frère aîné, Théoda est entrée dans la petite communauté.
Théoda la fascinante, la vivante, Théoda la dangereuse aussi, qui, à l'insu de tous sauf de la fillette, en aime un autre. Jusqu'au drame.

Préface de Pierre-François Mettan
 

Emerentia (2016, Zoé poche)

Emerentia

Emerentia 1713 fait partie d'un diptyque, Deux Passions, dernier ouvrage paru du vivant de Corinna Bille. Après une édition en Minizoé, le texte ressort cette fois-ci au format Zoé poche. Dans un Valais féodal qui semble tout droit sorti du Nom de la rose d’Umberto Eco, la petite Emerentia, jeune aristocrate née d’une mère obscure, est confiée à un curé. Son amour de la nature et son imagination font vite passer la fillette pour une sorcière, et son tuteur use des pires châtiments pour tenter de redresser ce caractère peu conforme aux dogmes catholiques. Au point de causer la mort de l’enfant. En contrepoint de cette sombre destinée, Corinna Bille dépeint une nature belle et pure, plus propice au merveilleux qu’à la sorcellerie, mais crainte et méconnue des hommes.

Ouvrage disponible dans une nouvelle édition: https://www.editionszoe.ch/livre/deux-passions

Jours fastes. Correspondance 1942-1979 (2016, domaine français)

Jours fastes. Correspondance 1942-1979

Cette correspondance est un document d’histoire littéraire de premier plan. Il fournit d’une part de précieuses informations sur la vie des années 1940 à 1975 en Suisse romande, et suscite d’autre part réflexion en matière de littérature, notamment sur le lien entre cette « province française qui n’en est pas une » (Ramuz) et ce qui se joue à Paris. Il soulève enfin des questions culturelles à plus large échelle, d’ordre économique et social. Nous avons là ce que les historiens appellent des « archives de la vie privée ». Apprenant par exemple le choix de Corinna Bille de vivre seule, en 1944, à Lausanne pour la naissance du premier enfant alors qu’elle est toujours mariée ailleurs, le lecteur découvre comment une femme démunie peut rester coquette et suivre les conférences savantes de Charles Albert Cingria sur la musique médiévale ; puis, mère au foyer de trois enfants en Valais, région de tradition très catholique, comment elle parvient à se ménager une fenêtre dans sa journée pour écrire. Les différends entre les deux époux au sujet de l’alimentation et de l’éducation sont d’autres éléments aussi passionnants.

Elle, Corinna, rêve d’une « chambre à soi » (selon l’expression de Virginia Woolf) mais aussi de voyages lointains. Lui, Maurice, toujours sur la route, passe de périodes de grande vitalité à des moments d’abattement et de mélancolie. La lettre devient une méditation qui lui permet de s’expliquer. Ce qui frappe, c’est la continuité et la longévité dans l’attachement.

A l’interface de la vie privée et publique, le genre de la correspondance se lit autant comme un documentaire que comme une fiction romanesque, en tout cas pour ce qui est de cette exceptionnelle saga conjugale.

 

Édition établie et annotée par Pierre-François Mettan, avec la collaboration de Céline Cerny, Fabrice Filliez, Marie-Laure König, sous la direction de Jérôme Meizoz.

Emerentia (1994)

Emerentia

Emerentia 1713 fait partie d'un diptyque, Deux Passions, dernier ouvrage paru du vivant de l'auteur (1912-1979). L'histoire raconte le drame de la petite Emerentia, une enfant maltraitée parce qu'elle est soupçonnée de sorcellerie. Contrebalançant cette sombre destinée éclate la magique nature du Valais, d'une fraîcheur et d'une sauvagerie antédiluviennes que la plume de Corinna Bille semble être la seule à pouvoir évoquer avec autant de ferveur.

Ouvrage disponible en poche : https://www.editionszoe.ch/livre/deux-passions

Postface de Marek de Courten

Rose de nuit ou le sursis: extrait

Elle a fermé la maison après avoir nourri la chatte. Elle met la clé sous une pierre pour la femme de ménage ou l’un de ses amis.

Tout lui a paru facile, tout est bizarrement en ordre. Mais le sac-valise qu’elle emporte lui paraît bien lourd, la nuit cesse à peine. Elle court de peur d’être en retard et la route asphaltée, au lieu d’être dure sous ses bottes, lui semble molle.

