parution mai 2014
ISBN 978-2-88182-920-8
nb de pages 216
format du livre 140 x 210 mm

où trouver ce livre?

Jean Dubuffet,

Edith Boissonnas,

Muriel Pic

La vie est libre. Correspondance et critiques 1945-1980

résumé

Le lecteur pour qui « la vie est libre » découvrira ce volume avec un plaisir sans mélange. La drôlerie des lettres de Jean Dubuffet (1901-1985) ne le laissera pas sans sourire et il ne pourra qu’être charmé par l’étrange naïveté du style d’Edith Boissonnas (1904-1989).

L’immédiate familiarité avec laquelle le peintre s’adresse à la poétesse nous fait entrer de plain-pied dans une correspondance qui commence à l’automne 1945. Boissonnas, qui vient de quitter la Suisse pour s’installer à Paris, rencontre Dubuffet grâce à Jean Paulhan, son éditeur chez Gallimard. Entre l’écrivaine à ses heures éleveuse de serpent et l’artiste féru de bestiaires, une chose est sûre : il n’est d’art véritable qu’à l’état sauvage. Cette conviction commune donne à la critique de Boissonnas sur le peintre une incroyable justesse et elle anime une correspondance où, des premières aux dernières lettres en 1980, Dubuffet s’impose comme un extraordinaire épistolier.   

Textes présentés par Muriel Pic

Jean Dubuffet

Jean Dubuffet, né au Havre le 31 juillet 1901, mort à Paris le 12 mai 1985 est un peintre, sculpteur et plasticien français, inventeur du concpet de l'art brut.

Edith Boissonnas

Edith Boissonnas, née le 24 avril 1904 et décédée le 9 octobre 1989, est une poétesse, écrivain et journaliste suisse d'expression française, éditée chez Gallimard.

Muriel Pic

Muriel Pic est critique littéraire, traductrice de l'allemand et écrivain. Elle a publié plusieurs essais sur Henri Michaux, W. G. Sebald et a traduit Walter Benjamin. Ses recherches (critique et poétique) sont toujours fondées sur des archives. Docteur de l’EHESS, elle est professeur de littérature française à l’université de Berne.

Cahier Critique de Poésie

« (…) Ces lettres nous placent de plain-pied dans des échanges qui dureront près de 40 ans et accompagneront la création artistique des deux correspondants. (…) L’édition fournit au lecteur toutes les clés nécessaires, avec une excellente préface et des textes d’Edith Boissonnas sur l’art brut écrits dans une belle prose poétique, ainsi que le fameux poème “ Usure ” qui scelle la relation entre les deux épistoliers et de magnifiques portraits de la poétesse. On pourra apprécier aussi dans cet ouvrage une sorte de roman par lettres entre deux personnalités que beaucoup de choses opposent, mais qui se retrouvent pendant tant d’années malgré les rendez-vous manqués, les appels sans réponse, les expériences-limites, dans leur quête d’authenticité, leur désir d’un art vivant, vivifiant, (…) » Daniel Lequette

Le Courrier, La Liberté

« (…) Les éditions Zoé, qui la publient aujourd’hui sous le titre La vie est libre, révèlent au lecteur un échange épistolaire animé par une incroyable force joyeuse. (…) » Ghania Adamo

Lettres sur la littérature (2016, domaine allemand)

Lettres sur la littérature

Ce livre réunit pour la première fois les sept «lettres sur la littérature» que Walter Benjamin écrivit à Max Horkheimer de 1937 à 1940. Benjamin est alors chercheur, rattaché à l’antenne parisienne de l’Institut de recherche sociale de Francfort que dirige Max Horkheimer à New York.

Ces lettres analysent l’actualité littéraire, indissociable de l’actualité politique. Cocteau, de Rougement, Claudel, Ramuz, Bachelard, Nizan, la revue Esprit, La NRF, le Collège de Sociologie, Caillois et Leiris, parmi d’autres, sont l’objet de commentaires où la philosophie politique et la perspicacité littéraire sont entrelacées d’une manière qui fascine et déroute. La question de Benjamin est simple : quel est le rôle social de l’intelligence en temps de crise ?

Edition établie et préfacée par Muriel Pic, traduite de l'allemand avec Lukas Bärfuss

La vie est libre. Correspondance et critiques 1945-1980: extrait

 

Quelques extraits de lettres :

 

 

18 décembre 1945

Ma petite Edith

 

Je n’ai pas vu votre mari, je me trouvais à Genève mardi et mercredi, ce n’étaient pas les bons jours. Une autre fois je le verrai. Quel froid à Genève ! Quelle froideur ! Et le Dr de Morsier, quelle froideur !