À la gare, elle a juste le temps de s’enfiler dans un wagon. Derrière elle monte un jeune homme. Le train part quand saute encore une skieuse, aidée par le contrôleur. Ils ont des manteaux mi-longs de daim beige, de cuir noir. Le sien est en lynx. D’étranges et très voyants bijoux cernent son cou, ses doigts, le lobe de ses oreilles un peu pointues, transparentes. Son épais chandail blanc, elle le sait, n’est pas très propre. Elle en a un autre dans le sac-valise, mais elle préfère celui-là, avec des dessins jusqu’au bout des manches et sur les épaules.

Il y a aussi deux dames dans le compartiment, l’une âgée, la seconde dans la trentaine, le front barré d’une frange rousse ; elle a un œil plus grand que l’autre et sent le lilas. « Ces femmes avec leurs parfums ! » s’étonne-t-elle. Mais elle-même est très parfumée. « Violemment. J’étais bien distraite ce matin… moi qui n’en mets jamais. »

La jolie skieuse, la dernière venue, a une chevelure brune à la Madame de Sévigné, séparée par une raie indécise. Elle sourit aux autres voyageuses.

Rose-de-Nuit ne lui sourit pas. Il fait une chaleur malsaine dans ce train.

Au dehors, le paysage est d’une pâleur grise sous la gelée blanche.

Elle regarde le Rhône où coule peu d’eau. Il ne charrie pas de glaçons, cet hiver. Le courant est imperceptible, on dirait des eaux dormantes de lagune d’une opacité verdâtre ; un ruisseau s’y jette, et s’élève une vapeur. Il y a des sources d’eau chaude dans ces montagnes.

Elle est frappée par la présence d’une croix dans un verger sablonneux. Les petits arbres fruitiers la dépassent à peine, c’est une ancienne croix de bois surmontée d’un auvent. « Tiens, ils l’ont laissée. Était-ce un marécage, et quelqu’un… »

Elle ferme les yeux, désirant le sommeil. Elle a peu dormi ces nuits dernières. Toujours, en janvier, Rose-de-Nuit va aux bals. On l’invite, on l’aime. Elle est d’une beauté inconsciente qui coupe le souffle aux hommes s’ils prennent la peine de la regarder. Aux femmes aussi, qui la jalousent. Mais elle se croit laide. Elle a beaucoup dansé, beaucoup parlé, bu, mangé des pralines, des marrons glacés, des escargots. Elle mélange tout, ne s’inquiétant pas des préséances, mêle aussi les jus de fruit aux champagnes les plus secs. Comme les jeans à la fourrure, les bijoux de sa mère-grand aux pullovers de laine rêche. Ce qui scandalise les vieilles dames, mais les beaux messieurs rient.

Elle garde toujours son visage frais, elle est toujours gaie. Elle est faite pour l’amour, c’est une rose de nuit.

Mais elle ne sait pourquoi, depuis une semaine elle se sent triste, elle dort mal, s’éveille à l’aube. Elle a rêvé que son frère mort lui apparaissait. « Désagréable. » Ce matin, elle n’a pu prendre qu’une tasse de thé.

Sur la route parallèle au chemin de fer, roule un camion avec sa lanterne rouge et ses fenêtres carrées à l’avant. « On dirait une roulotte, on ne serait pas étonné qu’un clown le conduise. »

Le jeune homme lit, la skieuse brune (qui se nomme Stella) échange avec la dame rousse des banalités.

— Je préfère Locarno à Lugano.

— Moi j’ai passé mes vacances à Crans, mais je n’aime pas. C’est une station où tout le monde est très riche, ou veut être riche…

La vieille dame écoute, Rose-de-Nuit rêve.

Passaporto !

De l’autre côté du grand tunnel du Simplon, il n’y a pas la moindre brume. Parfois c’est le contraire, les montagnes arrêtent les nuages.

A-t-elle dormi ? Le han han étrange que font les derniers piliers de béton, où se brise le vent, la tire de sa torpeur. Elle met la tête à l’envers pour regarder le petit morceau de ciel au-dessus des raides parois rocheuses. Il est bleu absolument.

— J’ai eu peur que les douaniers ouvrent ma valise, dit Stella. Hier soir, je suis encore allée skier au clair de lune et j’ai fait mes bagages à la dernière minute.

À la gare italienne, Rose-de-Nuit a failli se tromper. Elle ne connaissait pas ce passage sous-voie (tout a changé), mais devant elle court la jeune skieuse au pantalon jaune, les skis rouges à la main. Elle la suit. Les deux dames viennent loin derrière elle.

Le jeune homme s’est arrêté pour acheter des cigarettes. Il sait, lui, qu’on a tout le temps. Mais ils finissent les cinq par descendre des escaliers de pierre et longer des couloirs sombres. « Où allons-nous ? » Ils arrivent à une gare souterraine où les attend un petit train dans les ténèbres.