Jean Dubuffet

 

 

Jean Dubuffet

 

Chère Edith,

23 juin 1946

(…)

On voudrait bien que vous veniez dîner chez nous mardi soir prochain avec Antonin Artaud, est-ce que cela vous est possible ? Je lis assidûment vos poèmes, je me les assimile de plus en plus, ils font de plus en plus partie de mon bagage permanent, je les aime de plus en plus.

Jean

 

 

 

El Golea

Mardi 11 mars [1947]

 

Gentille amie

 

Hier après-midi est arrivé un car transsaharien porteur d’un gros sac qui était le courrier ; dans ce sac il y avait une lettre de Jean [Paulhan) et dans cette lettre des nouvelles de vous pas trop bonnes. Nous sommes bien chagrinés que vous soyez ainsi toujours mal à l’aise, qu’est-ce que ça peut être ? il faudrait tout de même éclaircir ça. Pourvu que ça ne soit rien de vraiment grave ? Nous sommes très tracassés avec cela. Nous voudrions tant que vous alliez bien et soyez contente. Jean [Paulhan] écrit aussi de la neige à Paris et ici il fait si beau. Nous allons quitter El Golea dans 3 jours et retourner à Alger (le voyage dure 5 jours) et nous passerons une semaine à Alger et embarquerons le 26 mars sur le s/s « Ville d’Oran » qui nous amènera à Marseille le lendemain ; nous ferons un petit saut à la Ville Sainte (Cassis) et serons à Paris je pense le 30 mars. Ici nous vivons dans la compagnie permanente et extrêmement gentille des indigènes. Lili s’amuse énormément. L’affaire capitale est la préparation et l’absorption du thé à la menthe. Ça pourrait se faire assez vite et assez simplement mais ce n’est pas ainsi que ça se fait, on y fait mille cérémonies et on fait durer cela un bon temps. Surtout il faut le verser de très haut dans le petit verre pour le faire mousser. C’est cela qu’on appelle un qui sait bien faire le thé, c’est un qui le verse de très haut sans renverser une goutte. Et qui sait faire en sorte que chacun des petits verres des convives en contienne bien exactement la même quantité (la théière étant fort petite). C’est cela qui est bien ils font toutes choses avec peu, je veux dire peu de fonds, peu de substance, et de la plus commune, mais énormément de cérémonies et de mines et de façons qui n’en finissent plus et occupent toute la journée. Ma chère petite Edith on vous aime beaucoup, on vous souhaite ardemment rétablissement de la santé, on est impatient de vous revoir, on vous embrasse.

 

 

7 février 1978

(…)

Les Arabes ressemblent à Antonin Artaud en cela qu’on ne peut avec eux rien arranger ni entreprendre qui ne tourne immanquablement mal. Ils ont un génie de faire tourner à mal les choses qui sembleraient le moins susceptibles d’occasionner des ennuis ou déboires. Tout objet qu’on leur confie tourne aussitôt au débris inutilisable. Toute entreprise à laquelle ils se trouvent mêlés tourne à la déconfiture. Le plus riant et inoffensif projet dégénère en désastre. Les chameaux ressemblent énormément à M. Jules Supervielle. Je parle de ressemblance physique de visage et de manières. Elle est tout à fait frappante et obsédante. (…)Quelle chance vous avez de vivre ces gentilles journées de beau temps. Ici hélas le charme d’une journée de beau temps est inconnu, vu qu’il n’y a pas de temps du tout. Le temps est aboli. À la place du temps il y a une espèce de tôle, rigide, fixe, inamovible.

(…)

 

30 mars 1948

(…)

 

Notre voisin Aïssa, jardinier-taleb, (taleb signifie lettré) (lettré signifie sachant le Coran par cœur et connaissant l’écriture) répand une odeur très intéressante, composite du parfum de la chèvre, de celui de la poix et de celui de la fumée du feu de bois. J’ai trouvé un peu de ce parfum chez un marchand d’épices au prix de 15 francs le gramme et je vous en apporterai. Lili n’approuve pas cette parfumation mais elle a tort. C’est bien la première fois que je la vois désapprouver quoi que ce soit d’arabe. N’est-ce pas que c’est intéressant que les hommes se parent d’un parfum qui procède immédiatement des odeurs familières à eux – de l’âtre, du troupeau, de la sauce du couscous et de l’outre poissée où se porte l’eau. Mais j’ai remarqué que c’est là le système arabe pour sublimer et ennoblir les choses (toutes les choses <mais particulièrement celles déplaisantes>) : les longuement pétrir et manipuler, les fouler, s’y asseoir et vautrer aussi longtemps qu’il faut (les générations se relayent) jusqu’à ce qu’à la fin elles se magnétisent. S’en oindre, s’en barbouiller avec longue patience et long entêtement. C’est un système que je vous recommande.