Ils se retrouvent dans le même compartiment. Seules deux ampoules fonctionnent, il y fait froid. Pour se distraire, Rose-de-Nuit jette les yeux par la fenêtre sur la montre lumineuse qui marque 9 heures 24 minutes.

Elle entrecroise les doigts comme pour la prière. Elle s’en étonne : depuis des années elle ne prie plus. Elle les décroise, mais involontairement les recroise. Ses mains se sentent mieux ainsi.

Le train s’ébranle avec une grande douceur, il avance vers le jour et se réchauffe.

Ici dans la plaine, ronde comme un cirque, s’allument des feux et les méandres de rivières envahies par le cresson fument aussi. Il y a des près avec des saules et dans un jardin potager, elle voit, suspendu à une perche, un bébé nu en celluloïd. « Il est rose de froid… » Elle bat des paupières. « Mon enfant mort-né dans la clinique clandestine, personne ne doit le savoir. Mais ce n’est qu’un épouvantail. » Elle détourne la tête.

Le train monte et il ahane entre des vignes en berceaux, un cimetière, des ruines, des lierres. Un village qui semble inhabité, une villa déserte où les amphores et les urnes s’enterrent dans les pelouses.

— Admirez ces architectures, ces cyprès, ces arcades, on dirait des pétales de pierre, dit la vieille dame.

— Je me sens un peu drôle… soupire la frange rousse.

— C’est le changement de climat.

— Et d’altitude, assure le jeune homme dont les yeux languides s’élargissent encore.

Rose-de-Nuit n’avait pas voulu voir cet enfant. Il devait être adopté tout de suite par un couple inconnu, mais on le lui avait montré parce qu’il était mort. Elle avait eu de la fièvre, une forte fièvre…

Elle se sent bien maintenant. Près de la voie, il y a des taches de neige, c’est la première vraie neige qu’elle rencontre de l’hiver. Elle la regarde.

Le train cahote, il pousse un curieux cri, une stridulation aiguë d’insecte. Il monte encore dans l’ombre (la montre de Rose-de-Nuit marque dix heures moins dix), le soleil se tient à la lisière d’un village. Le train ne s’y arrête pas.

— Quelle chance ! disent-ils. C’est un bon direct.

À Santa Maria Maggiore, le soleil est là.

Elle met ses lunettes noires qui sont lourdes et coûteuses. Elle en aime le verre teinté d’ambre ; à travers lui, tout paraît plus intense.

Mais ici non plus, le train ne s’est pas arrêté. Ils ont quand même été surpris.

— La station la plus importante de toute la vallée.

— La Madone de Rè ! cria la vieille dame comme si elle se réveillait brusquement. Il y a deux siècles un joueur de boccia, furieux d’avoir perdu, lança la boule contre une fresque de la Vierge qui saigna. Elle est miraculeuse, on la représente toujours le front écorché, tenant trois roses à la main.

— Trois roses de Chianti ! Porco Dio, je ne crois pas à ces choses ! dit le jeune homme.

— Madame, c’est le juron le plus populaire, ne vous peinez pas… sourit la skieuse.

La buée a recouvert les vitres du wagon, on ne voit plus rien.

— L’heure est triste, dit la vieille dame.

— Ensuite ils ont fait construire une grande église, ajouta Rose-de-Nuit. Mais chacun sait que les miracles ne sont pas article de foi.

La vieille dame ne parle plus, elle s’essuie les paupières qu’elle a bistrées. Le jeune homme a disparu dans les toilettes. Il en revient très pâle, peut-être est-il malade.

— Écoutez, il se passe un événement.

— Votre rire désagréable s’est enfin calmé ? se moque la dame rousse.

Le soleil court à la crête des forêts. Les arbres deviennent d’une luminosité terrible.

— Ah ! dit Rose-de-Nuit, c’est ainsi que j’imaginais enfant les forêts du paradis.

Le train stridule encore, le soleil se cache derrière une montagne. « Nous nous enfonçons dans l’ombre. » Elle enlève ses lunettes noires, regarde le jeune homme.

— D’abord je n’ai pas ri. Et il y a une chose que je ne comprends pas, dit-il péniblement.

Les voyageuses remarquent que ses mains tremblent.

— Nous roulons sur l’herbe ! Sur l’herbe ! Et sur la neige !

Elles froncent les sourcils, elles croient qu’il plaisante.

Il ne plaisante pas, dit Rose-de-Nuit. Nous roulons sur les fougères, sur les rochers…

Cette fois, il crie :

— Par le trou du w.-c., j’ai vu le vide !