C’est le 20 avril, mardi, juste dans 3 semaines que nous quitterons, par l’avion, ce pays effrayant, et nous arriverons à Paris quelques jours plus tard.

Mille embrassements de nous 2

 

 

1er juin

(…)

 

À El Golea il y a un vieux crétin qui a organisé un musée de souvenirs de ses chasses, on y voit des œufs de tortues et il paraît que ça se mange et que c’est très bon. Il y a aussi des œufs de serpents qui ressemblent beaucoup à des œufs de poule. Les œufs de tortue aussi ressemblent à des œufs de poule. Ça serait affreux de se tromper et de manger un œuf de python à la coque au lieu d’un œuf de poule. Un œuf de tortue ça serait déjà moins rebutant. Je me suis beaucoup occupé des statues de silex de M. Juva, et à ce propos je me suis beaucoup occupé du silex, et j’ai été avec M. Juva dans des très jolies carrières aux environs de Paris pour ramasser des silex, et j’ai eu un long entretien au sujet du silex avec un géologue. C’est rudement intéressant la géologie.

J’ai moi aussi les lombes douloureuses, c’est un peu embêtant ; mais c’est un peu rigolo aussi.

Je n’ai pas été chez Florence [Gould moi non plus jeudi dernier et je n’irai pas non plus jeudi prochain. Je m’y embête beaucoup. Ça n’est pas du tout mon genre ces parlottes-là.

Lili va très bien en ce moment. Elle vous embrasse et je vous embrasse

 

Jean

 

 

 

 

Vendredi [18 juin 1948]

 

Chère Edith, merci de votre gentille lettre, comme vous ne disiez pas que vous n’alliez pas chez Florence [Gould] il y avait quelque espoir de vous y trouver mais vous n’y étiez pas. Je n’ai jamais eu la bosse du bon comportement en société et quand j’ai été en société après je repense à ce que j’ai dit et fait et j’ai alors le sentiment de m’être très mal comporté et j’en suis extrêmement marri et pour cette raison je n’aime pas du tout aller en société. Je crois que j’ai parlé en termes exagérément mauvais des peintures d’un nommé Heuzé qui paraît être le plus grand peintre du monde dans l’esprit de Florence Gould ; j’ai eu raison de ne pas approuver ces peintures mais je n’avais pas besoin de les désapprouver d’une manière si appesantie.

(…)

 

 

 

Dimanche [6 février 1949]

 

Chère Edith

 

Merci de votre très gentille lettre et de l’affectueuse compréhension que vous avez donnée à ce petit livre, dont fort peu de personnes, je pense, sentirons à quoi il tend. Je suis depuis 3 jours un peu patraque je souffre d’un léger dérèglement dans le tempo de mon orchestre ventral, qui altère un peu ma musique. Mais je reviens à votre lettre. Comme ses termes (et quand vous dites : campagne épaisse et nulle, cela me touche beaucoup) sont justes, et impliquent parfaite compréhension de l’humeur qui inspire ce petit texte ! Je m’émerveille et vous en remercie affectueusement et vous embrasse

 

Jean D.

 

1 août 1961

Cher jean,

Je vis tellement en retrait, ayant tant de peine à prendre contact avec ceux même que j’ai envie de voir, à qui je pense. À de rares moments, tout semble inversé et les rapports faciles. Je crois alors qu’il en sera ainsi désormais. Mais à nouveau ce fatal retrait s’établit où seul le poème est le lieu. Tout est hors de proportions, le temps n’existe plus, et des mois se passent, parfois des années avant que je puisse à nouveau faire ce geste qui semblait si naturel. Comment expliquer ? C’est impossible. Seul un miracle de l’amitié pourrait effacer les ombres. Cela s’est produit lors de votre Rétrospective.

Je vous embrasse tous deux.

 

Edith

 

27 février 1962

L’Amérique est sinistre, terrifiante, s’y élèvent les hautes flammes de la démence. J’ai téléphoné chez vous mais sans résultat. J’appellerai de nouveau pour qu’on convienne d’un rendez-vous dès que je vais avoir un peu récupéré en suite de ce fâcheux voyage. Nous vous embrassons Lili et moi

 

Jean

 

 

 

 

Vence, [lundi] 1er mars [1965]

 

Chère Edith,

 

Nous sommes maintenant à Vence depuis une semaine et j’y reçois votre gentille lettre. Je suis content que le fascicule de l’Art Brut vous est bonne nourriture. Retournez voir les collections tant que vous voudrez, vous serez toujours la très bienvenue. J’espère que Charles [Boissonnas] est tout à fait rétabli maintenant. Il a une vie bien fatigante. Lili a du plaisir ici quand il fait beau, elle fait un petit repassage avec vue sur les montagnes, puis un petit coup de machine à laver, après quoi un tour sur la terrasse ouvrir le parasol et disposer les chaises. Il faut apprendre à vivre sans but, il faut ouvrir des écoles pour enseigner à vivre sans but. J’attends « L’Embellie » avec gourmandise. Une réunion avec Jean Paulhan je n’ai pas le sentiment que cela apporterait à aucun grand profit. Ses soleils ne sont pas les miens, empêchent les miens de luire. Et je ne mange que peu, rapidement, un peu de nouilles, sur le coin d’une table, et pas sur des péniches (des fausses péniches). Et puis je suis loin de Paris et loin de tout cela. Je vous embrasse affectueusement ma chère Edith, Lili aussi.

 

Jean

 

 

Paris, dimanche 9 juillet [1967]

 

Chère Edith,

 

Votre texte que vous m’avez envoyé est un admirable miroir de mon Hourloupe ; miroir vivant et mouvant, dont les facettes étincellent comme les écailles d’un serpent en mouvement. Comme vous avez bien ressenti et pénétré ce à quoi je vise ! et comme vous l’énoncez magistralement !

(…)

 

 

 

Paris, le [mardi] 18 juillet [19]67

 

Cher Jean,

 

Il me semble que c’est un peu pour moi que se construit cette demeure dans sa complexité de signes, car je m’y suis sentie curieusement à l’aise, alors que les habitations le plus souvent me gênent ou m’irritent, soit par leur suffisance, soit par leur insuffisance utilitaire, ouvertes à tout et à chacun. C’est donc une joie qui touche au fantastique que j’éprouve de ces moments où j’aurai vu les débuts, l’amorce de l’événement, et je vous en remercie.

La chaleur ces jours-ci a réussi à vaincre mon ennui de quitter Paris, et je pars donc demain pour la [Styrie] (le nom me plaît plutôt bien), où la côte est paraît-il encore sauvage, pas très loin de Trieste. Je me réjouis bien d’être de retour.

C’était très à propos de l’Art Brut ces peintures donnant ce sentiment de nausées, de lassitude comme celle des expositions où il peut arriver qu’on se fourvoie. Mais comment définir ce sentiment si profond.

Je suis très affectueusement à vous

 

Edith Boissonnas

 

J’aimerais bien avoir l’adresse de Lili à qui je pense tant.

 

 

Paris, [mardi] 20 février [19]68

 

Très chère Edith,

 

Je suis grandement touché de ce que vous publiez dans La NRF au sujet de mes peintures de L’Hourloupe, qui est tellement juste et tellement ressenti, et exprimé de façon si heureuse. Je vous en sais bien vif gré et c’est pour moi de grand réconfort. Très peu de gens, je suppose le ressentent comme vous le faites, s’agissant, comme vous le dites très bien, d’une algèbre, d’un logos en langue très étrangère. Très étrangère notamment, à ce qu’il apparaît, à ce monsieur de nom Claude Esteban, qui, dans la même livraison, en traite avec superbe, de manière comiquement supérieure et insolente, produisant par ailleurs de ses poèmes pour donner l’exemple de ce que doit être l’art. Je ne connais pas du tout ce monsieur si plein de belle assurance et ne sais ce qu’il est – un professeur, je suppose.

Je vis sans réussir à dominer bien la contrariété que me donne l’état – physique et psychologique – de Lili mais ne lui dites surtout pas un mot de cela.

Je n’ai plus de nouvelles de Jean Paulhan depuis plusieurs mois.

Je vis très retiré, confiné, aliéné.

Nous sommes partis pour Vence récemment pour y passer deux mois mais sommes revenus deux jours après.

Il faut qu’on se voie un de ces jours, le voulez-vous ?

Je vous embrasse

 

Jean Dubuffet